Et maintenant l'Irak : la bombe à retardement des enfants soldats jetés dans la guerre par les djihadistes de l'EIIL<!-- --> | Atlantico.fr
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Un enfant soldat de 3 ans mis en scène dans une vidéo du groupe EIIL.
Un enfant soldat de 3 ans mis en scène dans une vidéo du groupe EIIL.
©Capture d'écran

Traumatisme

Plusieurs vidéos postées par l’État islamique en Irak et au Levant (EIIL) ont montré des enfants assistant à des exécutions, ce qui fait craindre l'apparition d'enfants soldats dans ce conflit. Un phénomène qui, outre son caractère dramatique à court terme, génère sur le long terme des questions d'intégration des victimes concernées.

Philippe Brizemur

Philippe Brizemur

Philippe Brizemur est responsable de la commission Enfants-Amnesty International

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Atlantico : Plusieurs images montrent que les groupes djihadistes issus d'EIIL en Irak utiliseraient des enfants de moins de dix ans comme soldats. S'ils survivent au conflit, ils rentreront dans une vie adulte avec le passif des exactions du conflit. Quel est à terme le prix à payer pour une société, même quand la paix est revenue, d'avoir eu une génération "sacrifiée" d'enfants soldats ? Quel fardeau cela crée-t-il pour le futur ?

Philippe Brizemur : Il faut rester attentif à la notion de nombre quand on parle d'enfants soldats. Nous ne sommes pas dans des configurations comme celles des conscriptions qui concernent réellement toute une génération. Là, le nombre est plus faible, le phénomène plus dilué.

Il y a de grandes différences sur "l'après" selon les situations. La démobilisation va se faire de manière très différente selon que la paix revient après le conflit – et où les enfants sont alors complètement oublié et lâchés dans la nature – ou selon que le conflit se délite progressivement (comme en RDC) où les enfants sont renvoyés là aussi avec beaucoup de difficultés mais de manière plus diffuse. Mais on peut se retrouver aussi avec de vrais accords de démobilisation passés, comme au Tchad ou au Népal. Mais si le conflit continue, comme la cause de la mobilisation des enfants n'a pas disparu (colère, engagement idéologique, volonté de vengeance, misère), ces derniers vont parfois se réengager.

De plus ces enfants ont pour la plupart été déscolarisés et sont désocialisés, ils ne seront pas réadmis par la société qui va les rejeter. On voit qu'en France très peu d'employeurs acceptent d'embaucher une personne qui sort de prison, alors qui accepterait dans ces pays d'embaucher quelqu'un qui pendant plusieurs années s'est livré au meurtre, au viol ou au pillage ?

Y a-t-il eu des spécificités selon l'usage qui fût fait d'enfants soldats dans les conflits ? Quel bilan peut-on faire selon les conflits ?

Le conflit Iran-Irak est un peu particulier car justement, il s'agissait là d'une conscription avec une vraie prise en charge de l'Etat. Lorsque la guerre s'est terminée, on a réintégré les enfants soldats comme une guerre où plusieurs classes d'âges ont été mobilisées. Ce qui ne veut pas dire qu'il n'y a pas eu de traumatismes…

L'autre cas particulier, c'est, je l'expliquais, quand il y a un délitement du conflit, comme ce qui se passe actuellement en République démocratique du Congo, où on assiste à une démobilisation très progressive. On peut donc espérer dans ces cas-là une vraie réinsertion, mais c'est toujours compliqué.

Il y a aussi un autre cas particulier, c'est la présence des filles parmi les enfants soldats. On estime qu'elles constituent 40% des enfants soldats aujourd'hui, avec de fortes disparités. Elles servent souvent d'esclaves sexuelles durant les conflits. Dans la plupart des communautés, ce statut les amène à être mises au ban et rejetées par la communauté d'origine. Il y a un cas très emblématique des enfants soldats filles : la guérilla communiste au Népal, qui exigeait que chaque famille fournisse un enfant, ces dernières préférant "donner" une fille. Au moment de la paix, plus d'un millier de jeunes filles ont été démobilisées, et cela a posé un vrai problème de réinsertion : considérée comme des combattantes à part entière dans la guérilla, elles ont dû réintégrer une société patriarcale, ce qui a généré de nombreux conflits.

Les enfants sont souvent contraints de participer à des exactions, et largement soumis à l'usage de psychotropes et d'alcool. Quels sont aussi les enjeux en termes de santé publique, des années après les faits, pour les pays où une partie des enfants a été soldat ?

J'ai un exemple à donner à ce sujet : via une association avec laquelle nous travaillons pour la démobilisation des enfants en RDC, le taux de réinsertion des garçons ayant été enfants soldats est de 70%. Les 30% qui n'arrivent pas à se réinsérer sont pour la plupart des enfants qui ont été trop drogués. Les drogues créent donc réellement de nombreux cas "d'enfants perdus". Qu'en faire ensuite ? Les FARC de Colombie utilisent aussi beaucoup d'enfants soldats. Je suis prêt à parier qu'une grande partie d'entre eux ne pourra finir que comme membres de gangs de trafiquants de drogue.

Le cas d'EIIL en Irak introduit en plus une dimension d'endoctrinement religieux dans un contexte de guerre civile. Cela rajoute-t-il une dimension supplémentaire dans la difficulté de réadapter à une vie ordinaire dans un pays multi-confessionel ? Cela rend-il le retour à la paix encore plus fragile ?

Les enfants sont très faciles à embaucher dans un combat avec une idéologie de défense de la communauté ou de la religion. C'est pour cela qu'on les utilise d'ailleurs. Malheureusement, on ne sait pas trop ce que cela donne ensuite. Ils ont été tellement traumatisés que l'on ne peut pas leur donner une capacité de réflexion aussi élaborée que ce que nous pouvons avoir dans une situation de non-conflit et de recul. Et les quelques jeunes Européens djihadistes fanatisés partis en Irak ou Syrie et qui sont revenus ne peuvent pas nous donner des indices suffisants sur cette question. Leur nombre n'a rien à voir avec l'embrigadement des enfants dans certains conflits, notamment en RDC.

Propos recueillis par Damien Durand

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