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La GPA est autorisée dans plusieurs pays d'Europe
La GPA est autorisée dans plusieurs pays d'Europe
©Flickr/genue.luben

Hypocrise juridique

Vendredi 12 décembre, le Conseil d'Etat a validé la circulaire Taubira. Désormais, les enfants nés de GPA à l'étranger auront accès à la nationalité française, ce qui revient in fine à en autoriser le procédé, interdit en revanche s'il a lieu en France. Une situation de rare hypocrisie sur le plan juridique.

François Martin

François Martin

François Martin est haut-fonctionnaire, ancien élève de l'Ena. Soumis au devoir de réserve, il s'exprime ici sous pseudonyme.

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Atlantico : Quelle lecture juridique peut-on faire de la circulaire Taubira validée par le Conseil d'Etat récemment ? Est-elle juridiquement compatible avec l'interdiction de la GPA en France ?

En premier lieu, cette décision du Conseil d’Etat n’est pas surprenante d’un point de vue juridique, après l’arrêt de la CEDH qui a condamné la France sur le même sujet et contre lequel la France n’a pas fait appel. Par ailleurs, il est en tout état de cause souhaitable que le droit soit appliqué de la même manière partout, au nom du principe d’égalité devant la justice ; on ne peut pas avoir des tribunaux qui placés devant des cas similaires, acceptent ou refusent la transcription dans l’état civil.

Donc sur ce plan, la situation est relativement claire : le fait que le contrat d’achat de l’enfant (autant appeler les choses par leur nom) soit illégal, nul et non avenu, ne doit pas aboutir à priver l’enfant de la nationalité française. Par conséquent, tous les couples (hétérosexuels ou homosexuels, ce n’est pas le sujet) qui auront recours à la GPA à l’étranger verront l’enfant concerné reconnu en France.

En pure théorie juridique, la GPA peut rester interdite dans notre pays. Mais cette interdiction devient alors un droit abstrait, coupé du réel, un droit menteur. On ne peut pas durablement interdire la cause alors qu’on reconnaît les effets ! L’abstraction juridique, c’est intéressant sur le plan intellectuel, mais là il s’agit d’êtres humains.

Pourrait-elle permettre un enclenchement de recours qui pourraient in fine s'apparenter à une normalisation de la gestation pour autrui ? 

Bien entendu, tous les couples concernés vont faire des recours pour obtenir la transcription des enfants dans l’état civil, dans le livret de famille, etc.  En théorie encore, une simple circulaire ne s’impose pas aux juges. Mais on voit mal comment ceux-ci pourraient appliquer une autre solution que celle recommandée par la circulaire, puisqu’elle est imposée par la CEDH. Il faudra sans doute attendre une décision de la Cour de cassation pour fixer le droit positif, mais la Cour de cassation elle-même ne pourra que s’incliner devant l’arrêt de la CEDH. A ce stade, il va bien y avoir normalisation du recours à la GPA, puisque tous ceux qui auront les moyens de le faire sauront que l’enfant sera reconnu par l’état civil. Et comme l’environnement juridique va être ainsi stabilisé, cela revient à une incitation de fait. Les cas vont donc se multiplier ; on ne peut pas extrapoler les chiffres actuels de recours à la GPA puisqu’ils se situaient dans un contexte d’incertitude juridique, sur le sort de l’enfant. Cette incertitude va disparaître. Encore une fois, ce n’est pas la circulaire qui est le fait déclencheur de l’évolution du droit, c’est l’arrêt de la CEDH et la décision de la France de ne pas s’y opposer. Simplement, au vu de la circulaire, qui date de janvier 2013, il était évident que le Gouvernement ne s’opposerait pas à cet arrêt.

A quels conflits et complications les magistrats et les juges seront-ils confrontés ? Au nom du principe d'égalité devant le droit, les magistrats pourront-ils vraiment continuer à condamner ceux qui y auraient recours illégalement en France ?

C’est l’étape suivante. Pour l’instant, les sociétés commerciales qui exploitent ce créneau très rentable restent installées à l’étranger, tout en faisant de la publicité sur internet. Si une telle société s’installait clandestinement en France, il est bien évident que la solution qui s’appliquerait aux enfants serait la même. Ces enfants ne seraient pas dans une situation différente en fonction seulement de leur lieu de conception. Seulement, tant que la GPA est officiellement illégale, il est plus difficile pour une telle société d’exercer ses activités sur le territoire national. La situation est d’une rare hypocrisie sur le plan juridique ; nous sanctuarisons notre territoire, mais nous acceptons que ces actes se pratiquent (puisque nous en reconnaissons les effets) à condition que ce soit ailleurs et de préférence loin.

Peut-on imaginer une prochaine étape vers une légalisation pure et simple, en invoquant une harmonisation de la CEDH par exemple ?

La légalisation de droit (autorisation pure et simple de la GPA) est assez peu probable à court terme, essentiellement pour des raisons d’acceptation par la population, donc des raisons politiques. Mais comme il y a légalisation de fait, cela revient au même – encore une fois, pour les couples qui en ont les moyens financiers. L’étape suivante viendra sans doute de ce point : le marché des enfants réservé aux riches, cela ne tiendra sans doute pas très longtemps.

Il est intéressant, pour conclure, de voir ce que devient le droit sur la question du mariage et de la parentalité : il y a un hiatus complet entre la présentation qui est faite du droit et sa réalité. La première est fondée sur l’émotionnel et l’affectivité : la loi « mariage pour tous » est seulement destinée à permettre l’union de ceux qui s’aiment, la GPA est interdite car c’est mal, mais les enfants nés par GPA doivent être reconnus car les pauvres, ils ne sont pas responsables de ce qui leur arrive. La réalité du droit est toute autre : la loi « mariage pour tous » ouvre la voie vers le droit à l’enfant, et la GPA est reconnue de fait.

Cette évolution du droit est inquiétante. L’intérêt général et le bien commun voudraient que la loi soit claire, soit qu’elle autorise, soit qu’elle interdise…

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