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Et Donald Trump mit les pieds dans le plat : la France, homme invisible de l’Europe (mais comment faire pour que Paris rattrape Londres et Berlin) ?
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Allo Trump, ici la France !

Dans une longue interview accordée à deux quotidiens conservateurs, le Bild et le Times (allemand et britannique), Donald Trump s'est adressé aux européens mais semble oublier les français. Absent de l'entretien et du discours du nouveau président américain, la France a-t-elle perdue sa place au sein de l'Union européenne ?

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud est professeur de sciences politiques à l’Institut d’études politiques de Grenoble depuis 1999. Il est spécialiste à la fois de la vie politique italienne, et de la vie politique européenne, en particulier sous l’angle des partis.

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Edouard Husson

Edouard Husson

Universitaire, Edouard Husson a dirigé ESCP Europe Business School de 2012 à 2014 puis a été vice-président de l’Université Paris Sciences & Lettres (PSL). Il est actuellement professeur à l’Institut Franco-Allemand d’Etudes Européennes (à l’Université de Cergy-Pontoise). Spécialiste de l’histoire de l’Allemagne et de l’Europe, il travaille en particulier sur la modernisation politique des sociétés depuis la Révolution française. Il est l’auteur d’ouvrages et de nombreux articles sur l’histoire de l’Allemagne depuis la Révolution française, l’histoire des mondialisations, l’histoire de la monnaie, l’histoire du nazisme et des autres violences de masse au XXème siècle  ou l’histoire des relations internationales et des conflits contemporains. Il écrit en ce moment une biographie de Benjamin Disraëli. 

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Atlantico : Pour cette entretien sur l'Europe, étaient présents le journal allemand le Bild et le britannique le Times. Mais aucun média Français. Dans quelle mesure cela illustre-t-il l'effacement de la France au sein de l'Union européenne ces dernières années ?

Christophe Bouillaud Il est possible effectivement que la logique du choix de ces deux médias corresponde à la recherche d’un impact maximal pour ce que Donald Trump veut dire aux Européens. Il semble vouloir leur dire qu’il ne reconnait que les nations. Le Royaume-Uni est privilégié pour avoir choisi le « Brexit », et l’Allemagne, parce que c’est la nation qui est supposée dominer le jeu en Europe. La France et sa presse sont donc négligés au même titre que celle des 26 autres pays restants, dont des grands pays comme l’Italie, l’Espagne, la Pologne, etc. Par ailleurs, il est possible que Donald Trump ait voulu signifier ainsi qu’il n’entendait en aucune façon soutenir les visées fédéralistes ou du moins européistes traditionnelles des élites politiques françaises depuis les années 1980. La réponse de François Hollande, selon laquelle « l’Europe n’a pas besoin de conseils extérieurs », est significative. Il n’entend pas acter le décès du projet « delorien » d’unité européenne, tout comme d’ailleurs il ne peut bien sûr penser l’affaiblissement, voir la fin, de l’OTAN. De fait, je ne suis pas sûr qu’il y ait grand monde dans le personnel des grands partis de gouvernement en France qui puisse s’imaginer un monde sans Union européenne, et encore moins sans OTAN. C’est donc moins l’affaiblissement de la France  en elle-même que traduisent les déclarations de Trump que l’échec de ses dirigeants successifs, de droite comme gauche en réalité, à aller jusqu’au bout de leur logique européiste telle qu’elle fut actée au moment du Traité de Maastricht en 1992. L’Union européenne serait devenue une « fédération d’Etats-Nations » comme le souhaitait Jacques Delors, elle serait respectée par Trump. Comme agrégats de nations en disputes permanentes et dominé par l’Allemagne, Trump semble vouloir la liquider d’avance. 

Edouard HussonIl est difficile de le dire sans avoir un minimum d'informations sur les conditions dans lesquelles a été négociée l'interview. Mais votre question renvoie à une réalité: à quelques exceptions près, peu de journalistes français ont cru la victoire de Trump possible. Et, après son élection, l'attitude majoritaire, dans les médias, dans les milieux intellectuels, dans les milieux politiques, consiste, en France, à s'indigner, non à analyser froidement les rapports de force politiques ou la réalité économique et sociale qui a rendu possible la victoire de Trump. Je vous accorde que ce n'est pas bien différent en Allemagne; mais l'Allemagne pèse encore dans le jeu international; la France cumule les inconvénients: nous avons été laminés plutôt que les Allemands par le déclin de notre politique étrangère et une politique monétaire inadaptée à la troisième révolution industrielle. Et nous n'avons même pas l'idée de nous demander si l'élection de Trump, un changement de politique économique aux Etats-Unis vont bousculer la donne, fournir l'occasion de desserrer le carcan des politiques économiques inadaptées et dépassées auxquelles est soumis notre pays. Je le dis d'autant plus volontiers que ma filiation politique, ce sont les libéraux classiques, les "Old Whig" (au sens de Burke) et que Trump n'est pas....ma tasse de thé. Mais comment ne pas se préparer à saisirt l'occasion d'un bouleversement des repères pour proposer un retour au bon sens politique? 

De nombreux responsables politiques affirment qu'une France qui respecterait les normes de Bruxelles en matière budgétaire retrouverait son influence. Ne peut-on pas voir dans cette idée de la classe politique française une sorte de renoncement intellectuel à ce que pourrait être un projet politique européen ?

Chrisophe Bouillaud : Cela dépend ce qu’on entend par « projet politique européen ». Respecter les normes de Bruxelles en matière budgétaire, et plus généralement en termes de réformes structurelles, se serait continuer à s’inscrire dans la continuité de ce qui a été fait depuis 2010 : une tentative de remettre l’Europe sur les rails en restant dans le cadre de l’ordo-libéralisme défini par les Traités successifs de celui de Maastricht de 1992 au TSGC de 2012. En pratique, pour la France, cela veut dire continuer la « dévaluation interne » en cours en diminuant drastiquement les dépenses publiques et en diminuant les capacités de négociations des salariés face à leurs employeurs, et au final, effectivement, quand les Français seront bien moins coûteux à employer que les Allemands, nos entreprises regagneront sans doute des parts de marché dans le « marché unique » - à moins que les Italiens nous aient battu sur ce point de la baisse du coût du travail. Cependant, cette voie de la poursuite du moins disant social, fiscal, etc. risque de mener la France aux plus grands désordres sociaux et politiques qu’elle ait connus depuis longtemps, et éventuellement de nous entraîner économiquement dans un cercle vicieux à l’italienne, voire à la grecque, en tuant la demande interne dont vivent des centaines de milliers d’entreprises françaises. Cette voie du respect des dogmes de l’ordo-libéralisme serait d’autant plus dommageable que dans le même temps les économistes les plus pragmatiques, y compris au FMI, ont bien compris désormais que l’austérité pour l’austérité ne peut qu’être dommageable à court, moyen et long terme pour l’économie d’un pays. Par ailleurs, il faut bien voir que désormais si les Etats-Unis se désengagent de la sécurité européenne, via une mise en danger de la pérennité de l’OTAN, un pays comme la France va devoir augmenter fortement ses propres dépenses militaires – ou alors choisir de risquer un nouveau « Mai 1940 ». Un projet européen un peu crédible pour la France ne passe donc pas par la poursuite d’une voie austéritaire à l’allemande, mais par une vision plus large qui tienne compte des nouveaux défis à affronter. L’Union européenne doit relancer son économie, et en plus se défendre. Elle ne le fera pas en économisant sou par sou comme un « bon père de famille » qui mettrait de côté de l’argent pour sa retraite, tout en oubliant d’éduquer ses propres enfants et de refaire le toit de la maison! 

Edouard HussonOui, il faut un nouveau projet européen pour la France. J'insiste sur le mot "nouveau"! Continuer à prôner le respect du pacte de stabilité, c'est n'avoir rien compris. Nous sommes à l'ère  de la troisième révolution industrielle, qui est une révolution éducative, numérique, urbaine et entrepreneuriale. Quelle absurdité de penser que l'on peut imposer un seul taux d'intérêt à une zone économique aussi diverse que la zone euro. Evidemment il faut un référent monétaire stable; mais ensuite le crédit doit être accordé au plus près du terrain, de la création de richesse. A l'ère numérique, la gestion du crédit doit être la plus décentralisée possible et les étalons monétaires les plus universels à disposition. Je suis d'accord sur le fait qu'il faudrait que la France reprenne en main le projet européen. Le Frexit ne veut rien dire. Le Brexit signifie simplement que les Britanniques ont rappelé au reste de l'Europe qu'il y avait la Manche entre eux et le continent; mais faisons confiance aux Britanniques pour négocier bien des avantages avec le continent, qui sera trop heureux, enfoncé qu'il est dans la stagnation, qu'un pays qui a repris son bon sens économique lui tende la main. La France, elle aussi, aura la politique de sa géographie; nous ne pouvons pas nous détacher de l'Europe; en revanche nous pouvons demander qu'on en change les règles; à commencer par l'abolition de cette machine à tuer l'emploi et stériliser l'entrepreneuriat qu'est l'euro. Pour autant, "revenir au franc" ne veut pas dire grand chose. Nous avons besoin d'autant d'instruments monétaires que possible, au service des entrepreneurs.  

Comment la France pourrait-elle faire pour revenir au centre des négociations selon vous ?

Chrisophe Bouillaud :Les évolutions des prochains mois sont marquées par une incertitude rarement vue depuis des décennies. Si véritablement Donald Trump veut casser l’Union européenne, je vois mal François Hollande faire autre chose d’ici la fin prochaine de son mandat que suivre toute initiative allemande destinée à soutenir la pérennité de cette dernière. Pour ce qui est de la prochaine Présidence française, les hypothèses restent ouvertes bien sûr. Un plus grand accent mis sur les questions stratégiques ouvrirait à tout nouveau Président français un espace aux initiatives françaises dans la mesure où, sans la France, rien ne peut se faire de sérieux en matière de défense continentale. Par ailleurs, il est aussi possible que l’Allemagne soit obligée de reconsidérer sa position en matière de refus de l’«Union de transfert », si c’est la condition que notre pays pose à la poursuite de l’aventure européenne.  Face à une prise en tenaille entre l’Amérique de D. Trump et la Russie de V. Poutine, il est donc possible que les dirigeants français et les dirigeants allemands aient vraiment plus besoin les uns des autres qu’avant. Cela peut rééquilibrer la relation en faveur de la France. 

Edouard HussonLa France voit deux voies s'ouvrir. La première, qui serait une sorte de retour aux années Sarkozy, consisterait à relancer "le moteur" franco-allemand en faisant en sorte que Paris pèse dans les choix communs. C'est sans doute la méthode qui sera choisie par le prochain président français, qu'il s'appelle Fillon ou Macron. Quelle que soit l'énergie mise dans une telle politique - on l'a vu avec "Merkozy" - le retour sur investissement est faible. Autant je souhaite que l'activité renaisse en France pour relancer les échanges commerciaux franco-allemands, autant je suis sceptique sur la possibilité de faire converger deux sociétés aux tendances de fond aussi divergentes (en matière de politique, de choix énergétiques, de démographie) que la France et l'Allemagne. La France doit retrouver la politique de sa géographie pour peser à nouveau. Nous sommes non seulement une puissance européenne mais aussi ouverte "sur le grand large" (renouons avec la Grande-Bretagne, faisons-nous l'intermédiaire entre elle et le continent); et sur la Méditerranée. Il faut saisir l'occasion de la prochaine crise monétaire grecque pour proposer la substitution d'un euro "monnaie commune" à la monnaie unique. Si la France a un peu de vision, elle ne se contentera pas, comme la Grèce, de réintroduire une "monnaie nationale", elle gardera l'euro comme référent des transactions européennes et internationales et elle ouvrira le pays à une concurrence monétaire interne, sur une décentralisation de la création des instruments de crédit, rendue possible - et même souhaitable - par la révolution numérique. 

Alors que Vincent Peillon propose un "New deal" européen, à travers 1 000 milliards d'euros d'investissement, Benoît Hamon mise lui sur la mise en place d'un visa humanitaire pour les réfugiés. Quelle efficacité peut ont présumé de leurs propositions ? Pourraient-ils faire revenir la France au cœur des débats ? 

Chrisophe BouillaudBien sûr à ce stade de la pré-campagne présidentielle, il est très peu probable que l’un ou l’autre devienne Président de la République en mai prochain. Par contre, il me semble que le dirigeant français qui obtiendra enfin une redéfinition complète de la manière de penser l’économie européenne sera celui qui sera le plus efficace pour sauver l’Union européenne et par là rétablir le prestige de la France. L’idée d’un « New Deal européen », pour galvaudée qu’elle soit à force d’être répétée depuis des décennies maintenant, est tout de même la manière la plus réaliste de faire revenir la France au centre des débats, et surtout de sauver l’Union européenne de son marasme. Ou alors, il faut que la France prenne ses pertes comme on dit, et se redéfinisse en dehors de ce projet européen, ce qui ne se fera pas sans peine. 

Edouard Husson Le New Deal fut une des politiques les plus myopes de l'histoire. Pour assurer une création de crédit gigantesque aux Etats-Unis, Roosevelt rapatria or et devises d'Europe, il confisqua les réserves des particuliers dans son propre pays. Le prix à payer pour l'Europe en fut terrible: assèchement total de la base monétaire, qui aggrava la crise politique et fit définitivement le lit du fascisme et des autres dictatures. M. Peillon oublie que, pour créer de la monnaie, il faut toujours s'appuyer sur une base concrète. Sur quoi appuie-t-il sa création monétaire? Quels capitaux l'Europe a-t-elle les moyens d'attirer dans un monde où les Etats-Unis vont favoriser l'investissement et où la Chine ne se laissera dicter aucune loi par les autres puissances? Non, il faut libérer les forces entrepreneuriales de nos sociétés; cela ne passe pas par de la fiat currency déversée d'en haut; mais par la confiance que l'on mettra dans l'es initiatives sur le terrain. Quant aux visas humanitaires dont parle Benoît Hamon en quoi sont-ils différents des autorisations d'asile accordées par l'Allemagne ou par d'autres? A quoi serviront-ils s'il n'y a pas d'adéquation entre formation des personnes accueillies et emplois? 

Oui, il faut un nouveau projet européen pour la France. J'insiste sur le mot "nouveau"! Continuer à prôner le respect du pacte de stabilité, c'est n'avoir rien compris. Nous sommes à l'ère  de la troisième révolution industrielle, qui est une révolution éducative, numérique, urbaine et entrepreneuriale. Quelle absurdité de penser que l'on peut imposer un seul taux d'intérêt à une zone économique aussi diverse que la zone euro. Evidemment il faut un référent monétaire stable; mais ensuite le crédit doit être accordé au plus près du terrain, de la création de richesse. A l'ère numérique, la gestion du crédit doit être la plus décentralisée possible et les étalons monétaires les plus universels à disposition. Je suis d'accord sur le fait qu'il faudrait que la France reprenne en main le projet européen. Le Frexit ne veut rien dire. Le Brexit signifie simplement que les Britanniques ont rappelé au reste de l'Europe qu'il y avait la Manche entre eux et le continent; mais faisons confiance aux Britanniques pour négocier bien des avantages avec le continent, qui sera trop heureux, enfoncé qu'il est dans la stagnation, qu'un pays qui a repris son bon sens économique lui tende la main. La France, elle aussi, aura la politique de sa géographie; nous ne pouvons pas nous détacher de l'Europe; en revanche nous pouvons demander qu'on en change les règles; à commencer par l'abolition de cette machine à tuer l'emploi et stériliser l'entrepreneuriat qu'est l'euro. Pour autant, "revenir au franc" ne veut pas dire grand chose. Nous avons besoin d'autant d'instruments monétaires que possible, au service des entrepreneurs.  

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