Et la prochaine James Bond girl aura le même âge que lui… la discrète ascension de la femme mûre éclate sur grand écran<!-- --> | Atlantico.fr
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A droite, Monica Bellucci
A droite, Monica Bellucci
©Reuters

Rééquilibrage

Dans le prochain James Bond, l'espion de Sa Majesté tombe sous le charme d'une femme un soupçon plus âgée que lui en la personne de Monica Bellucci. Le reflet d'une société qui change.

Hélène Strohl

Hélène Strohl

Hélène Strohl, inspectrice générale honoraire, a écrit L’Etat social ne fonctionne plus (Albin Michel), Recettes d’hier et d’aujourd’hui, le livre de la jeune mariée (Jérôme Do Bentzinger) et avec Michel Maffesoli Les nouveaux bien-pensants (Ed du Moment)

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Atlantico : La chose est suffisamment rare pour être mentionnée : dans le prochain James Bond, Spectre, l’espion joué par Daniel Craig (46 ans) tombe sous le charme d’une femme plus âgée que lui, en la personne de Monica Bellucci (50 ans). En France, des actrices comme Catherine Deneuve (71 ans) ou bien Fanny Ardant (65 ans) continuent d’occuper le grand écran. Comment expliquer qu’au cinéma le culte de la jeunesse dans les rôles féminins ne l’emporte plus systématiquement ?

Hélène Strohl : Une première réaction serait de dire que l’âge des héroïnes de film comme de livres suit celui des spectatrices. Nombre de femmes auraient besoin de s’identifier à des personnages proches plutôt que de rêver nostalgiquement à leur jeunesse perdue. La seconde réaction serait un hommage à ces deux actrices, réussissant à être aussi sinon plus belles à leur âge avoué que dans leur jeunesse. Mais la troisième raison est sans doute plus profonde : la maturité rencontre un écho, parce qu’elle incarne une certaine stabilité, une sécurité ; la femme plus âgée sort de la compétition, elle n’a plus rien à prouver ; la femme de 50 ans est enfin totalement disponible pour le rapport amoureux voire simplement sexuel : l’âge de l’enfantement et l’âge de la compétiton professionnelle sont passés, la voilà totalement disponible pour faire de sa vie une oeuvre d’art, qu’il s’agisse d’art amoureux, libertin ou tout simplement amical.

Dans quelle mesure peut-on dire ce que cette ascension de la femme mûre au cinéma reflète un mouvement plus profond au sein de la société, notamment en termes de progression professionnelle ?

Ma génération (j’ai 65 ans) a inauguré l’entrée en masse des femmes dans la vie professionnelle indépendante par rapport à celle de leur mari (les agricultrices, les commerçantes et les femmes d’artisans ou de professions libérales ont toujours eu une activité professionnelle, mais la plupart du temps “au service” de leur mari.).

Cette mixité des milieux professionnels pouvait avoir deux conséquences : soit les femmes se mettaient en concurrence avec les hommes et voulaient adopter en tous points leurs devoirs et leurs privilèges, leurs modes d’action et de relation ; soit le milieu professionnel allait changer sous l’effet d’une “féminisation”.

De fait, les deux scénarios coexistent. D’une part les femmes, notamment les cadres et plus encore les cadres de la fonction publique continuent de revendiquer une meilleure prise en compte des femmes dans le monde professionnel et comptabilisent de manière obsessionnelle les apparitions de femmes à la télévision, leur présence dans les conseils d’administration etc. et en déduisent un refus d’une éducation “genrée”. D’autre part le milieu professionnel a évolué et les méthodes actuelles de management ont été largement influencées par la féminisation. Le travail collectif est de plus en plus développé, le management cède la place à une forme de leadership, c’est à dire d’autorité charismatique plutôt que hiérarchique. Le questionnement, l’intuition, la prise en compte du doute et de l’incertitude sont à l’ordre du jour.

Cette évolution des valeurs reflète une “féminisation” de la société, féminisation qui ne doit pas s’analyser comme une prise de pouvoir par les femmes, mais comme la possibilité pour les femmes et pour les hommes de valoriser leur part féminine, leur anima plutôt que leur animus dirait C.G. Jung.

Le grand défaut des “féministes” de type “Osons le féminisme” ou “Observatoire des discriminations faites aux femmes”, c’est qu’elles mènent un combat d’arrière-garde, pour tout dire ringard.

De fait les hommes et les femmes ordinaires ne sont plus intéressés par leur ambition desséchante et leur humeur marquée par le ressentiment. Ils n’ont plus pour seul but dans leur vie leur plan de carrière et leur avancement.

D’après une étude menée par la marque de cosmétiques Juvederm auprès de femmes âgées de cinquante ans en moyenne, mêmes si ces dernières sont majoritairement favorables à l’idée de paraître jeune, elles ne sont pas pour autant partisane du « zéro rides » (voir ici). La vieillesse ne serait donc pas si « ennemie » de la femme ?

Les caractéristiques de la beauté des magazines et des photos de publicité n’ont jamais été concordantes avec celles de la séduction. La maigreur, l’absence de formes, le look femmes d’affaires ont peu à voir avec celle-ci. Il en est sans doute de même des rides : les rides d’expression notamment témoignent d’une séduction faisant appel à l’entièreté de la personne qui touche bien plus que la superficialité des photos retouchées ou des corps liftés.

Mais on peut également lire un mouvement de fond dans cette acceptation “d’un peu de rides”. Le visage lifté renvoie à une volonté des humains d’être maîtres de la nature, de renverser le cours naturel des évolutions. Or l’idéologie du progrès et de la domination de la nature ne fait plus recette, la marque du temps peut alors, pour les femmes comme pour les hommes devenir attractive.

Les marques de vieillesse sont aussi des marques d’une histoire et renvoient donc à un savoir et une sagesse que l’on ne trouve pas dans la jeunesse. Ceci dépasse le seul sort des femmes.

La place que tiennent dans une société les jeunes et les vieux évolue et peut-être une forme de vieillesse qui permet de rompre avec l’idélologie matérialiste, productiviste est-elle valorisée.

Le fait qu’une James Bond girl soit pour une fois plus âgée que le héros marque-t-il une rupture avec un modèle cinématographique que l’on pourrait qualifier de misogyne, où l’homme plus âgé, et donc plus expérimenté, tient le rôle de "meneur" ? Cela correspond-il également à ce qu’on peut observer dans la société ?

Traditionnellement l’initiation à la sexualité et même à la relation amoureuse se faisait plutôt, pour les femmes comme pour les hommes dans un décalage d’âge : le jeune homme pouvait être initié par une femme de l’âge de sa mère et la jeune fille pouvait l’être soit par un amant mûr, soit par un mari bien plus expérimenté. C’est dans les années 60 du siècle dernier que garçons et filles adolescents ont  préféré une initiation entre jeunes. En même temps les différences d’âge entre mari et femme ont diminué et de plus en plus souvent, la femme peut être plus âgée.

Mais de nos jours le nombre de femmes de 50 ans et plus, à la fois seules et ne voulant pas renoncer à une vie amoureuse est nettement plus important que celui des hommes du même âge. Il est donc fatal qu’elles se tournent vers des hommes plus jeunes.

Je n’y vois pas tellement un jeu de pouvoir, je je crois pas que le rapport amoureux ou même sexuel s’analyse en termes de pouvoir.

En revanche, il y a sans doute une attraction des vieux et vieilles pour les jeunes et des jeunes pour les vieux et les vieilles. Pour ce qui est de la relation sexuelle, pas forcément pour ce qui est du vivre ensemble. Qui au contraire requiert que les deux partenaires vivent au même rythme.

Mais James Bond ne raconte pas une histoire d’amour, mais un suite de conquêtes et d’aventures. Dès lors il est normal qu’il attire dans son lit, comme nombre de ses contemporains, “une femme qui n’a plus vingt ans depuis longtemps”.  


Propos recueillis par Gilles Boutin

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