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Etats-Unis / zone euro : le match des mesures économiques face au Coronavirus
©Reuters

Coronafinance

Face au Keynésianisme américain en période de crise permettant de protéger les équilibres économiques du pays, l'Union Européenne se démarque par son apathie et son manque de solidarité.

Mathieu Mucherie

Mathieu Mucherie

Mathieu Mucherie est économiste de marché à Paris, et s'exprime ici à titre personnel.

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Bruno Alomar

Bruno Alomar

Bruno Alomar, économiste, auteur de La Réforme ou l’insignifiance : 10 ans pour sauver l’Union européenne (Ed.Ecole de Guerre – 2018).

 
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Atlantico : La Banque Centrale Américaine a pris lundi des mesures sans précédent, annonçant entre autres le rachat illimité des créances publiques. Qu'est-ce que cela signifie concrètement ? 

Mathieu Mucherie : La Fed est intervenue à deux reprises ces jours derniers.  Il y a eu des mesures importantes en termes de lignes de crédit, en termes de lignes de swap car comme je le dis depuis des années, cette planète manque de dollars et donc évidemment dans cette situation de crise, il y a un run vers le dollar. Il fallait approvisionner le monde entier en dollar au travers d’accords avec la Banque Centrale. Et la Fed a aussi innové en achetant du crédit, ce qu'elle ne faisait pas autrefois élargissant ainsi son périmètre d'achats d'actifs.

En plus de cela, elle a également innovée en développant des nouvelles lignes (bourses étudiants, compartiments de marché etc.) Elle se dirige plutôt vers le consommateur, vers la PME et ne fait pas qu’arroser les banques. C'est tout azimut au final, c'est les taux d'intérêt, les achats d'actifs, des lignes de crédit, des lignes de devises... Bref, elle arrose à tout va ! Et évidemment, c'est assez impressionnant puisque qu’elle fait tout cela en quelques jours. Maintenant, il ne pas oublier que c'est ce qu'on réclamait de sa part depuis plusieurs années. Un QI 4 couplée à une baisse des taux, couplée à un renforcement de la forwardguidance, c'est ce que j'aurai aimé qu'elle fasse en 2018 ou 2019 face au ralentissement global. Là, elle va forcément un petit peu plus loin et un peu plus fort et c'est normal en temps de crise de coronavirus.

Pour avoir une idée de l'ampleur de la crise, il faut se fiere à se que disent aujurod'hui les banques d'affaire, y compris les plus optimistes : au deuxième trimestre de 2020, la croissance américaine - c'est une croissance trimestrielle déguisée - est estimée à - 14% par JP Morgan, à – 24% par Goldman Sachs et à - 30% par Morgan Stanley. Les trois plus grosses banques d'affaires américaines tablent sur un deuxième trimestre aux Etats-Unis qui va être proche d’Armageddon. C'est pire que tout ce qu'on a connu  : c'est pire que 1946, que 1958, que 1982 et pire que 2008. C’est le pire trimestre en temps de paix, du jamais vu ! 

C’est une incertitude, c’est une crise d’un genre nouveau, une crise globale, une crise où les gens ont besoin de liquidités et où évidemment il fallait agir très vite et très fort. Si l’on oublie qu’avec le contexte de coronavirus et qu’on se dirige vers une chute verticale de l’activité, si on faisait abstraction de tout cela, on pourrait dire que la Fed a fait beaucoup de choses. En réalité, elle est simplement présente. Elle nous rassure un peu. La nouveauté est qu’elle est en lien avec l’autorité budgétaire, avec le Trésor pour une approche plus coordonné et donc plus efficace.

Bruno Alomar : D'abord, cela signifie que l'ampleur de la crise actuelle, pour les États-Unis, est comparable à celle de 2008 ou à celle de 1929. C'est ce qu'illustrent les mesures prises par la FED. Or, jusqu'à présent, ce n'était pas évident puisqu'un certain nombre d'experts en doutaient encore, considérant qu’il s’agirait d’un mauvais moment à passer mais qu’une reprise rapide (dite en « V ») interviendrait.

Maintenant, en termes d'emploi des fonds débloqués, rien n'est encore clairement défini, puisque la FED a annoncé "le rachat illimité des créances publiques" : par définition il n'y a donc pas, pour l'heure, d'échelle établie. Mais, bien entendu, ce rachat ne sera pas, dans les faits, illimité ni en termes de quantité -l'argent ne pousse pas sur les arbres- ni en termes de qualité. Un arbitrage va être fait en fonction des priorités : soit on choisit de faire en sorte que le système financier soit préservé, soit on privilégie les entreprises en faisant en sorte que leurs éventuels problèmes de liquidités ne deviennent des problèmes de solvabilité.

Les mesures annoncées sont-elles les bonnes ? Pour l'instant, il est impossible de le savoir, seul le temps et une expertise plus détaillée le diront. 

Alors que les Etats-Unis réagissent donc promptement, l'Europe elle semble peiner à se décider puis qu’hier l’Eurogroupe n'a pas réussi à prendre de décision commune. Comment expliquer cette profonde différence dans l'approche alors que les US comme l’Europe sont confrontés au spectre d'une grave économique ? Met lumière absence de solidarité eu UE face aux usa qui fait des grands plans de relance ?

Mathieu Mucherie : Il y a eu une réponse de la BCE, il ne faut pas la nier. Je ne parle pas des institutions européennes puisqu'elles sont inexistantes, ni de l'Eurogroupe qui a été désigné pour ne rien décider. L'Eurogroupe en théorie devrait décider des taux de change, or il a été dépossédé des taux de change par une OPA institutionnelle organisée par Jean-Claude Trichet et depuis, il ne sert à rien. La Commission européenne sert à presque rien tout comme la quasi-totalité des institutions européennes. Schengen a été démantelé en quelques heures par les Allemands et les Autrichiens et le reste est à l'avenant.

En fait il n’y a qu'un seul pilote, la BCE. Ce qui est triste parce que c'est un pilote indépendant donc pas très démocratique et en plus pas réputé pour être très compétent. Le reste c'est de l'agitation politicarde et ça n'a aucun sens. Ou alors c'est de la réaction nationale mais non coordonnée. Ou alors ce sont des rêves, des vœux pieux sur des eurobonds. Cette ‘réaction BCE’ on peut la juger de deux façons. On peut se dire « c'est mieux que rien » et effectivement elle a fait un geste. Il est vrai qu'au début Lagarde a fait une erreur sur les spreads italiens, laquelle a ensuite été corrigée dans les jours qui ont suivi. La BCE a donc fait un effort, mais évidemment par rapport à l'ampleur de la crise, c'est trop peu. D'autant plus, que malheureusement, les autorités nationales ne sont pas coordonnées entre elles dans leur réponses budgétaires et qu’effectivement la Commission ne fait même pas les gestes réglementaires qu'elle devrait faire et qui ne coûte pourtant pas grand-chose…

Si elle était efficace, la BCE  pourrait par exemple débloquer un certain nombre d'éléments qui encadrent les crédits, mais elle ne fait rien et, dès lors, la BCE est seule en lice et fait le minimum. Et pourquoi le minimum ? Parce que le marché me l'indique : tout d'abord c'est l'Europe qui souffre le plus donc le marché, quelque part, nous dit que l'Euro est trop cher. Ensuite, le marché nous dit dans ses anticipations d'inflation que dans les cinq prochaines années il ne croit plus à la cible d’inflation de 2% par an de la BCE puisque le marché price à 0,8%. C’est ce que l’on appelle le désencrage des anticipations et c’est très grave. Et puis on sent bien que la crise va être terrible. Même le gouvernement allemand - qui est plutôt réputé pour être optimiste dans ses prévisions - dit que sur l'ensemble de l'année 2020, on va faire moins de 5% de croissance. La France sera à peu près à -3%, -4%. Et la réponse de la BCE est juste la réponse que je voulais voir en 2018-2019 face au ralentissement global. C’est le minimum. Il n’y a toujours pas eu de baisse de taux et surtout il n'y a pas d'innovation monétaire ! On pourrait s'attendre à ce que justement il y ait une meilleure coordination avec le budgétaire, tendre vers la monnaie hélicoptère ou alors on pourrait s'attendre à des innovations comme par exemple étendre le champ des actifs éligibles achetés par la BCE. On pourrait imaginer une BCE qui achète des actions. Je n’ai rien vu dans le traité européen qui empêche la BCE d'acheter des actions. On pourrait imaginer tout un tas de choses qui entrainerait un euro moins fort et qui ferait que les marchés seraient davantage rassurés. La BCE ne fait que le strict minimum pour que quelque part il y ait diffraction du blâme et qu'on ne lui reproche pas la crise à venir.

Bruno Alomar : Le peu de réactivité, sur le moment, de l'Union Européenne ne devrait pas être une surprise. L'Union Européenne n'est pas un pays, c'est une constellation d'États qui ont des intérêts différents et qui ont un sentiment d’appartenance commune infiniment moindre que les États-Unis d'Amérique, qui sont, eux, un vrai État fédéral, une vraie Nation.

Plus profondément, cette crise intervient alors que les États-membres de l’Union européenne demeurent divisés sur la zone euro. Très schématiquement, rien n’a changé depuis 2008 et la crise du subprime.

D’un côté, avec pour chef de file la France, les États du Sud poussent pour une intégration plus grande de la zone euro. La France a fait assaut de volontarisme au cours des dix dernières années, Emmanuel Macron s’inscrivant dans les pas de ses prédécesseurs. Il n’a rien obtenu au-delà de quelques symboles (déclaration minimaliste à Mesersberg)

D’un autre côté, avec pour chef de file l’Allemagne, les États du Nord de l’Europe rejettent – avec succès - toutes les propositions françaises car la France et les États du Sud n’ont, pour Berlin et La Haye notamment c’est la clé, pas fait la preuve de leur sérieux économique, budgétaire et financier.

Ce qui est frappant, c’est que malgré le lyrisme que l’on entend souvent à Paris, rien n’a véritablement progressé depuis 10 ans. La France fait comme si elle n’avait pas à respecter les critères de Maastricht (et elle ne les respecte pas), et, avec d’autres, continue allègrement de dépenser trop. L’Allemagne, dont il faut rappeler qu’elle avait condamné les politiques monétaires expansionnistes mises en œuvre à partir de 2008 et accentuées par Mario Draghi (le « whatever it takes »), ne change pas non plus : le Ministre des finances allemand a rappelé avant hier qu’une fois la crise passée, l’Allemagne reviendrait au déficit zéro. C’est un fossé infranchissable.

J’ajoute que cette crise du coranavirus survient alors que Mario Draghi a laissé une BCE plus divisée que jamais, que c’est la gestion de l’euro « à la sauce franco italienne » qui a fait renaître une extrême droite en Allemagne (AFD), que la France et l’Allemagne n’ont plus rien d’un couple comme l’a montré l’opposition totale sur le traitement de la Grèce en juillet 2015 etc. En un mot : la crise intervient alors que l’UE, et en son sein la zone euro, sont plus fragiles que jamais.

La BCE a débloqué 750 mds la semaine dernière, mais la France, l'Italie et l'Espagne pense qu'il est important d'aller plus loin pour répondre ensemble aux ravages économiques occasionné par l'épidémie de coronavirus. L'une des solutions évoquées serait la mise en place du mécanisme européen de stabilité créé en 2012. Qu'est-ce que cela impliquerait ? Qu'elles autres solutions sont envisageables ?

Mathieu Mucherie : Ce MES est ni fait ni à faire et a été concocté dans l’urgence au début de la décennie afin de faire face à une situation qui n'avait pas grand-chose à voir avec la situation actuelle. C'est extrêmement problématique parce qu'il est attaché à un fort niveau de conditionnalité et il faudrait enlever la conditionnalité de ce mécanisme, tout refaire. Franchement ce n'est pas la réponse à la crise actuelle, en aucune façon.

La réponse à la crise actuelle c'est d'aller soit vers une coopération plus forte entre budgétaire et monétaire, mais évidemment la BCE n'en veut pas car c'est contraire à sa vision, à son indépendance. Elle se dit que si elle ne va pas dans cette voie, ça va s’institutionnaliser et quelque part à chaque fois qu'il y aura une crise on lui demandera de travailler étroitement avec les budgets nationaux ou avec le budget européen en gestation et donc ça la privera de son pouvoir discrétionnaire.

Son indépendance a toujours primé sur toute autre considération tactique ou stratégique y compris pour sauver des millions de chômeurs, il ne faut pas l’oublier. Et puis il y a une autre voie qui la voie, celle des taux ultra-négatifs ou alors encore mieux la voie de l'annulation d'une partie de la dette. Mais là, évidemment, c'est contraire à son indépendance. Il y a des blocages très forts et vu l'amplitude de la crise, c'est vers ces voies-là qu'il faut aller chercher les solutions, pas avec le MES ou autres.

Bruno Alomar : Ces deux États -contrairement à plusieurs autres pays- n'ont pas remis leurs finances publiques en ordre (pour mémoire, derniers chiffres publics Eurostat : dette publique France 98% du PIB, Italie 132 %, Allemagne 61%) ces dernières années et cherchent donc des solutions à tout prix. Je rappelle, toujours selon Eurostat, que 80% du montant du déficit budgétaire total de l’euro zone en 2019…c’est la France !

Pour le dire autrement, pour les Allemands, faire un plan de relance gigantesque de 10% ou 15% du PIB, dans la mesure où ils ont reconstitué des marges de manœuvre budgétaires, ce n'est pas un problème. Mais pour nous les Français, ou pour les Italiens, c'est un problème. Car une fois que cette crise sera passée, nos créanciers n’auront pas de raisons de nous faire des cadeaux : ils regarderont notre situation « à froid » et le réveil risque d’être douloureux.

Ce que cela révèle, j’y reviens, c’est que ni la France ni l’Italie n’ont pas mis à profit l’argent peu cher offert par la BCE au cours des 10 dernières années pour se réformer. C’est une faute majeure !

Pour revenir à la zone euro dans son ensemble, le danger qui guette désormais, c’est une paralysie qui ne signifie pas la fin de la zone euro. Personne, pas même les italiens, ne veut en sortir. C’est juste une zone monétaire sous optimale, qui a vocation à le rester.

Le point essentiel, de mon point de vue n’est d’ailleurs pas celui-là. Le point essentiel c’est que le recours massif aux instruments de politique économique conjoncturelle, même s’il se justifie en période tendue comme actuellement (le policy mix : budget et monnaie), fait perdre de vue que ce qui fait la croissance et la prospérité, ce sont les travailleurs et leur productivité. Feu John Mc Cain l’avait très bien dit en 2008 : c’est la capacité de travail du peuple américain qui surmontera la crise. Il est temps de se guérir de l’idée que les solutions sont dans un grand coffre-fort à Francfort ou à Bruxelles, comme a osé un jour le dire le Ministre des affaires étrangères espagnol lors de la crise des dette souveraines, comme si l’argent européen était gratuit et comme s’il n’était pas, in fine, l’argent des contribuables : la solution est en nous. C’est, hélas, inaudible en temps de panique et à une époque où nous avons inconsidérément laissé les marchés financiers se développer à l’excès, et donner le la de l’état de nos économies…

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