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Un membre du personnel médical soigne un patient infecté par la Covid-19 dans l'unité de soins intensifs Covid-19 de l'hôpital Georges Pompidou, le 6 avril 2021, à Paris.
Un membre du personnel médical soigne un patient infecté par la Covid-19 dans l'unité de soins intensifs Covid-19 de l'hôpital Georges Pompidou, le 6 avril 2021, à Paris.
©Anne-Christine POUJOULAT / AFP

Pandémie

C’est ce que suggèrent notamment les données israéliennes et l’impact du variant Delta sur une population déjà largement vaccinée. Ce qui ne signifie pas pour autant que les restrictions françaises correspondent à ce dont nous avons réellement besoin.

Antoine Flahault

Antoine Flahault

 Antoine Flahault, est médecin, épidémiologiste, professeur de santé publique, directeur de l’Institut de Santé Globale, à la Faculté de Médecine de l’Université de Genève. Il a fondé et dirigé l’Ecole des Hautes Etudes en Santé Publique (Rennes, France), a été co-directeur du Centre Virchow-Villermé à la Faculté de Médecine de l’Université de Paris, à l’Hôtel-Dieu. Il est membre correspondant de l’Académie Nationale de Médecine. 

 

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Claude-Alexandre Gustave

Claude-Alexandre Gustave

Claude-Alexandre Gustave est Biologiste médical, ancien Assistant Hospitalo-Universitaire en microbiologie et ancien Assistant Spécialiste en immunologie. 

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Atlantico : Immunité collective difficilement atteignable avec Delta,  troisième dose de vaccin à l'étude, épidémie qui repart en Israël malgré la forte couverture vaccinale, émergence de variants… Le scénario d’un Covid qui serait là pour durer est-il en train de se confirmer ?

Antoine Flahault : Ce qui se confirme c’est que le vaccin seul ne nous sortira pas d’affaires. Pour maîtriser cette pandémie, il va falloir combiner à une couverture vaccinale très élevée une très faible circulation du virus dans la population.

Les mesures actuellement en place en France, notamment avec le passe sanitaire, sont-elles en mesure de contrer ce scénario ?

Antoine Flahault : On entend beaucoup dire que le passe sanitaire serait trop souvent contourné pour être efficace. On entendait de tels propos lors des précédents confinements, mais aussi à propos du port du masque, ou de l’usage du gel hydro-alcoolique. L’usage étendu du passe sanitaire est un pari français et italien, et il est suffisamment intéressant pour mériter notre soutien pour son expérimentation et surtout pour espérer qu’il tiendra ses promesses. L’usage étendu du passe sanitaire comporte en effet trois promesses. La première est déjà atteinte, c’est la stimulation de la campagne vaccinale. En un peu plus d’un mois la France a rejoint la couverture vaccinale d’Israël et le peloton de tête des pays les mieux vaccinés au monde (on peut dater la première évocation de son instauration au 12 juillet, date du discours présidentiel en France). Qui l’eut cru ? La deuxième promesse sera évaluable d’ici quinze jours ou trois semaines, ce sera l’effet de l’usage étendu du passe sanitaire sur la quatrième vague que connaissent les pays d’Europe de l’Ouest cet été. Le taux de reproduction effectif Re s’est cassé en France comme en Italie. Va-t-il durablement se situer au-dessous de 1, c’est à dire à 0,9 ou encore moins et ainsi l’usage étendu du passe sanitaire aura joué le rôle d’un véritable confinement (ici uniquement des personnes non vaccinées), sans ses impacts sociaux et économiques désastreux. La troisième promesse pourra s’évaluer cet automne et cet hiver si le maintien de l’usage étendu du passe sanitaire permet d’éviter le retour à des confinements auxquels les pays voisins seraient obligés de recourir parce que le virus et ses variants reviendraient à des niveaux menaçant leur système de santé. On pourra aussi mesurer son acceptabilité auprès de la population et comparer les mesures prises par les Français, les Italiens et les autres pays européens et leurs effets respectifs sur la pandémie, la vie sociale, éducative, et la situation économique de ces pays.

Doit-on préparer la population (déjà épuisée par un an de restrictions) à un virus qui perdure durablement ou tout faire pour que cela n’arrive pas ? La population est-elle prête à adopter de nouveaux comportements, que ce soit pour l’une ou l’autre situation ?

Antoine Flahault : La population se rend compte de l’imprédictibilité de cette pandémie depuis le début. Nous faisons tous preuve d’une très grande résilience aussi depuis le début. Qu’il y ait des doutes sur les manières de riposter à la pandémie, qu’il y ait des débats, des oppositions, tout cela fait partie du jeu démocratique. Mais on est en train de passer lentement d’un mode de traitement d’urgence vers un mode qui s’installe sur le plus long terme. Il devrait se produire un certain niveau d’harmonisation entre les pays de même niveau de vie et d’infrastructures sanitaires. Le temps va finir par filtrer les expériences des uns et des autres et conserver les meilleures interventions contre la pandémie, par exemple le séquençage à l’australienne, le traçage rétrospectif asiatique, peut-être le passe sanitaire des Français s’il s’avère efficace, voire dans certaines situations, qui sait, l’obligation vaccinale, l’aération des lieux clos vérifiés par capteurs de CO2, certains modes de contrôles sanitaires aux frontières, le port de masques normalisés, etc… On verra à partir de l’expérience des uns l’intérêt ou l’inutilité dispendieuse de doses de rappels pour les vaccins. On tirera des leçons des tests antigéniques répétés dans les écoles. On en saura davantage sur les types de masques les plus efficaces (FFP2, chirurgicaux, tissu).
Les pays qui ont verrouillé leurs frontières pour maintenir leur stratégie zéro Covid auront envie de desserrer l’étau à l’avenir car cette politique finit par être pesante pour les populations captives des pays correspondants. Les autres qui auront fait tourner la planche à billets pour amortir les conséquences sociales de leurs confinements répétés sauront qu’ils devront trouver d’autres options pour empêcher la saturation de leurs hôpitaux car leurs économies ne se remettraient pas de confiner à nouveau. Bref, le temps des positions idéologiques et solitaires vis-à-vis de la gestion de cette pandémie devrait faire place à une période plus multilatéraliste, partant de bilans rigoureux évaluant les options politiques prises jusqu’à présent, tirant le meilleur de chacune, délaissant les échecs passés, évaluant mieux les paris les plus prometteurs. La science devrait donc continuer d’éclairer la décision publique ces prochains mois, mais d’une manière plus collective, mobilisant les talents et les énergies globales.

Et s’il il fallait nous faire à l’idée déplaisante que le Covid est là pour durer (et que nous ne sommes pas prêts de retrouver nos vies d’avant) :

Claude-Alexandre Gustave : Les dernières données épidémiologiques israéliennes semblent confirmer :

- la dangerosité du variant Delta

- la nécessité des mesures barrières ou de suppression virale

- l'intérêt d'une 3ème dose

Tout d'abord les cas détectés :

Au 17 août, Israël retrouve un taux d'incidence supérieur au pic de sa deuxième vague ! Cependant, l'incidence réelle est probablement plus faible qu'au pic de la deuxième vague car le taux de dépistage a été multiplié par deux tandis que le taux de positivité a été multiplié par trois.

Comment se répartissent ces cas selon le statut vaccinal et la sévérité clinique ?

Les données israéliennes permettent d'avoir le statut vaccinal pour deux catégories de patients :

Les "Active patients" (tous las cas détectés) et les "Seriously ill patients" (COVID sévères). datadashboard.health.gov.il/COVID-19/gener…

Pour l'ensemble des cas détectés ("active patients"), 2 graphes permettent d'obtenir le nombre de cas (toutes formes), selon le statut vaccinal, ajusté selon l'âge et selon le pourcentage de la population correspondant et le pourcentage de vaccinés dans la population, selon l'âge.

À partir de ces graphes, il est possible de calculer l'efficacité vaccinale apparente :

%VE = 1 - (taux chez les vaccinés / taux chez les non-vaccinés).

Les données correspondant aux "active patients" reflètent alors l'efficacité vaccinale globale (toute forme de COVID, asymptomatiques à sévère). 


Pour l'ensemble des cas détectés (toutes formes cliniques, y compris asymptomatiques), on obtient les résultats suivants, avec une efficacité vaccinale qui varie fortement selon l'âge, notamment sous l'influence de l'activité de dépistage et le pourcentage des formes asymptomatiques...

3 groupes semblent se distinguer :

Tout d'abord les moins de 20 ans qui semblent bénéficier d'une efficacité vaccinale globale très élevée :

- vaccinés récemment (efficacité+++ à court terme)

- peu dépistés (sous-estimation des formes asymptomatiques )

- Pourcentage élevé de formes asymptomatiques (mal documentées)

Ensuite, le groupe des plus de 70ans avec une efficacité vaccinale globale élevée :

- Ils reçoivent une 3ème dose depuis fin juillet avec une protection multipliée par 2,5 par rapport aux vaccinés ayant reçu 2 doses.
timesofisrael.com/a-million-isra…

- Les dépistages sont réduits par rapport au reste de la population (la baisse des contacts, les voyages, l'activité...)

Enfin, le groupe des "adultes jeunes" chez qui l'efficacité vaccinale semble beaucoup plus faible, notamment en raison d'une faible efficacité contre la contamination (portage viral).

Ces classes d'âges sont beaucoup plus fréquemment dépistées que les autres (via les activités professionnelles, les voyages, les  contacts...) ce qui augmente la part des infections asymptomatiques qui sont détectées (y compris chez les vaccinés), ce qui baisse l’efficacité vaccinale GLOBALE ! 

Pour les patients en soins critiques :

La situation hospitalière israélienne se dégrade. Les entrées hebdomadaires s'approchent des chiffres observés lors des pics épidémiques précédents. Cependant, le nombre de patients actuellement en hospitalisation complète ou en réanimation reste encore environ deux fois plus faible.

Sur le tableau de bord officiel, deux graphes permettent d'obtenir :

- Le nombre de patients, selon le statut vaccinal, ajusté selon l'âge et selon le pourcentage de population correspondant.

- le pourcentage de vaccinés dans la population, selon l'âge.

Pour l'ensemble des patients en soins critiques, on obtient les résultats suivants, avec une efficacité vaccinale apparente qui semble se maintenir à haut niveau pour toutes les classes d'âges.

Il faut cependant garder à l'esprit que depuis fin juillet, les plus de 40 ans reçoivent une troisième dose.

Chez les plus de 60 ans, le déploiement de ces troisièmes doses est fulgurant et intervient aussi dans le maintien de la haute efficacité vaccinale dans ces classes d'âges. 

Au bilan, l'efficacité vaccinale apparente montre un profil dissocié entre "protection globale" variable et faible chez les adultes jeunes (montrant une faible protection contre l'infection) et "protection contre les formes sévères" élevée à tous les âges.

Ceci suggère une protection vaccinale reposant sur deux piliers dont la pérennité et l'efficacité est très variable selon les catégories de patients. Cela suggère aussi qu'une 3ème dose est nécessaire pour tous afin d'optimiser la protection vaccinale... 

Le premier pilier, ce sont les anticorps neutralisants (nAbs). Ils constituent la première ligne de défense. Ils sont induits fortement par la vaccination mais baissent physiologiquement au cours du temps, avec l'ancienneté de la deuxième dose. Ils bloquent l'entrée du virus dans nos cellules et empêchent ainsi l'invasion virale...

Sur le court terme (médiane de 142 jours suggérée par le ministère de la Santé israélien), le niveau d'anticorps neutralisants (nAbs) reste suffisamment élevé pour faire face au variant Delta et empêcher les formes symptomatiques de COVID. Le bénéfice sanitaire du vaccin est alors maximal pour environ toute la population répondeuse.

A moyen terme (environ 4 mois), le taux d'anticorps neutralisants (nAbs) baisse sous le seuil de protection ce qui signifie une hausse des formes symptomatiques suite à des infections plus invasives (défaut de neutralisation).

Le risque augmente de 53 à 126% (medrxiv.org/content/10.110…).

Les patients dépendent alors du second pilier vaccinal : les lymphocytes T CD8+.

Ils constituent la deuxième ligne de défense, chargée de détruire les cellules qui ont été infectées afin de limiter l'amplification virale. Cette immunité agit comme une arme à double détente car elle conduit aussi à la destruction de nos tissus... 

C'est alors que deux catégories de patients vont se distinguer sur le long terme (après perte de protection par anticorps neutralisants - nAbs) :

A] Les jeunes et/ou sans comorbidités ayant un contrôle efficace de l'invasion virale via les lymphocytes T CD8+ avec peu de destruction tissulaire donc une bonne évolution... 

B] les personnes âgées et/ou porteuses de comorbidités donc connaissant une faible efficacité des lymphocytes T CD8+ donc une invasion virale plus forte entraînant une stimulation forte des lymphocytes T CD8+ ce qui va mener à  une forte destructions tissulaires et in fine une évolution défavorable (inflammation systémique, SDRA, défaillances d'organes...).

Cela est également suggéré par les données publiées par le ministère de la Santé israélien en juillet, et qui montraient déjà cette baisse de protection avec l'âge et/ou les comorbidités : jpost.com/health-science…

Dans tableau précédent :
% NV sains = % de COVID sévères chez non-vaccinés sans comorbidités
% V2 sains = % de COVID sévères chez vaccinés sans comorbidités
% NV CoMo = % de COVID sévères chez non-vaccinés AVEC comorbidités
% V2 CoMo = % de COVID sévères chez vaccinés AVEC comorbidités 

Afin de pallier cette baisse de protection, et aussi pour protéger tous ceux qui restent sans protection malgré une vaccination complète, on en revient donc aux recommandations de l'OMS émises depuis des mois mais toujours pas appliquées :

- une vaccination massive et rapide

- la suppression virale 

Ce dernier point est crucial car l'immunité s'atténue rapidement au cours du temps, les variants gagnent en virulence et entraîne un échappement immunitaire et l’immunité collective est inatteignable. Le virus va donc continuer à circuler et évoluer fortement. Son impact sanitaire et socio-économique risque donc de rester trop fort pour permettre un retour rapide à un mode de vie similaire à 2019. Sans suppression virale en parallèle de la vaccination, le quotidien risque de devenir durablement complexe... 

Pour des raisons électoralistes, et/ou socio-économiques, l'été a dû s'associer à l'abandon des mesures barrières, rétablies chaotiquement dans une myriade d'adaptations locales difficilement lisibles... Je ne sais pas quels seront les résultats du pass sanitaire mais entre exceptions, application aléatoire, contestation, et absence d'application chez les plus jeunes, il est probable que son efficacité soit marginale sur la circulation virale... 

Le "ras-le-bol" semble atteindre son acmé, pourtant si nous n'adaptons pas notre mode de vie, la circulation virale va s'installer durablement à des niveaux élevés, et ainsi favoriser l'évolution virale qui baisse encore l'efficacité vaccinale... 

Le système de soins ne va pas pouvoir tenir ainsi, de même que tous les patients qui voient leurs soins programmés sans cesse repoussés pour redéployer les ressources soignantes vers les unités COVID sous tension... 

L'OMS a décrit les méthodes de sortie de crise, et de nombreux pays d'Asie/Océanie les appliquent :

- Tester, Tracer, Isoler rigoureux pour casser les chaînes de contaminations

- Quarantaines aux frontières (pour stopper les variants)

- Lutte anti-aérosols (masques FFP2, ventilation)... 

Aussi baisser les risques de contamination au quotidien :

- soit via le pass (appliqué rigoureusement)

- soit via le télétravail, la baisse de la fréquentation des transports, la baisse des jauges dans les écoles, les établissements recevant du public...

Le virus est là, je ne connais ni magicien, ni machine à remonter le temps, il faut donc faire avec ce qu'on a :

- Une vaccination massive

- Des stratégies de suppression virale 

- Et une adaptation du mode de vie 

Ce propos est probablement devenu inaudible, voire plus ou moins violemment rejeté.

Pourtant, détourner le regard du risque viral ne solutionnera rien et n'évitera pas la saturation hospitalière avec ses effets collatéraux délétères. Les adaptations nécessaires seront d'autant plus légères et donc bien acceptées et appliquées qu'elles sont rapidement déployées (avant l'arrivée de nouveaux variants encore plus difficiles à gérer). 

Pour retrouver le Thread de Claude-Alexandre Gustave : cliquez ICI

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