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Et si jamais Trump gagnait la présidentielle américaine, quel impact pour la France et l’Europe ?
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Politique fiction

Donald Trump s'est incliné cette nuit face à Ted Cruz dans la primaire républicaine de l'Iowa, premier Etat à voter dans la course à l'investiture. Pour autant, rien est encore joué.

André Bercoff

André Bercoff est journaliste et écrivain. Il est notamment connu pour ses ouvrages publiés sous les pseudonymes Philippe de Commines et Caton.

Il est l'auteur de La chasse au Sarko (Rocher, 2011), Qui choisir (First editions, 2012), de Moi, Président (First editions, 2013) et dernièrement Bernard Tapie, Marine Le Pen, la France et moi : Chronique d'une implosion (First editions, 2014).

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Alexandre del Valle

Alexandre del Valle

Alexandre del Valle est un géopolitologue et essayiste franco-italien. Ancien éditorialiste (France SoirIl Liberal, etc.), il intervient dans des institutions patronales et européennes, et est chercheur associé au Cpfa (Center of Foreign and Political Affairs). Il a publié plusieurs essais en France et en Italie sur la faiblesse des démocraties, les guerres balkaniques, l'islamisme, la Turquie, la persécution des chrétiens, la Syrie et le terrorisme. 

Son dernier ouvrage, coécrit avec Jacques Soppelsa, Vers un choc global ? La mondialisation dangereuse, est paru en 2023 aux Editions de l'Artilleur. 

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Atlantico : Au vu des premiers résultats de la primaire américaine, posons l'hypothèse d'une victoire finale de Donald Trump aux élections présidentielles : quel impact aurait celle-ci sur la politique étrangère américaine vis à vis de la France et de l'Europe ?

Alexandre del Valle : La première remarque c’est que Donald Trump serait obligé de de se montrer plus raisonnable, de modérer un certain nombre des propos et des considérations qu’il développe depuis le début de sa campagne. Il y a chez lui un génie du marketing et du buzz qui fait que, pour que sa campagne lui coûte le moins possible, il a mené une campagne provocatrice pour exister et être au centre des débats sans dépenser les sommes colossales que cela exige habituellement. 

La deuxième remarque, c’est que même s’il fait du marketing, il est fondamentalement politiquement incorrect. Il pourrait donc trouver des affinités avec certains pays européens gouvernés par des personnalités sur une ligne politique se rapprochant de la sienne. Il pourrait ainsi opérer un rapprochement avec la Pologne par exemple, qui a une politique étrangère très atlantiste, et dont les dirigeants actuels sont sur une ligne politiquement incorrecte. C’est un pays stratégiquement important dans la région. Il pourrait également renforcer les relations avec un pays d’importance moindre comme la Hongrie, dirigée par Viktor Orban. Les dirigeants de ces deux pays sont un peu les « parias » de la Commission européenne qui leur reproche des dérives soi-disant contraires aux valeurs de l’Europe. 

Il est probable qu’il serait également moins pro-Turc que ses prédécesseurs qui ont tous fait un lobbying extrêmement actif pour pousser les Européens à accepter cette candidature, alors qu'elle affaiblirait l’Europe. 

Vis-à-vis de la France, il aurait certainement des critiques à émettre, mais il n’est pas certain qu’il soit en désaccord total avec ses positions. Les Etats-Unis et la France n’ont jamais eu intérêt à se brouiller. Paradoxalement, la France est plutôt pour un rapprochement avec la Russie et depuis le général de Gaulle, elle a toujours été considérée comme sceptique à l’égard des Etats-Unis, voire anti-américaine. Dans les faits, il en est tout autrement. De Gaulle n’a jamais rien fait contre l’Amérique dont il a toujours été solidaire. Je pense donc que Trump ne romprait pas avec l’amitié très ancienne et très forte avec la France. Il se rapprocherait également de l’Angleterre, qui, qu’elle demeure dans l’Union européenne ou qu’elle en sorte, restera toujours un pilier de la domination américaine dans le monde.   

André Bercoff : Le slogan de Donald Trump "Make América great again" est très révélateur de son état d'esprit. Il veut reconstruire l'Amérique comme il conçoit ses tours, ses gratte-ciels et ne regardera que les préoccupations des Etats-Unis. Il aura à cœur de défendre les intérêts de son pays comme il a à cœur de défendre ceux de sa gigantesque entreprise. Sa politique envers l'Europe et la France ne sera donc imaginée qu'en fonction des intérêts des USA. Il mènera une real politique loin des sentiments ou des amitiés.

Comparée à la politique étrangère d'Obama, il se distinguera par deux aspects très nets :

-      Donald Trump et Baracl Obama ne manient pas l'art de la négociation de la même façon. Le premier n'abattra pas ses cartes en amont. Il n'annoncera jamais à l'avance ce qu'il a l'intention de faire sur la scène internationale.

-      Les relations avec Poutine seront beaucoup plus pragmatiques. Avec Donald Trump, je crois que tout est possible.

Il s'est déclaré contre toute forme d'immigration – rappelez-vous qu'il aimerait construire un mur à la frontière mexicaine. Le candidat républicain est anti-clandestin et le sera autant pour l'Europe que pour l'Amérique. Nous pouvons envisager des rapprochements avec les pays prenant des décisions qui peuvent être cohérentes avec ses propres valeurs et par conséquent opposées à l'immigration. Il pourrait par exemple se rapprocher de la Hongrie et de la Pologne. D'ailleurs, nous pouvons nous interroger sur la position qu'il aurait tenue sur la Crimée. Je ne suis pas certain qu'il aurait été en accord avec Obama.

En outre, Donald Trump met l'accent sur la puissance militaire. A travers ses discours, il accuse le fait que l'Amérique se soit dégradée dans tous les domaines, dont le militaire. Elle est aujourd'hui un pays de perdants et elle doit redevenir une nation de gagnants. Et sur ce point, il n'hésitera pas à construire l'armée la plus puissante pour ne pas avoir à s'en servir.

Si Donald Trump entrait à la Maison Blanche, quelles seraient les différences majeures entre la politique extérieure qu'il mènerait et celle qu'​aurait menée Hillary Clinton à sa place ?

Alexandre del Valle : Je crois qu’Hillary Clinton est particulièrement passionnée par le thème de la guerre économique, de la politique étrangère, et qu’elle est foncièrement islamophile et politiquement correcte à la différence de Trump, donc à l’opposé sur tous les plans. Elle apporte beaucoup d’importance à la question des exportations , de la place des Etats-Unis dans le Pacifique et en Asie, de la relance de l’industrie américaine etc. Par ailleurs, elle adhère à un camp qui est traditionnellement très interventionniste et très moraliste en matière de géopolitique et de relations internationales. Donald Trump pour sa part semble plus porté sur la realpolitik et une tendance isolationniste. 

Ensuite, Hillary Clinton concentre sa diplomatie sur l’Asie dans le cadre de la guerre économique qui fait rage entre les Etats-Unis et la Chine. De son côté, Trump semble plus focalisé sur le danger de l’islamisme radial et de la stabilité au Moyen-Orient qui est une zone qu’il ne délaisserait pas s’il venait à être élu président des Etats-Unis même s’il n’est pas interventionniste. Il y a fort à parier qu’il mènerait avant tout une politique pragmatique qui le ferait notamment garder de bonnes relations avec les pays du Golfe dans l’optique du contrôle du nerf de la guerre qu’est le pétrole, et ce, malgré les visions très anti-islam qu’on lui prête.

André Bercoff : Hillary Clinton - comme Première Dame des Etats-Unis pendant huit ans et comme secrétaire d'état auprès d'Obama par la suite - connait les chefs d'Etat de la terre entière et les rapports de force qui s'exercent dans le monde. Je ne prétends pas que Donald Trump n'y connait rien. Néanmoins, sa carrière ne l'a pas emmené dans les mêmes milieux qu'Hillary Clinton. Cela ne veut pas dire pour autant qu'ils seront aux antipodes l'un de l'autre en termes de politique étrangère. Donald Trump sera beaucoup plus pragmatique tandis qu'Hilary Clinton sera plus dépendante de ses relations qui pourront interférer dans ses décisions.

Indirectement, et au regard du positionnement actuel de Donald Trump vis-à-vis de la Russie, quelles seraient les conséquences d'un rapprochement entre la Russie et les Etats-Unis pour l'Europe, et pour la France ?

Alexandre del Valle : Donald Trump a effectivement laissé penser qu’il était favorable à un rapprochement des Etats-Unis avec la Russie. Il n’est pas anti-Russe comme le fut McCain il y a quelques années, face à qui Obama paraissait être l’homme qui voulait tendre la main à la Russie (« Reset"). Dans cette élection, Donald Trump est celui qui a été le moins critique vis-à-vis de Poutine, et même parfois le plus élogieux. 

Cela changerait beaucoup de choses pour l’Europe et l’Occident. Cela permettrait une construction européenne moins conflictuelle. En effet, ce qui divise actuellement les Européens c’est le fait qu’une partie d’entre eux est passionnément atlantiste et anti-russe, quand une autre est plutôt distante à l’égard des Etats-Unis et favorable à l’établissement de liens privilégiés avec la Russie. Cette fracture serait moins nette si le président des Etats-Unis était moins anti-russe. 

Le bémol que l’on peut apporter à cette éventualité d’un rapprochement américano-russe, c’est qu’il n’est pas certain que les stratèges américains y voient un intérêt, au-delà des affinités du président des Etats-Unis. Par ailleurs, il est fort probable que si ce rapprochement avait lieu, il serait vite remis en question par le successeur de Donald Trump. Il s’agirait d’une sorte d’anomalie passagère dans la stratégie américaine dont la vocation est par essence d’empêcher le géant russe et son partenaire chinois de contrôler le heartland, le coeur de l’Eurasie à contenir (« contain »)/endiguer. 

André Bercoff : Le souci est que l'Europe ne s'exprime pas d'une seule voix. Elle est divisée. La question des migrants en est la preuve. Si l'Europe n'est pas forte, Donald Trump n'ira pas à son secours pour la défendre. Je ne crois pas qu'un rapprochement entre la Russie et les Etats-Unis aura des conséquences majeures pour l'Europe. Donald Trump restera dans un rapport de force permanent.

Un tel changement politique, qui signerait la victoire du candidat "hors système" par excellence, pourrait-il influer sur la politique intérieure de la France et des autres pays européens ? Faut-il craindre une légitimation des populismes ou une réaction inverse ?

Alexandre del Valle : Je pense que si la première puissance du monde et leader de l’Occident venait à avoir à sa tête un populiste si politiquement incorrect – même si je suis convaincu qu’il sera obligé de se modérer – cela aurait pour effet de crédibiliser certains leaders populistes européens encore considérés comme des parias même quand ils ne sont pas issus de l’extrême-droite à la différence de Haider ou les Lepen. Ils pourraient s’appuyer sur l’élection de Donald Trump pour dire « vous voyez, non seulement nous sommes au pouvoir en Pologne, en Hongrie, en Autriche ou en Italie, mais la première puissance mondiale n’a elle-même pas hésité à mettre un populiste au pouvoir. » Et comme il est probable qu’il gouvernerait de manière bien plus raisonnable que la manière dont il a mené sa campagne afin d’attirer l’audimat à peu de frais, les populistes pourront arguer que leur arrivée au pouvoir n’est pas pour autant un danger pour l’humanité. Cela fait écho au message qu’a voulu faire passer Viktor Orban en communiquant récemment sur sa poignée de main avec son homologue indonésien musulman afin de montrer que le fait d’être le paria de l’Union europe et d’être accusé de xénophobie ou d’islamophobie en raison de propos radicaux sur l’immigration ne signifie pas être en faveur du choc des civilisations ou dangereux et coupé du monde non-occidental.
Une fois au pouvoir, certains populistes se révèlent parfois bien plus raisonnables qu’ils ne semblent l’être quand ils sont en campagne et usent de slogans à l’emporte-pièce. L’exercice du pouvoir en lui-même impose de la modération. On peut aussi rappeler la peur que suscitèrent jadis deux leaders israéliens de droite (Likoud), Menahem Begin et Ariel Sharon, et qui, à peine arrivés au pouvoir, firent plus pour la paix ou la restitution de territoires que leurs rivaux de gauche réputés modérés et plus « tolérants » qu’eux.

On peut également comparer cet effet avec celui qu’a provoqué Nicolas Sarkozy en arrivant au pouvoir en 2007. La droite a beaucoup changé depuis son arrivée aux plus hautes instances de l’Etat. Même si ses critiques anciens fans déçus lui reprochent de n’avoir rien fait de ce qu’il promit, Il a - par ses prises de positions parfois populistes et décomplexées - considérablement « libéré » la parole et en réhabilitant certains thèmes qui n’étaient abordés auparavant que par les souverainistes les plus durs ou le FN et qui sont aujourd’hui totalement banalisés et même repris par François Hollande et Emmanuel Valls… 

André Bercoff : Il y a une montée très nette du discours "hors système" et "anti-establishment" en Europe. Je pense qu'une victoire de Donald Trump pourrait inspirer la France. Le ras-le-bol des classes moyennes vis-à-vis des politiques et des médias est connu. Les systèmes de représentation classique sont rejetés, notamment en raison de l'influence croissante d'internet et des réseaux sociaux qui permettent de s'exprimer plus directement. Je ne serai pas étonné, qu'en France ou en Europe, une victoire de Trump accentue ce phénomène. Peut-on dire pour autant que le populisme va l'emporter ? Difficile de se prononcer. Il semble en tout cas que la classe politique actuelle est en pleine décomposition. L'Europe connait de plus en plus un processus d'ubérisation du politique. L'Amérique est la première puissance mondiale, il paraît dès lors évident qu'il y aura des conséquences, y compris dans l'éclosion d'un certain nombre de mouvements qui ne sont pas forcément ceux que nous connaissons déjà.

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