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Europa City : un échec qui en dit long sur l’état de la société française
©ALAIN JOCARD / AFP

Investissements perdus

La schizophrénie gouvernementale a encore frappé : sous les coups de boutoirs des écologistes, des commerçants déjà installés, et d’un président de la République toujours aussi invertébré, le projet Europa City a donc été abandonné.

Hash H16

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H16 tient le blog Hashtable.

Il tient à son anonymat. Tout juste sait-on, qu'à 37 ans, cet informaticien à l'humour acerbe habite en Belgique et travaille pour "une grosse boutique qui produit, gère et manipule beaucoup, beaucoup de documents".

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Le problème actuel de nos dirigeants est que, n’ayant aucune colonne vertébrale politique, il leur est difficile de suivre un cap. Alors oui, certes et en effet, la lutte contre la misère, le chômage et la désindustrialisation française font partie de leurs objectifs affichés. Mais oui, certes et en effet aussi, se trouvent aussi dans leurs objectifs la lutte pour un environnement sain, des pâtures vertes et joyeuses, des campagnes sans béton et une intense limitation de l’impact environnemental de toutes nos activités économiques et industrielles.

Inévitablement, cette schizophrénie permanente de nos pouvoirs publics se traduit par des chapelets de décisions absurdes et contre-productives. On l’a déjà amplement noté avec cette frénésie de contraintes sur la voiture d’un côté et, de l’autre, ce désir affiché de voir les grands constructeurs automobiles français continuer à grossir et créer de l’emploi. C’est parfaitement paradoxal mais ça ne gêne que le contribuable, chargé de payer pour ces deux politiques antagonistes (en pure perte, donc).

Il en va de même avec le développement de projets commerciaux : d’un côté, tout le monde comprend que ces projets de centres aménagés, faciles d’accès, où les places de parking sont nombreuses, bien conçues et gratuites et où des douzaines de commerces différents peuvent avantageusement se regrouper, permettent de créer de l’emploi, de générer des affaires et de la richesse pour toute une région. De l’autre, il est relativement impossible de réaliser ces projets sans bétonner des champs et réaménager ce qui était des campagnes.

La schizophrénie gouvernementale a, là encore, frappé : sous les coups de boutoirs des écologistes, des commerçants déjà installés, et d’un président de la République toujours aussi invertébré, le projet Europa City a donc été abandonné.

Ce projet de complexe commercial regroupant des loisirs, des équipements culturels, des commerces, des hôtels et restaurants ainsi qu’un parc urbain et une ferme urbaine, qui aurait pu voir le jour en 2027 dans le Val d’Oise, a finalement été enterré il y a quelques jours par Emmanuel Macron : jugeant dans son âme et conscience jupitérienne que le projet était à présent « daté et dépassé », il a décidé de ne pas poursuivre ce projet qui n’était pas le sien.

Dit autrement, par décision du Prince, les promoteurs du projets devront donc abandonner purement et simplement leur velléité de tout développement dans le Val d’Oise puisque l’État s’y opposera officiellement même si ce dernier avait jusqu’à présent marqué son accord. Que voulez-vous, en France, tout, depuis les terres agricoles jusqu’aux permis de construire, dépend ultimement de l’État qui assure avec brio, c’est évident, que tout se passe bien, pour tout le monde, en tout lieux et en tous temps.

Ici, on pourrait verser une petite larme sur les milliers d’emplois qui ne verront pas le jour, ni sur les trois milliards d’euros que représentait ce projet et qui ne seront donc pas dépensés pour que ce développement ait lieu et qui aurait ainsi directement bénéficié à cette région.

Inversement, on pourra choisir de se réjouir sur les terres agricoles qui sont ainsi « préservées », c’est-à-dire qui continueront d’être utilisées (ou non) alors que la France (et l’Île-de-France en particulier) n’est déjà plus auto-suffisante depuis quelques années sur ce plan, ce qui ne changera donc rien à sa situation.

Quoi qu’il en soit, on devra faire le deuil des investissements privés qui était prévus à la base.

Rassurez-vous cependant, le Chef de l’État a clairement fait comprendre que l’abandon de ce projet ne signifiait pourtant pas la fin de tout investissement puisque, youpi, il a aussitôt évoqué un « projet alternatif », c’est-à-dire « plus mixte, plus moderne, sans créer un pôle démesuré de consommation, de loisirs et d’objets », dont la réalisation sera confiée à des élus locaux et à un ancien directeur de l’Atelier parisien d’urbanisme. Autrement dit, le gros projet réalisé sur fonds privés dirigé par des professionnels du métier sera remplacé par un projet marginalement plus petit dirigé par des fonctionnaires et des politiciens, le tout sur fonds publics.

Du reste, on peut raisonnablement douter que ce projet alternatif ne soit rien d’autre que du vent destiné à calmer les cris des élus locaux dépossédés des 10.000 emplois qu’Europa City comptait créer. D’autant que, pendant ce temps, on apprend – pas trop surpris – qu’Europa City et ses promoteurs envisagent sérieusement de s’installer du côté de Londres : apparemment, Londres a appelé les investisseurs du projet actuel (Ceetrus, la filiale immobilière du groupe Auchan, ainsi que le groupe chinois Wanda) pour leur proposer de faire naître le projet dans la banlieue de la capitale britannique.

Les trois milliards d’euros ne seront donc pas perdus pour tout le monde, et le Brexit à venir garantira qu’une bonne partie de ceux-ci ne reverront jamais le sol français.

Cette petite mésaventure pourrait s’arrêter là. Nous sommes en France et il n’en est donc rien.

Outre l’air chaud qui sera brassé (pour un coût modique, rassurez-vous !) par le projet plus ou moins bidon laissé en pitance par Emmanuel Macron pour faire passer sa décision autoritaire, l’abandon d’Europa City laisse les élus locaux à leurs promesses maintenant vides de nombreuses créations d’emplois et d’un pôle d’attractivité économique évident.

Devant la multiplication de leurs cris, auxquels s’ajoute la douleur de l’évaporation d’une rentrée de taxes fraîches ainsi que, ne nous leurrons pas, une source discrète de petits pots-de-vins qu’accompagnent toutes les grandes réalisations immobilières dans le pays, la présidente de la région Île-de-France s’est empressée de monter au créneau pour rassurer les foules de pleureuses.

Afin de corriger le tir macronien, Valérie Pécresse entend lancer un grand plan d’urgence dans le Val d’Oise en prévoyant « un milliard d’euros d’investissement sur le Val-d’Oise dans les années à venir ». Ce « plan d’urgence pour le 95 », c’est-à-dire des crédits supplémentaires sur cinq à dix ans, portera sur une série de mesures thématiques pour le département, dans le transport, la formation et d’autres aspects comme la création d’un nouveau lycée international à Garges-lès-Gonesse, le développement d’un campus sécurité à Argenteuil, un nouveau CFA des métiers de l’aéronautique, …

À ceci s’ajoute une vingtaine de millions d’euros sur deux ans en faveur de la rénovation et de la construction de lieux culturels. L’argent du contribuable servira aussi à « financer à 100 % le permis de conduire des jeunes val-d’oisiens accompagnés par les missions locales et les écoles de la deuxième chance », argent public qui sera – je présume – récupéré par l’État en PV et autres contredanses. Malin.

Bref, que le projet Europa City soit ou non annulé, peu importe : le contribuable en sera de sa poche.

En pratique, toute cette affaire illustre à merveille les maux français : l’incapacité des politiciens à avoir une vision claire et dont les changements d’avis coûtent finalement des fortunes aux contribuables, l’importance maintenant inquiétante des lobbys de toutes sortes qui influencent sur la vie économique du pays au point de la paralyser, la haine clairement rabique de toute concurrence par les gens installés, une incapacité chronique à se remettre en cause ou à s’adapter, et surtout l’absolue nécessité de faire intervenir l’État partout, tout le temps.

Or, plus on fait intervenir l’État, plus il devient coûteux de se remettre en cause et de s’adapter ; plus la concurrence devient alors mortelle ; plus le lobbying devient indispensable pour conserver un statu quo que le réel finit par emboutir à coup de chômage, de misère et de taxations folles… Qui accroissent en retour le besoin d’intervention de l’État.

Ce pays est foutu.

Article publié initialement sur le blog de H16

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