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Europe : l’horizon se dégage-t-il pour Emmanuel Macron ?
©FRANCOIS GUILLOT / AFP

Plan de relance européen

Emmanuel Macron semble avoir trouvé un terrain d'entente avec Mark Rutte, le Premier ministre des Pays-Bas, sur le plan de relance économique européen. Angela Merkel a progressé également sur le dossier de mutualisation des dettes européennes. L'horizon se dégage-t-il enfin pour Emmanuel Macron en Europe ?

UE Bruxelles AFP

Jean-Paul Betbeze

Jean-Paul Betbeze est président de Betbeze Conseil SAS. Il a également  été Chef économiste et directeur des études économiques de Crédit Agricole SA jusqu'en 2012.

Il a notamment publié Crise une chance pour la France ; Crise : par ici la sortie ; 2012 : 100 jours pour défaire ou refaire la France, et en mars 2013 Si ça nous arrivait demain... (Plon). En 2016, il publie La Guerre des Mondialisations, aux éditions Economica et en 2017 "La France, ce malade imaginaire" chez le même éditeur.

Son site internet est le suivant : www.betbezeconseil.com

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Bruno Alomar

Bruno Alomar

Bruno Alomar, économiste, auteur de La Réforme ou l’insignifiance : 10 ans pour sauver l’Union européenne (Ed.Ecole de Guerre – 2018).

 
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Atlantico.fr : Alors que le président français Emmanuel Macron semble avoir trouvé un terrain d'entente avec le Premier ministre des Pays-Bas Mark Rutte pour entamer le vaste plan de relance économique européen, la chancelière allemande Angela Merkel semble elle aussi avoir réussi à convaincre la Cour constitutionnelle de revenir sur sa décision d'enterrer l'ambitieux plan franco-allemand de mutualisation des dettes européennes. À défaut de l'être sur le plan national, l'horizon se dégage-t-il enfin pour le président français sur le plan européen ?

Bruno Alomar : Je ne serai pas si optimiste. D’abord, il y a à peine quelques jours, le président de la Bundesbank a assumer préférer se soumettre au droit constitutionnel allemand plutôt qu’au droit européen. Ensuite, un membre important de la Cour de Karlsruhe a initié un débat au cours duquel il a expliqué en quoi la position du tribunal constitutionnel dans son opposition au plan de relance européen était juste. J’ajouterai que Madame Lagarde a été très sérieusement interpellée par deux députés allemands qui s’interrogeaient sur son incapacité à entendre les revendications du Karlsruhe. Je pense sincèrement que la Bundesbank le 5 août prochain cherchera à sortir en partie de la politique monétaire européenne. 

Dès aujourd’hui, des documents faisant le compte rendu des discussions de certaines réunions de la Banque Centrale Européenne vont être rendus publics et la Bundesbank a annoncé qu’elle ferait son analyse de la situation sur ce fondement. Mais il est déjà certain que ces documents vont révéler l’opposition farouche du président de la Bundesbank à ce projet de relance. Je les vois mal changer radicalement d’avis en quelques jours. La grosse épine qui a été planté dans le pied de la politique monétaire européenne par la cour constitutionnelle allemande n’est absolument pas réglée. 

Pour autant, on ne peut pas nier qu’il y a eu une vraie initiative franco allemande, qui a permis de sortir de la sacro sainte idée de l’Union Européenne qui nous disait : « on ne peut pas s’endetter ». À ce titre Emmanuel Macron a marqué des points. Mais que signifient ces points ?

Jean-Paul Betbeze : Oui, l’horizon se dégage, pas seulement pour la France et Emmanuel Macron, mais pour l’Union Européenne dans son ensemble. Le COVID-19, si l’on prend les chiffres de l’OCDE, l’a plus fortement frappée, -10% de chute du PIB environ, que les États-Unis, -8%, avec surtout une reprise plus lente. Ceci est d’autant plus problématique que les moyens mis en œuvre pour en atténuer l’effet et plus encore pour repartir n’ont pas la même ampleur des deux côtés de l’Atlantique. 

En effet, pour lutter contre le virus et permettre la relance, il faut être capable non seulement de mobiliser des déficits budgétaires importants, mais aussi d’avoir une Banque Centrale qui achète largement les bons du Trésor qui viennent de ces déficits. Les États-Unis, dans ce contexte qui obéit certes à des logiques internes (politiques, économiques et boursières), vont vers trois trillions de dollars de déficit budgétaire, avec une banque centrale (la Fed) qui manifeste un soutien indéfectible. La Fed ne pose pas de problème pour acheter les bons d’état, ainsi que les obligations privées, même spéculatives.

En revanche, dans le contexte européen où le choc est ressenti de manière plus forte, les moyens envisagés sont plus limités. C’est particulièrement le cas dans la zone euro où le Covid a considérablement affaibli les économies italienne, espagnole et française (qui peuvent perdre de l’ordre de 12% de PIB en 2020, avec séquelles), les économies espagnole et italienne étant déjà fragiles. Et voilà qu’en plus la Banque Centrale Européenne voit ses moyens contestés par la Cour Fédérale Allemande qui trouve que la BUBA (Banque Centrale Allemande) « en fait trop », en soutenant trop les autres pays. 

Si rien ne s’était passé pour la contrer, le risque était alors que la BUBA ne puisse plus acheter de bon du Trésor allemand et d’autres pays, non plus que soutenir les entreprises privées sur les marchés obligataires. L’Union Européenne, plus touchée par le virus que les États-Unis, avec en son sein certaines économies nationales déjà plus faibles et que les agences de Rating sur le qui-vive, risquait donc gros. Elle se trouvait face à une double limite : celle venant de la BUBA, qui pouvait (au moins) gêner la BCE et celle venant des critères de Maastricht, sur les déficits et la dette. 

Tout le monde, au fond, était conscient de la nasse et a poussé un soupir (interne) de soulagement quand la France et l’Allemagne ont décidé de réagir en augmentant les moyens proposés en termes de dépenses, de crédits et de subventions, ce qui était une façon directe d’aller contre la Cour Fédérale Allemande et les limites de certains états membres de l’Union, les réticences de la Commission Européenne en matière budgétaire ayant pratiquement disparu. 

En un mot, sous le chapeau de l’Union qui s’endette pour compte commun et aurait plus de moyens grâce à des taxations nouvelles, voilà une Union qui distribue non seulement plus de crédits, mais aussi des subventions suite à la dernière proposition de la Commission, qui intègre celles de Macron Merkel, et en rajoutent ! Donc oui : l’horizon se dégage, parce que les responsables européens voient que leur situation actuelle et future sera difficile, surtout s’ils ne font rien par rapport aux autres.

Quels points de blocage au lancement de ce plan européen demeurent malgré ces avancées ?

Jean-Paul Betbeze : Evidemment tout n’est pas résolu, mais il ne s’agit pas de « blocages ». Face à la vision réduite au niveau national que présente la Cour Fédérale Allemande avec le « principe de proportionnalité » ramené à l’échelle du pays, il s’agit en fait d’une avancée de nature fédérale. Ceci se voit dans l’organisation même du projet de la Commission, 1100 milliards d’euros au niveau de la dette de l’Union, plus 750 milliards d’euros pour le programme de résilience-relance, avec 250 milliards de crédits (donc remboursables) et 500 de dons. Ceci a montré à quel point la volonté de riposte était puissante, puisque le projet présenté le 19 juin aux chefs d’état et de gouvernement n’a pas rencontré d’opposition frontale. Depuis, chacun essaye de réduire, de son côté, les difficultés. En Allemagne, le Président de la BUBA précisera à la Cour Fédérale les positions de la BCE et la Chancelière a rencontré le Chancelier autrichien. De son côté, Emmanuel Macron a rencontré le premier ministre hollandais. 

Peu à peu, il s’agira donc de préciser et de discuter. Nous en sommes dorénavant à une phase de mise au point, le principe du projet ayant été accepté. C’est alors qu’arrivent les grains de sable ou pire : 750 milliards d’euros de crédits, n’est-ce pas trop ? 500 milliards de subvention, n’est-ce pas trop ? Comment répartir l’argent aux pays bénéficiaires : pourquoi prendre dans la clé de répartition de crédits et des aides entre pays le niveau relatif de chômage depuis cinq ans alors que le COVID-19 vient d’arriver ? N’est pas une façon d’aider ceux qui étaient déjà faibles ? Rembourser entre 2028 et 2058 : n’est-ce pas trop loin ? Ne peut-on aller plus vite ? Prêter sans conditions ? Sans conditions de respect de l’état de droit (Pologne et Hongrie) et sans engagements de réformes et de sérieux budgétaire (Italie et… France) ? Et ces nouvelles taxes sur le transport aérien, est-ce le moment ? Sur les GAFAM, n’est-ce pas dangereux avec Trump ? Une taxe carbone aux frontières d’accord, mais n’est-ce pas très compliqué ? Et taxer les entreprises européennes ! Les problèmes de « réglage » ne manqueront pas !

Ces négociations ne risquent-t-elle pas de vider le plan de relance de sa substance afin de plaire aux 27 pays de l'UE ?

Bruno Alomar : À mon sens ce projet de relance n’est pas réalisable en l’état. La proposition de la Commission Européenne ne sera très certainement pas celle qui sera acceptée. Les négociations sont dures et cherchent à diminuer au maximum la somme de 750 milliards et d’imposer des règles de conditionnalités telles que la somme soit extrêmement difficile à verser soit de mettre en place des gardes fou sévères pour rassurer les pays opposés à ce projet et leur population d’épargnants. Le plan européen serait-il approuvé en juillet ? Je le pense, mais à un niveau d’ambition réduit par rapport à ce qu’il est aujourd’hui.

J’ajouterai que ces 750 milliards proposés ne représente qu’à peine 5% du PIB annuel de l’UE. Ce n’est pas de l’argent magique, il vient des épargnants européens. Cet argent sera-t-il vecteur de croissance, de bonnes décisions d’investissement budgétaire dans les mains de la Banque Centrale plutôt que de rester dans les poches des épargnants européens ? Je n’en suis pas du tout convaincu… Si les pays les plus endettés étaient les pays les mieux gérés dans l’UE ça se saurait. De plus, L’Italie va faire un saut de dette publique de 20% à 30% dans les prochains mois. Ce n’est pas du tout à la hauteur des enjeux. C’est une rustine pour acheter du temps, mais qui ne règle pas le problème fondamental de la construction européenne et notamment de l’euro qui accentuent les divergences de performance économique entre les différents états qui composent l’UE. La divergence des économies, à terme, c’est la mort de l’Europe.x

Jean-Paul Betbeze : Et oui : nous ne sommes pas sortis de l’auberge ! Mais la crise du COVID-19 va durer : il ne s’agit donc pas d’un « exercice » européen, mais de faire un saut pour que la croissance rebondiss avec le moins de séquelles possibles par rapport à une Chine qui semble elle repartie et des États-Unis qui prennent plus de risques que nous. Dans ce contexte, il y a toujours le risque de raboter, de faire trop peu ou trop tard. Mais c’est oublier que le 1er juillet Angela Merkel devient présidente de l’Union Européenne et que, avant de quitter la scène, politique elle fera tout pour réussir, sans être seule. Rien n’est fini, ni gagné. L’Europe en a vu d’autre, surtout la zone euro joue sa place mondiale. Attention : l’histoire ne repasse pas les plats.

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