Et au fait, où en est le retour des années folles qu'on nous promettait pour les années 2020 ?<!-- --> | Atlantico.fr
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©BERTRAND GUAY / AFP

Vent d'optimisme

Selon de nombreux chercheurs, les années 2020 devaient marquer le retour des années folles après la pandémie de Covid-19. La crise sanitaire va-t-elle perturber cette dynamique ?

Philippe Fabry

Philippe Fabry

Philippe Fabry a obtenu son doctorat en droit de l’Université Toulouse I Capitole et est historien du droit, des institutions et des idées politiques. Il a publié chez Jean-Cyrille Godefroy Rome, du libéralisme au socialisme (2014, lauréat du prix Turgot du jeune talent en 2015, environ 2500 exemplaires vendus), Histoire du siècle à venir (2015), Atlas des guerres à venir (2017) et La Structure de l’Histoire (2018). En 2021, il publie Islamogauchisme, populisme et nouveau clivage gauche-droite  avec Léo Portal chez VA Editions. Il a contribué plusieurs fois à la revue Histoire & Civilisations, et la revue américaine The Postil Magazine, occasionnellement à Politique Internationale, et collabore régulièrement avec Atlantico, Causeur, Contrepoints et L’Opinion. Il tient depuis 2014 un blog intitulé Historionomie, dont la version actuelle est disponible à l’adresse internet historionomie.net, dans lequel il publie régulièrement des analyses géopolitiques basées sur ou dans la continuité de ses travaux, et fait la promotion de ses livres.

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Atlantico : De nombreux chercheurs avaient prédit que à la suite de la pandémie de Covid la décennie 2020 marquerait le retour des années folles, un siècle après la période qui s’est déroulée aux États-Unis de 1920 jusqu’au début de la Grande Dépression en 1929. Force est de constater que cette prévision ne s’est pas (encore) réalisée.  Le fait que nous soyons englués dans la pandémie rend-il impossible cette dynamique ?

Philippe Fabry : Cette idée de parallèle avec les années folles est venue semble-t-il, de manière assez sommaire, d’une simple similitude dans les dates : les « années 20 » du XXe siècle étant les années folles, d’aucuns ont jugé pertinent de se demander s’il en irait de même au XXIe siècle. Atlantico m’a interrogé deux fois sur ce sujet : à l’orée de la décennie 2020, en novembre 2019, donc avant la pandémie, et au sortir du confinement, en mai 2020. A ces occasions j’ai pu indiquer n’être pas convaincu de la pertinence de ce parallèle, qui n’est guère devenu plus convaincant avec le nouvel élément de parallèle entre la pandémie de Covid-19 et la grippe espagnole. Comme je l’ai déjà dit, la principale raison des années folles était à trouver dans la fin de la Première guerre mondiale, vue comme la « der des ders ». Il n’y avait rien de tout cela avant le début de la pandémie, et celle-ci à elle seule n’a pas de raison de produire une mentalité de ce genre : c’est bien la guerre, et non la grippe espagnole, qui a changé la mentalité de l’époque.

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A-t-on des indices pouvant nous laisser croire qu’une période dans la dynamique des années 1920 pourrait néanmoins survenir ?

Selon moi, pas du tout. L’équivalent des années folles, c’étaient les années 1990, avec l’éloignement de la menace nucléaire, le grand vent de liberté soufflant sur le monde et semblant devoir amener le triomphe universel de la démocratie, l’idée de « fin de l’Histoire » de Fukuyama. Et tout cela a pris fin avec l’essor du terrorisme islamiste, les guerres interminables au Moyen-Orient, et la crise économique de 2008 – équivalent de celle de 1929 en son temps. Depuis, ce sont les tensions qui s’accroissent, l’ordre mondial qui vacille, ses contestataires – Chine, Russie, Turquie, Iran – qui se renforcent, et en dernier lieu la pandémie qui est venue fragiliser les sociétés démocratiques avec des mesures gouvernementales souvent autoritaires et liberticides.

Est-il possible que l’on se soit complètement trompé et que l’euphorie espérée n'arrive jamais même après les années difficiles que nous avons vécues ?

Je dirai surtout qu’à l’échelle historique, la pandémie est un non-événement. Elle aura en définitive fait peu de morts, et une grande partie des difficultés qu’elle a engendré sont plutôt le résultat des décisions politiques que de la maladie elle-même. C’est très insuffisant pour faire naître une euphorie, qui n’apparaît que lorsqu’un grand danger s’éloigne. Or, depuis la fin du premier confinement, une grande partie de la population ne perçoit pas vraiment de danger venant de la maladie, mais s’inquiète surtout des mesures gouvernementales qui seront prises pour lutter contre la pandémie, et qui impactent durement la vie des gens – cela est vrai de la jeunesse, en particulier. Une telle situation ne fait pas naître d’euphorie, mais de la colère et de la frustration, les émotions que provoquent non une guerre gagnée, mais une guerre qui s’éternise sans plus paraître avoir le moindre sens. Dans les livres d’histoire, la pandémie sera surtout un élément de contexte, un facteur qu’on évoquera pour expliquer l’origine des importants troubles sociaux qui vont agiter le monde démocratique de façon importante dans les années qui viennent – mais qui avaient déjà montré leurs prémices avant la crise sanitaire.

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Si ce ne sont pas les années folles à quoi pourraient ressembler les années 2020 ?

Aux années 1940. C’est très certainement ce vers quoi nous nous dirigeons. Les tensions géostratégiques n’ont pas été à un tel niveau depuis plus de trente ans. Il y a un vrai risque de guerre à grande échelle en Europe, en Ukraine pour commencer. L’Inde et la Chine tiennent leurs armées face-à-face en Himalaya depuis près de deux ans, sans qu’une désescalade ne paraisse plus envisageable. L’hypothèse d’une confrontation géostratégique globale entre les Etats-Unis et leurs alliés et l’axe russo-chinois et les siens devient de plus en plus probable à relativement brève échéance. La seule vraie question reste celle de la morphologie de cette confrontation : nouvelle guerre froide ou guerre chaude ? Il n’est pas impossible, vus les enjeux, les ambitions et les termes dans lesquels se définissent les nouvelles rivalités, que des confrontations armées directes aient lieu entre grandes puissances nucléaires, et que nous assistions à des mouvements de troupes d’une ampleur jamais vue depuis trois quarts de siècle. Il suffit de regarder l’actuel déploiement russe aux frontières de l’Ukraine pour l’envisager. Dans quelques années, nous finirons peut-être par regretter le bon temps de la pandémie.

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