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Matériel d'un espion de la Stasi.
Matériel d'un espion de la Stasi.
©wikipédia

Série : 25 ans après la chute du mur de Berlin

La demande de liberté était forte en RDA, l’adhésion à la démocratie de l’ouest n’a donc pas été difficile. Les désillusions se sont plutôt produites au niveau économique de par le chômage de masse. Si 25 ans après l’essentiel semble avoir été fait, les séquelles demeurent et il est difficile de parler de symbiose entre l’ouest et l’est. 1ère partie de notre série consacrée à l'anniversaire des 25 ans de la chute du mur de Berlin.

Yvonne  Bollmann

Yvonne Bollmann

Yvonne Bollmann est ancien maître de conférences à l'université Paris XII, auteur de La Bataille des langues en Europe et de Ce que veut l'Allemagne, publiés tous deux chez Bartillat

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Jérôme Vaillant

Jérôme Vaillant

Jérôme Vaillant est professeur émérite de civilisation allemande à l'Université de Lille et directeur de la revue Allemagne d'aujourdhuiIl a récemment publié avec Hans Stark "Les relations franco-allemandes: vers un nouveau traité de l'Elysée" dans le numéro 226 de la revue Allemagne d'aujourd'hui, (Octobre-décembre 2018), pp. 3-110.
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Atlantico : L’Allemagne s’apprête à célébrer les 25 ans de la chute du mur de Berlin, qui s’est produite le 9 novembre 1989. Le démantèlement de l’appareil de surveillance de l’État-policier qu’était la RDA a-t-il posé problème ? Comment la moitié du pays, qui était soumise à des logiques de contrôle totalitaires, a-t-elle effectué sa transition vers un Etat de droit ?

Jérôme Vaillant : Les effectifs policiers ont beaucoup diminué, dans la mesure où beaucoup d’entre eux, voyant ce qui se passait, ont préféré s’effacer d’eux-mêmes plutôt que d’être licenciés. Aujourd’hui beaucoup d’ancien policiers, militaires et membres de la Stasi se retrouvent à des postes ayant trait à la sécurité. Certains ont créé des sociétés de sécurité privées, avec un certain succès d’ailleurs au vu de leur expérience dans ce domaine. Le démantèlement de toutes ces administration s’est fait sans trop de difficultés, tout simplement parce que la population y aspirait.

>>>>> A lire également : qui a payé la réunification allemande (directement ET indirectement) ?

C’est début 1990 que les locaux de la Stasi ont été vandalisés, car les Allemands de l’Est ne voulaient pas subir une quelconque influence dans le cadre de la transition. Passées les élections démocratiques du mois de mars, les institutions de surveillance ont disparu. L’Allemagne, forte de son passé de dénazification, a tenu à procéder à ce qu’on pourrait appeler une « déstasification ». A la demande des mouvements pour les droits civiques, les documents de la Stasi ont été confiés à une institution dont la fonction est de permettre à toute victime du service de surveillance d’avoir accès aux informations. Cela a conduit à la déstabilisation d’un certain nombre de personnes.

Aujourd’hui, grâce à cette confrontation au passé, l’Allemagne de l’est se porte plutôt bien, malgré les souffrances personnelles. Imaginez : des personnes se sont rendu compte que la personne chargée de les espionner au plus près était leur mari, leur femme, leur ami…

Le démantèlement de la Stasi a-t-il donné lieu à une chasse aux sorcières ?

Jérôme Vaillant : L’une des tâches de l’office détenteur des dossiers de la Stasi est de vérifier si les fonctionnaires ou les élus ont été d’une manière ou d’une autre compromis avec les agents. Les mouchards officieux de la Stasi sont ceux qui ont été le plus montrés du doigt. On en a trouvé dans tous les camps politiques. On peut parler d’épuration, qui a touché les anciens de la Stasi, les officiels comme les officieux. Mais aujourd’hui encore des articles de presse apportent des éléments contre des personnalités politiques de haut rang. La Stasi n’a pas été laissée en paix, à tel point même que ce sont plus les mouchards qui ont trinqué que les cadres, qui eux étaient responsables de tout.

J’ai récemment assisté à un colloque qui s’est tenu à Weimar, sur le thème de « l’Allemagne, 25 ans après », au cours duquel un spécialiste de ces questions faisait remarquer que le nombre de collaborateurs officieux de la Stasi était considérable : 200 000 environ pour une population de 16 millions d’habitants. Les membres officiels étaient à peu près aussi nombreux.

Mais ce qu’on oublie de voir, c’est qu’ils ne pouvaient travailler que parce qu’il y avait environ un million de personnes qui acceptaient de leur donner des renseignements. Ces personnes n’avaient pas l’impression d’être des dénonciateurs, car on venait simplement « discuter » avec elles. C’est un nouveau débat qui va sans doute s’ouvrir ces prochaines années, sur la trop grande propension des Allemands de l’Est, dans les conditions d’une dictature, à donner les informations que l’on attend d’eux. Le débat porte aussi sur la propension d’intellectuels est-allemands à collaborer avec la Stasi. On peut peut-être expliquer ce jeu trouble par une adhésion à une certaine vision d’un socialisme allemand.

Comment le pays réunifié a-t-il procédé pour assurer la transition démocratique de la partie Est ? Quelles ont été les étapes ?

Jérôme Vaillant : Il y a eu le problème de l’unification interne, c’est-à-dire la cohésion à créer entre deux Allemagne qui avaient vécu séparées selon des régimes tout à fait différents pendant 40 ans. Il y a eu des difficultés au niveau de l’intégration économique. Et enfin il y eu l’enjeu de l’intégration d’une Allemagne plus grande et unifiée et dans le monde.

Pour ce qui est de la transition démocratique, au moment de l’adhésion de la RDA au régime politique de la RFA, ce sont évidemment les institutions de l’Allemagne de l’ouest qui ont été adoptées par l’Allemagne de l’est. Pour ce faire les fonctionnaires ouest-allemands, tant au niveau de la fédération que des différents länder, ont apporté un concours en compétences humaines et techniques à l’est – appelés communément « les nouveaux länder » - qui ont eu tout à apprendre en matière de gestion administrative sur le mode occidental. Au-delà des personnes, une aide financière fabuleuse a été dégagée, pour permettre en particulier à la sécurité sociale de prendre en charge les Allemands de l’est, qui n’avaient jusqu’ici jamais cotisé au système occidental.

Au niveau purement économique la transition a été brutale et difficile, car il fallait passer d’une économie planifiée et autoritaire à une économie libérale de marché. Elle a été brutale car en 4 années il a été possible de régler les principaux problèmes de propriété, faisant ainsi passer ces länder d’une structure étatisée à une structure de capitalisme privé, avec restitution des entreprises à leurs anciens propriétaires. Cela s’est fait rapidement, mais s’est accompagné d’une perte d’emplois faramineuse.

Les Allemands de l’Est ne connaissaient pas ce chômage-là – il existait aussi dans l’économie socialiste, mais sous des formes déguisées. Cela avait été d’autant plus mal vécu que le chancelier Helmut Kohl leur avait annoncé qu’ils ne pourraient désormais connaître que des jours meilleurs, or cela n’a pas été le cas dans une première période. Les investissements ne sont venus mettre fin à la désertification que petit à petit.

Aujourd’hui, on estime que 25 ans plus tard l’essentiel a été fait. Mais on ne peut pas parler encore de symbiose entre l’ouest et l’est, et peut-être est-ce même une vision de l’esprit que d’attendre une telle chose, alors qu’il n’y a pas obligatoirement de symbiose entre le nord et le sud, et que l’Allemagne est par nature traversée par une vaste diversité. Ce sont des différences de mentalité, mais aussi politiques, notamment dans la façon d’aborder les problèmes de la guerre et de la paix.

Comment le peuple de l’Est a-t-il vécu ce changement brutal ?

Jérôme Vaillant : Ce n’est pas la RDA qui a adhéré en bloc au système politique de la RFA, ce sont les 5 nouveaux länder. Avant même que la réunification se fasse, après la chute du mur ces 5 länder se sont redonnés une constitution propre à chacun. C’est un modèle qui existait jusqu’en 1952, et dès les années 80 on observait un retour progressif vers la logique des länder.

Tous ont gardé une identité forte. Ne négligeons pas non plus que même si ces länder n’était pas coutumiers des principes démocratiques, de par les contacts familiaux la population parvenait tout de même à se représenter les choses, et c’est cette dernière qui a finalement rejeté le modèle est-allemand lors de la révolution pacifique de l’automne 89. La demande de liberté étant forte, l’adhésion à la démocratie de l’ouest n’a pas été spécialement difficile. Les désillusions se sont plutôt produites au niveau économique de par le chômage de masse. Notons au passage que 25 ans après, les nouveaux länder enregistrent encore en termes de productivité un retard d’un tiers par rapport à ceux de l’ouest.

Comment cette période a-t-elle marqué les institutions contemporaines ?

Jérôme Vaillant : Le recours au référendum d’initiative populaire est ancré dans les constitutions des länder de l’est plus que dans celles de länder de l’ouest. Ces derniers se font petit à petit à l’idée d’évoluer dans ce sens. De la même façon, le droit au logement et le droit au travail sont inscrits, sans pour autant que l’on puisse les invoquer devant les tribunaux.

Sur le plan des traditions, beaucoup ont subsisté. Des émissions de radio ont subsisté par exemple, car on n’a pas voulu s’en séparer. L’adoption du schéma ouest-allemand dans son entier aurait pu être dangereuse, d’autant que les Allemands de l’Est se sentaient déclassés au rang de citoyens de seconde classe. Ils ne voulaient pas que l’on oublie que ce sont eux qui ont mené la révolution.

Yvonne Bollmann : La réunification a été une sorte d’Anschluss éclair, selon la loi du plus fort, avec octroiement de la Loi fondamentale aux nouveaux Länder et triomphe simultané de la « force du droit ». 25 ans plus tard, la revanche de la RDA disparue sera peut-être, en Thuringe, prochainement, l’élection d’un ministre-président du parti Die Linke, dans une coalition avec le SPD et les Verts fortement critiquée par le président fédéral Joachim Gauck.

Certains, dans la Frankfurter Allgemeine Zeitung par exemple, y voient déjà l’amorce d’une alliance analogue rouge-rouge-verte lors des prochaines élections au Bundestag, et donc la voie toute tracée  vers une « autre République ». Cause d’effroi pour les uns, c’est l’espoir, pour d’autres, de mettre fin à l’interdépendance obligée de la CDU et du SPD, cette  « captivité de Babylone » où ils sont tous deux réunis. Cela donnerait un paysage politique différent.

La société est-elle encore hantée par certains démons ?

Jérôme Vaillant : Les Allemands de l’Ouest sont vaccinés contre le IIIe Reich, quand ceux de l’Est le sont doublement : contre la dictature nazie et contre la dictature communiste. Dans l’Est la tendance est à la transparence et au refis de se confier à des organismes d’Etat qui le demanderaient. L’effet est inverse, donc. A l’est comme à l’ouest, beaucoup d’Allemands sont même réfractaires aux enquêtes d’opinion. La société rejette aujourd’hui son contrôle par l’Etat.

Yvonne Bollmann : Elias Canetti écrit dans Masse et puissance qu’ « aucun pays moderne du monde n’a gardé aussi vivace que l’Allemagne le sentiment de la forêt ». Le 31 octobre, Angela Merkel a planté un chêne à Bonn, une action parrainée par elle, proposée par un intervenant lors d’une vaste consultation citoyenne en 2012, mise en œuvre par l’association de protection “Forêt allemande” (Schutzgemeinschaft Deutscher Wald). Il s’agit de créer dans toutes les communes allemandes un « monument vivant » formé de trois arbres – un hêtre symbolisant les länder de l’Ouest, un pin pour ceux de l’Est, et un chêne pour l’Allemagne réunifiée – plantés aux sommets d’un triangle équilatéral de 10 m de côté.

Ce seraient des lieux de rencontre pour les citoyens. Comme l’a dit la chancelière, « les enfants ici présents les verront grandir en même temps qu’eux ». Pour Elias Canetti, « le symbole de masse des Allemands était l’armée. Mais l’armée était plus que l’armée : c’était la forêt en marche (…) Le garçonnet que l’étroitesse de la maison chassait dans la forêt pour y rêver solitairement, croyait-il, vivait d’avance son incorporation (…) Il ne faudrait pas sous-estimer l’influence de ce précoce romantisme de la forêt sur l’Allemand. Il l’a célébré dans des centaines de chansons et de poèmes, et la forêt qu’ils chantent y était souvent dite « allemande » (…). » Hêtres, pins et chênes d’aujourd’hui : symboles édulcorés de démons anciens, qui revivraient sous l’aspect éthique d’engagements pris au nom de la « responsabilité » (Verantwortung) ?

Propos recueillis par Gilles Boutin

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