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Plusieurs pays ont été récemment survolés par des ballons chinois.
Plusieurs pays ont été récemment survolés par des ballons chinois.
©Chase DOAK / CHASE DOAK / AFP - AFP

99 Luftballons

Un haut fonctionnaire du département d'État américain a déclaré jeudi que le ballon intercepté "était capable de mener des opérations de collecte de renseignements sur les télécommunications" et faisait partie d'une flotte qui avait survolé "plus de 40 pays sur les cinq continents".

Florent Parmentier

Florent Parmentier

Florent Parmentier est enseignant à Sciences Po et chercheur associé au Centre de géopolitique de HEC. Il a récemment publié La Moldavie à la croisée des mondes (avec Josette Durrieu) ainsi que Les chemins de l’Etat de droit, la voie étroite des pays entre Europe et Russie. Il est le créateur avec Cyrille Bret du blog Eurasia Prospective

Pour le suivre sur Twitter : @FlorentParmenti

 

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Franck Renaud

Franck Renaud

Franck Renaud est journaliste et dirige une revue à Nantes. Après des débuts au quotidien Ouest France, il a vécu quinze ans en Asie pour y mener des projets de formation au journalisme. Il est l’auteur de Les diplomates. Derrière la façade des ambassades de France (Nouveau monde, 2010) et de Trahisons à la DGSE, Révélations sur le vrai Bureau des légendes (Stock, 2022).

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Atlantico : Selon le gouvernement américain, le ballon chinois que les États-Unis ont abattu au-dessus de l'océan Atlantique transportait des équipements de haute technologie capables de collecter des signaux de communication et d'autres informations sensibles. Qu’en savons-nous exactement ?

Florent Parmentier : La traversée de ce ballon symbolise, dans l’espace public, l’intensification de la rivalité entre Pékin et Washington D.C. L’annulation du voyage du Secrétaire d’Etat Antony Blinken en Chine a alimenté ce narratif, la Chine dénonçant pour sa part la « réaction excessive » des autorités américaines. Ces désaccords, de plus en plus fréquents, vont amener chacun des acteurs à exposer de plus en plus fortement les griefs à l’encontre de l’autre. Le porte-parole du ministère chinois des Affaires étrangères, Mao Ning, est allé jusqu’à dire que « ces allégations font probablement partie de la guerre de l'information que les États-Unis mènent contre la Chine ».

C’est dans ce contexte que ce gouvernement américain s'interroge en ce moment même sur les raisons qui ont poussé la Chine envoyer des ballons espions à traverser ostensiblement les États-Unis. Si l'on connaît l'activité des satellites en matière d'espionnage, les ballons n'entrent pas dans les outils que l'on associe classiquement à ces pratiques. D'après le New York Times, le ballon espion chinois était équipé d'une antenne destinée à localiser les appareils de communication, et était capable d'intercepter les appels passés sur ces appareils, selon des renseignements déclassifiés publiés jeudi dernier par le département d'État. L’analyse des débris du ballon devrait nous permettre d’en savoir davantage, notamment sur le fait de savoir si le ciblage concernait essentiellement l’armée, ou n’était qu’un ballon météorologique comme le prétendent les Chinois. 

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Plus inquiétant encore, il ferait partie d'un vaste programme d’espionnage ciblant plus de 40 pays sur cinq continents. D’ailleurs, dans la nuit, le président américain Joe Biden a ordonné à un avion de combat d'abattre un "objet à haute altitude" non identifié au large de l'Alaska. Peut-on penser que la France est également visée ? Existe-il des moyens de se protéger de tels ballons ?

Florent Parmentier : Selon des responsables américains, la Chine a développé un programme de ballons espions en complément de sa flotte de satellites de reconnaissance, avec pour mission de collecter des informations à travers le monde : Amérique du Nord et du Sud, Europe, Asie du Sud-Est et de l’Est. Alors que les satellites peuvent capter les images, les ballons espions saisissent les communications. Il faudrait également parler des capacités chinoises dans le cyber, également très développées, comme cela a été évoqué avec la firme Huawei ou le réseau social TikTok. En outre, il faut savoir que tous les ballons aperçus dans le monde ne sont pas exactement sur le même modèle que celui abattu au large de la Caroline du Sud la semaine dernière. 

Naturellement, la France fait également partie des cibles de ce vaste programme de surveillance chinois, ce qui constitue une menace pour sa souveraineté. Pour se protéger de tels ballons espions, il faut savoir quelles signatures numériques ils ont émis pour voir s’il existe des moyens efficaces pour suivre ce type de ballon à l'avenir. L’étude des débris de ce type de ballon sera utile pour examiner la technologie, reconstruire la chaîne d'approvisionnement, découvrir qui a aidé à le construire et quels en étaient les composants importants.

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Franck Renaud : Je n’ai pas d’élément précis à ce sujet. On sait par exemple qu’il y a un intérêt chinois pour la Bretagne, tout ce qu’il se passe dans le Finistère et autour de l’île Longue où se trouvent nos sous-marins nucléaires. On a eu vent d’ingénieurs du secteur approchés par des jeunes femmes chinoises. Des indices montrent qu’il y a un jeu sur tous les leviers du renseignement. Alors sans doute que les leviers du spatial et de l’aérien, par des ballons, en font partie. Mais je n’ai pas d’informations précises en ce sens.  

Nos responsables politiques, notamment en France, ont-ils conscience de ces enjeux ?

Florent Parmentier : D’une manière générale, les problématiques d’espionnage sont à prendre très au sérieux, particulièrement dans un pays comme la France, exposée à plusieurs types de menaces, notamment de nature terroriste. Il ne faut pas non plus négliger l’impact de la guerre en Ukraine, qui montre qu’un conflit de haute-intensité n’est pas à exclure en Europe. 

Un rapport de l’IRSEM, paru l’an passé, intitulé « Les opérations d’influence chinoise », a fait grand bruit. L’objet du rapport était de mesurer les investissements chinois en matière d’influence, sa capacité d’influence, mais montrait aussi des méthodes chinoises de plus en plus offensives. Cette évolution est notable, et doit amener à une prise de conscience, particulièrement en France. 

Il y a par ailleurs un impensé de la stratégie française : ses Outre-mer. La France est extrêmement présente dans le Pacifique Sud (Nouvelle-Calédonie, Polynésie, Wallis-et-Futuna), et plus largement dans la région Indopacifique. Près des deux tiers des zones économiques exclusives françaises se trouvent dans le seul Pacifique. Or, ces territoires, dans une région où la rivalité sino-américaine est puissante, sont peu protégés, faute d’un budget d’investissement suffisant dans la Marine. Une ingérence chinoise avait été crainte lors des trois référendums en Nouvelle-Calédonie, en 2018, 2020 et 2021. Naturellement, l’oubli des Outre-mer est un angle mort stratégique français auquel les responsables politiques ne s’intéressent qu’insuffisamment. La prise de conscience doit progresser à ce niveau.   

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Que savons-nous de l’espionnage chinois en France sur le plan militaire, celui du renseignement ?

Franck Renaud :  La France a une particularité aux yeux de la Chine. Pendant la guerre froide, notre pays a plutôt bien accueilli le maoïsme et nous avons pendant longtemps accueilli avec un œil intentionné ce qui venait de Pékin. La Chine a su en jouer. Et puis il y a eu cette histoire que nous avons racontée dans notre livre, mêlant l’argent et l’égo d’agents de la DGSE, qui ont été condamnés pour trahison en 2020. En effet, la Chine a su recruter un ancien chef de poste de la DGSE à Pékin qui a lui-même introduit un officier traitant dans le jeu. Elle a su jouer sur le ressentiment et la placardisation de l’un d’entre eux. La Chine essaie aussi de savoir, auprès des politiques, ce qu’ils pensent du pays. Ils font du travail au cœur, fréquentent ces élus pour être tenus au courant de ce qui se dit sur la Chine. L’autre intérêt de la Chine, c’est la surveillance de la communauté en France et en particulier des minorités : les Ouighours et les Tibétains notamment. Un récent article a aussi montré la présence de la Chine à l’INALCO.

Que sait-on de la diversité de l'espionnage chinois ?

Franck Renaud :  La Chine est un pays communiste, très organisé et planifié. Elle a des plans de développement visant au rattrapage technologique. Pour chercher les connaissances et compétences, elle va utiliser l’espionnage en Occident, dans les universités ou via de l’espionnage industriel, y compris dans des entreprises intervenant dans la défense française ou le spatial. La Chine peut utiliser des stagiaires, comme il y a une dizaine d’années chez Valeo. Pékin fait appel à des personnes téléguidées, pas forcément des professionnels du renseignement. Il ne faut bien sûr pas voir un potentiel espion derrière chaque étudiant chinois, mais la Chine peut très bien solliciter ses ressortissants pour leur demander des renseignements ou des données. On a eu connaissance d’espionnage à l’Ifremer, ou dans des laboratoires sur des travaux à portée militaire. Pékin n’hésite pas à jouer sur tous les ressorts possibles pour avoir des renseignements. Jouer sur l’égo, flatter une personnalité, un universitaire en l’accueillant avec les plus grands honneurs peut parfois suffire. Un chercheur français ayant travaillé sur la conception du Rafale a fini par céder aux sirènes chinoises. Et une technologie qui était seulement maîtrisée par la France et les Etats-Unis s’est retrouvée aux mains des Chinois. La Chine est aussi particulièrement investie dans le cyber-renseignement. C’est l’un des pays les plus actifs contre les entreprises et les intérêts français.

La France se protège-t-elle suffisamment de l’espionnage de Pékin ?  Y-a-t-il eu des prises de conscience ?

Franck Renaud : On peut le supposer. La France se veut une puissance de l’Indopacifique. Donc elle essaie, à son niveau. On dit que la Chine, c’est jusqu’à 200 000 agents là où la DGSE en aligne environ 7000. Ce ne sont pas les mêmes rapports de force. Le nombre peut aussi être une faiblesse, parce que la chaîne hiérarchique est de taille importante et il ne faut fâcher personne.

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