Évaluation des profs : l’autre catastrophe qui plombe l’université française… et beaucoup plus encore <!-- --> | Atlantico.fr
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Photo prise lors d'un cours donné dans un amphithéâtre de l'université des sciences humaines à Caen.
Photo prise lors d'un cours donné dans un amphithéâtre de l'université des sciences humaines à Caen.
©MYCHELE DANIAU / AFP

Fausse bonne idée

La pratique de l’évaluation des enseignements par les étudiants s’implante durablement dans les universités en France. Ce dispositif est très répandu dans les pays anglo-saxons ou dans les grandes écoles.

Pierre Bentata

Pierre Bentata

Pierre Bentata est Maître de conférences à la Faculté de Droit et Science Politique d'Aix Marseille Université. 

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Atlantico : Répandue dans les pays anglo-saxons et dans les grandes écoles, la pratique de l’évaluation des enseignements par les étudiants s’implante durablement en France. Que faut-il en penser ?

Pierre Bentata : On a de la chance, d’une certaine manière, car on a un moyen de comparaison qui nous permet de nous nourrir des erreurs ou des défaillances qui existent dans l’enseignement supérieur privé. Dans les écoles de commerce par exemple, on évalue les professeurs sur des points légitimes : sont-ils capables d’être à l’écoute des étudiants, leurs cours sont-ils cohérents … Mais parfois, on peut se demander si les professeurs comprennent vraiment leurs cours, s’ils maîtrisent vraiment ce qu’ils expliquent. Cela donne aux étudiants l’impression qu’ils sont en mesure de juger les performances d’un professeur, ce qui signifie qu’il n’y a plus de verticalité dans ce rapport étudiant/professeurs. Le second souci, c’est de savoir comment on utilise ces évaluations. Si cela sert de guide pour que les professeurs se remettent en question, c’est une très bonne chose. Pourtant, si ces évaluations sont prises en compte pour un avancement de carrière, cela incite les enseignants à changer de comportement, à faire des examens plus faciles …  Des stratégies de copinage peuvent se mettre en place, des échanges de bonnes notes … Ce qui est une trahison de la véritable mission de l’enseignant. Il ne faut donc pas tomber dans un piège ou les professeurs cèdent sous la menace des étudiants. 

Si un élève n’est pas sanctionné pour son travail à l’université, on peut imaginer des conséquences en chaîne lors de son arrivée sur le marché du travail, ses compétences et son attitude… 

Tout à fait. On va avoir tendance à niveler vers le bas les cours, en enlevant ce qui est compliqué. On désapprend une hiérarchie qui existe, on va avoir tendance à horizontaliser les relations … À la limite, cette défaillance n’est pas si grave quand les établissements ont l’objectif unique de former pour un métier. En revanche, ça l’est beaucoup plus à la fac puisque l’enseignement à vocation à développer un esprit critique, à rentrer dans le fond des choses … Si on commence à menacer les professeurs qui se détournent de cette mission, on va avoir tendance à enlever ce qui fait l’essence de l’université. L’enseignement y est pensé pour accompagner l’étudiant. Il faut des mauvaises notes, car c’est la démonstration qu’il y a des lacunes et que certains aspects de la formation ne sont pas maîtrisés. C’est donc nécessaire, à condition de ne pas rentrer dans un esprit de concurrence. Le système d’évaluation à la fac doit donc rester très spécifique. 

La pratique de l’évaluation des enseignements par les étudiants est-elle le symptôme d’une société qui n’aime pas la contrariété et qui veut que les choses se passent dans leur sens, sans douleur ? 

Je pense que c’est le symptôme d’une société qui veut tout évaluer, avec des tests très clairs pour définir les compétences de tout le monde et qui se prête mal à certains environnements ou certaines disciplines. Paradoxalement, une grande partie des étudiants sont en demande de plus de hiérarchie et de plus d’autorité. De ce fait, je ne pense pas que cette demande viennent des étudiants qui retrouvent un cadre dans lequel il y a un ordre, ce qui peut manquer dans le reste de leur vie. Je pense en réalité que cette demande vient de plus haut. On se dit qu’il faut rationaliser la façon dont on évalue la performance des professeurs car on voit qu’ils sont actuellement évalués seulement avec leurs publications. Pourtant, cette nouvelle méthode de notation n’est pas efficace car certaines matières parlent plus que d’autres, ce qui signifie que dans certaines disciplines, les élèves auront de meilleurs moyennes que dans d’autres. 

A quel point arrive-t-on à estimer si la tendance à vouloir tout noter peut avoir des effets délétères ?

On voit bien, dans le monde de l’entreprise, que le fait d’évaluer en permanence produit de nombreuses dérives. Cela amène à des choses absurdes, comme la mise en concurrence de médecins à cause de leurs notes sur Google, une information qui ne reflète pas forcément la vérité. Pourtant, cette tendance vient du fait que nous sommes nous-même en permanence en recherche de critères d’efficacité. Or, il faut des preuves de cette efficacité, et pour cela il faut des chiffres. C’est donc aussi à nous de nous remettre en question sur la façon dont il faut évaluer les choses. En ce qui concerne l’université, on observe pas une performance en notant les professeurs. On la mesure avec l’évolution de l’esprit critique des étudiants, l’intégration des diplômés, le nombre de prix Nobel …

Pierre Bentata vient de publier "Tous notés !" aux éditions de L'Observatoire : cliquez ICI et ICI

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