Euthanasie : la grande réticence des soignants<!-- --> | Atlantico.fr
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De récents sondages montrent la réticence des soignants pour l'évolution de la loi sur la fin de vie.
De récents sondages montrent la réticence des soignants pour l'évolution de la loi sur la fin de vie.
©JEAN-CHRISTOPHE VERHAEGEN / AFP

Personnel soignant

Les personnels des soins palliatifs sont massivement satisfaits du cadre législatif en vigueur (90%) et hostiles (85%) à l’évolution de la législation actuelle, selon un sondage publié par Marianne et réalisé par l’institut OpinionWay pour la SFAP (Société française d’accompagnement et de soins palliatifs).

Nathalie MP Meyer

Nathalie MP Meyer

Nathalie MP Meyer est née en 1962. Elle est diplômée de l’ESSEC et a travaillé dans le secteur de la banque et l’assurance. Depuis 2015, elle tient Le Blog de Nathalie MP avec l’objectif de faire connaître le libéralisme et d’expliquer en quoi il constituerait une réponse adaptée aux problèmes actuels de la France aussi bien sur le plan des libertés individuelles que sur celui de la prospérité économique générale.
 
https://leblogdenathaliemp.com/

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C’est devenu une sorte de tradition élyséenne : pas de mandat présidentiel réussi sans sa grande arche culturelle et/ou sociétale. François Mitterrand a aboli la peine de mort, son prédécesseur avait légalisé l’avortement et François Hollande a ouvert le mariage aux couples homosexuels. Quant à Emmanuel Macron, il a mis l’extension de la PMA aux femmes célibataires ou lesbiennes au menu de son premier mandat.

Nouvelle étape pour le second : « l’aide active à mourir » sur laquelle le Comité consultatif national d’éthique (CCNE) a émis il y a un mois un avis favorable sous certaines conditions.

Actuellement, la fin de vie en France est régie par la loi Claeys-Leonetti de 2016 dont le principe fondateur énonce d’une part que « toute personne a droit à une fin de vie digne et apaisée » et d’autre part que « les professionnels de santé mettent en œuvre tous les moyens à leur disposition pour que ce droit soit respecté ». Au cœur du dispositif, le renforcement de l’accès aux soins palliatifs, le rejet de l’acharnement thérapeutique, le droit des patients à refuser un traitement, les directives anticipées des patients sur l’arrêt ou le prolongement des traitements, la désignation d’une personne de confiance et, dans les cas ultimes, le droit à une sédation profonde et continue jusqu’au décès.

La voie ouverte par le CCNE dans son récent avis sur « l’aide active à mourir » pourrait déboucher concrètement sur la dépénalisation du suicide médicalement assisté et de l’euthanasie. Un grand débat national est donc en instance d’être lancé, avec pour but affiché de faire évoluer la législation sur la fin de vie d’ici la fin de l’année prochaine. Dès ce mois-ci, une « convention citoyenne » organisée par le Conseil économique, social et environnemental (CESE) aura pour mission de réfléchir à la question et de faire connaître ses conclusions en vue d’alimenter le débat et, éventuellement, une nouvelle loi.

Avertis par les méthodes de travail très idéologiquement encadrées de la Convention citoyenne pour le climat, on peut presque parier que les propositions de la nouvelle Convention seront largement guidées par les revendications de l’Association pour le Droit à Mourir dans la Dignité (ADMD). Mais il se trouve que le projet en question semble très favorablement accueilli par les Français.

Selon un sondage IFOP effectué à la demande de cette association et publié avant-hier (12 octobre 2022), 78 % d’entre eux espèrent que les travaux de la convention citoyenne aboutiront à faire évoluer la législation dans le sens de l’aide active à mourir.

Le tri par religion montre que les plus réticents, sans y être majoritairement hostiles, sont les catholiques pratiquants (61 %) tandis que les catholiques non-pratiquants sont dans la moyenne. Les citoyens d’autres religions sont à 67 % et les personnes sans religion à 85 %. Côté affiliation politique, les électeurs de Valérie Pécresse lors du 1er tour de l’élection présidentielle de 2022 sont à 58 %, ceux d’Éric Zemmour à 61 %, ceux de Macron et Le Pen à 81 % et 80 % respectivement, et ceux de Mélenchon à 87 %.

Un enthousiasme que l’on ne retrouve pas, loin s’en faut, du côté des soignants les plus directement concernés, ceux qui travaillent au chevet des malades en fin de vie et les accompagnent de leur mieux jusqu’au bout.

Un autre sondage d’avant hier, publié en exclusivité sur le site du magazine Marianne et réalisé par l’institut OpinionWay pour la SFAP (Société française d’accompagnement et de soins palliatifs) auprès de 1 335 personnes exerçant dans des services de soins palliatifs (dont 1 009 soignants et 326 bénévoles) montre sans équivoque qu’ils sont d’une part massivement satisfaits du cadre législatif en vigueur (90 %) et d’autre part presque aussi massivement hostiles (85 %) à l’évolution de la législation actuelle vers l’instauration d’une mort intentionnellement provoquée :

En cas de légalisation de l’aide active à mourir, la modalité qui aurait leur préférence serait le suicide assisté par mise à disposition d’une substance létale – et encore ne sont-ils qu’un petit 25 % à envisager cette solution.

Autrement dit, un rejet clair et net, sous-tendu par le sentiment tout aussi clair et net que la mort intentionnellement provoquée ne peut pas être considérée comme un soin (opinion partagée par 83 % des personnes interrogées) et par la profonde négativité associée à l’idée d’euthanasie parmi les personnels soignants ou bénévoles des services de soins palliatifs (voir document ci-dessous). À tel point que plus des 2/3 d’entre eux envisageraient de faire jouer leur clause de conscience (35 %) ou de quitter leur poste actuel (34 %) si une évolution vers l’euthanasie administrée par un soignant devait effectivement se produire.

À la base de cette hostilité, la forte impression d’être amenés à trahir leur serment d’Hippocrate, la tristesse de constater que ce serait une sorte de désaveu voire un échec de leur mission d’accompagnement des patients et le sentiment désagréable de devoir porter sur leurs épaules une responsabilité qui n’est pas vraiment la leur. Mais également les enseignements tirés de leur expérience auprès des malades en fin de vie.

D’après Christophe Trivalle, chef du service de soins de suite et réadaptation Alzheimer en gériatrie à l’hôpital Paul-Brousse (AP-HP), « les demandes d’euthanasie active sont rares et elles émanent souvent plutôt des proches, des familles en détresse. » Une détresse qu’il conviendrait peut-être de soulager aussi.

Dans cette optique, l’amélioration de la prise en charge des patients en fin de vie, qu’ils soient hospitalisés en soins palliatifs ou dans leur service d’origine, oncologie notamment, ainsi qu’une meilleure connaissance des malades et des familles quant aux possibilités de la loi actuelle et un peu d’anticipation dans les prises en charge sont des pistes de progrès qui reviennent régulièrement dans la bouche des soignants interrogés par Marianne :

« La législation actuelle permet déjà énormément, notamment d’induire un coma médicamenteux, mais la loi est mal connue des citoyens, alors que la qualité des soins dépend aussi de la connaissance qu’ils ont de leurs droits. » (Sarah Dauchy, présidente du Centre national des soins palliatifs et de la fin de vie)

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Quant à l’état de l’offre médicale, la loi Claeys-Leonetti met certes l’accent sur l’accès aux soins palliatifs – et le CCNE réitère cette exigence dans son avis récent – mais force est de constater que comme dans nombre d’autres services hospitaliers, beaucoup reste à faire, beaucoup pourrait être amélioré :

« Les soins palliatifs sont sous-financés, et il y a un manque de formation à l’accompagnement en fin de vie dans tout l’hôpital. » (Christophe Trivalle)

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Sous-financés, peut-être pas, si ce n’est au sens où une mauvaise allocation des ressources couplée à une vision fonctionnarisée de la santé fait que les millions d’euros des nombreux plans de sauvetage successifs de l’hôpital n’empêche pas ce dernier d’être perpétuellement en crise.

Mais bien sûr, comme sur tous les sujets sociétaux en rapport avec la vie, son début, sa fin, il n’est pas de réponse simple, il n’est pas de solution évidente.

Les libertés individuelles et la responsabilité personnelle de faire le choix de sa propre fin de vie sont en jeu, mais faut-il pour autant associer le « droit de mourir dans la dignité » à l’introduction d’une aide active à mourir ? Cette façon de s’exprimer sous-entend qu’il y aurait des façons « indignes » de vivre et de mourir et que la dignité serait l’apanage exclusif des tenants de l’euthanasie active. Elle tend de plus à invisibiliser, écarter les progrès qui pourraient être faits dans l’application de la loi actuelle. 

Ne serait-il pas terrifiant de penser que la « dignité » proposée résulterait pour partie de l’incapacité de l’État à offrir à ses citoyens des services de fin de vie de qualité ? Ne serait-il pas terrifiant de faire de ce sujet de société si important et délicat une sorte de variable d’ajustement des capacités de l’hôpital ? Ce n’est certainement pas ce qui est envisagé par les partisans de l’aide active à mourir. Mais disons que les remarques des soignants méritent d’être entendues. Bref, le débat est lancé.

Cet article a été publié initialement sur le site de Nathalie MP : cliquez ICI

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