Environnement, inégalités, géopolitique… : la France a-t-elle encore les moyens de sa prétention à la (souvent pseudo) vertu ? <!-- --> | Atlantico.fr
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Emmanuel Macron lors d'une conférence de presse à l'Elysée.
Emmanuel Macron lors d'une conférence de presse à l'Elysée.
©JULIEN DE ROSA / AFP

L'art du et en même temps

Un pouvoir qui n’assure plus de vrais gains en pouvoir d’achat pour la majorité des citoyens ne devrait pas les embêter avec les 80km/h. Un pays qui n’est pas sûr de pouvoir se chauffer l’hiver prochain ne devrait pas multiplier les diversions dans l’action publique.

Don Diego De La Vega

Don Diego De La Vega

Don Diego De La Vega est universitaire, spécialiste de l'Union européenne et des questions économiques. Il écrit sous pseudonyme car il ne peut engager l’institution pour laquelle il travaille.

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Notre beau et vieux pays est connu de longue date pour ses prétentions et ses promesses assez déconnectées de ses moyens, et par sa promotion un peu partout de démarches vertueuses qu’il ne s’applique pas toujours à lui-même. Ces dernières années, ce boyscoutisme donquichottesque s’approchait tellement du ridicule que l’on pouvait enfin envisager de trouver bientôt le frein et de stopper le train d’un certain nombre d’envolées lyriques ; au lieu de cela, et alors que les moyens se réduisent à vue d’œil, les prétentions à la « vertu » ont encore rebondi : elles partent en spirale alors que le collatéral économique censé les assurer se lézarde, et alors que ce qui permettait traditionnellement de boucler à peu près la boucle (la production de dettes) fait désormais l’objet d’une tarification punitive du fait de la hausse des taux d’intérêt par Francfort. Pourquoi une telle crise des ciseaux ?

Une première explication relève de la fuite en avant. On sait que plus les gens de l’Etat ont besoin d’argent, plus ils mentent. Ils partagent cette tendance avec tous ceux qui rehaussent la barre à chaque fois qu’ils échouent (maoïstes, macronistes), et avec ceux qui construisent d’autant mieux des récits valorisants qu’ils s’enfoncent dans des logiques de Pont de la rivière Kwaï. Dans cette optique, on parlera toujours plus de « neutralité carbone » à mesure que l’on importera davantage de GNL pour passer les hivers (remarquez déjà qu’on ne dit pas : « gaz de schiste texan, liquéfié, transporté grâce à un mazout dégueulasse, puis re-transformé » ; on dit GNL, ça passe mieux).

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Une explication plus sophistiquée pourrait être tirée de la « premature imitation » dont nous parle Tyler Cowen ; par exemple, s’agissant de l’Inde, Edward Glaeser (l’un des meilleurs économistes au monde) : “A country that cannot provide clean water for its citizens should not be in the business of regulating film dialogue”. La France aime faire de l’imitation préventive et immature, on l’a vu par exemple au moment de l’affaire Penelope Fillon : tout se passait dans le débat comme si nous avions des exigences scandinaves de vertu, alors que tous ceux qui connaissent le monde de la politique à Paris savent bien que nous sommes très loin au quotidien de la Scandinavie, d’ailleurs au même moment un jeune au CV très contestable du point de vue éthique gravissait les échelons sans faire l’objet d’un tel niveau d’exigence ; mais passons.

Un pouvoir qui n’assure plus de vrais gains en pouvoir d’achat pour la majorité des gens ne devrait pas les embêter avec les 80km/h ; un pays qui n’est pas sûr de pouvoir se chauffer l’hiver prochain ne devrait pas multiplier les diversions dans l’action publique ; les associations qui s’insurgent parce que des journées pour l’information à la sexualité ne sont pas appliquées devraient réaliser à quel point notre école est en chute sur ses missions de base ; les gens qui regrettent que nous ne soyons plus une grande puissance agricole pourraient s’interroger sur toutes les entraves réglementaires que nous multiplions à l’encontre de nos agriculteurs ; et on peut faire une ZAN (« zéro artificialisation nette »), et on peut faire des plans de relance de la construction de logements pour contrecarrer l’envol des prix immobiliers, mais on ne peut pas faire les deux en même temps ; etc.

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D’autres explications cousines me viennent à chaque fois que je consulte H16 (matin, quel blog !) (sauf sur les questions monétaires où hélas il n’y comprend rien) : pour ne citer qu’un seul paragraphe entre 1000 : « … cette adéquation quasi-magique entre ces bricolages sociétaux, ces dépenses pharaoniques sans encadrement et la gestion résolument progressiste des contingences terre-à-terre de la vie de tous les jours. Car c’est aussi ça, le progrès : trouver des moyens innovants de ne pas traiter des problèmes courants, aussi aigus soient-ils. Or, en France en général et à Paris en particulier, plus qu’une idée à la mode, cette propension à innover aussi dans la non-gestion est devenue un art de vivre… ».

Pour résumer, on met la charrue avant les bœufs (plan hydrogène), puis on fait acheter des indulgences (crédits carbone).Karl Marx écrivait quelque part que l’humanité ne se pose jamais de problèmes qu’elle ne puisse résoudre ; à voir la France d’aujourd’hui, occupée à la survie d’un système monétaire fixiste et engagée parait-il à atteindre une « neutralité carbone » sans une relance plus que cosmétique du nucléaire, qu’il nous soit autorisé d’en douter.

Alors maintenant, que faire ?

Augmenter les moyens (sans augmenter les impôts) et abaisser les prétentions (sans éliminer quelques ambitions légitimes).

Le premier volet a fait très immodestement l’objet d’un certain nombre d’articles dans Atlantico depuis 2011 ; pour résumer, il nous faut l’aide de la politique monétaire, et en particulier utiliser le bilan de la BCE pour effacer certaines dettes surnuméraires et aussi, peut-être un jour, pour financer le lancement d’une vraie politique de participation. Et, au moins, d’ici là : arrêter de se tirer des balles dans le pied avec un resserrement monétaire qui ne fait que subventionner des banques, qui n’est pas compris par les marchés (il n’y a plus de pente entre les taux courts et les taux longs), qui ne peut rien contre le genre de dérive des coûts que nous subissons (croyez-vous que nous sommes menacés de surchauffe, de surinvestissement et de boucles prix-salaires ?), et qui nous place dans une situation de très grande vulnérabilité pour l’hiver prochain (cf la chute en cours des agrégats monétaires, plus verticale qu’en 2008 ou 2011).

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Abaisser la machine à créer des prétentions passe par un effort de toute la société pour se débarrasser du « en même temps » et au passage de toute la « pensée Sciences-po ».

Une illustration. Macron voulait en 2017 un « nucléaire sous contrôle dans un mix énergétique rénové » : une société à peu près saine d’esprit devait flairer l’arnaque, demander des clarifications, puis des actes.Macron veut beaucoup de choses. Comme les enfants. Quand le monde réel lui dit non, il ne comprend pas bien, comme les enfants. Il veut être jugé sur ses intentions plus que sur ses résultats, comme les enfants. Avoir 15 priorités, c’est n’avoir aucune priorité.

Le problème est que les élites pensent que ça va plutôt bien, alors que le bas peuple est persuadé que ça va mal et de plus en plus mal. Nos élites se dispersent en futilités, elles en ont les moyens ; elles font penser à l’aristocratie fin XVIIIe qui parlait d’écraser la bêtise et l’infâme sans comprendre que c’est elle qui allait être écrasée. Le peuple voudrait un peu plus de décence, et une vraie direction, ce qui passe par un certain sens des priorités qui n’est plus enseigné.

Sciences-Po a longtemps bien servi le pays mais parce que Boutmy et ses successeurs avaient un objectif clair et louable en tête, la formation d’élites après l’humiliation de 1870 ; aujourd’hui c’est une machine à créer des diversions, de pâles imitations de l’Allemagne, et de la vertu en barre. Ce genre d’école fait croire (j’en sais quelque chose !!) que l’on peut exceller en tout, ce qui est faux et ce qui coûte très cher ; une école moderne pour la formation des élites insisterait au contraire sur les ordres de grandeur et les priorités, et apprendrait par exemple à retirer une ancienne norme à chaque fois qu’on se propose d’en créer une nouvelle. Cette école reviendrait à un concours national franc du collier car le système de quotas part en vrille jusqu’au ridicule ; elle ambitionnerait se sortir le pays de sa sclérose bureaucratique au lieu d’y participer ; et elle valoriserait la « common decency » plutôt que les dernières lubies des campus outre-Atlantique.

En clair, ce que tout cela signifie : travailler nos points forts et non pas nos points faibles, ne pas penser que tout ce qui vient de l’Allemagne est automatiquement vertueux, et faire son boulot, tout son boulot et rien que son boulot (les juges découvrent des principes au lieu de faire appliquer le droit, les banquiers centraux s’occupent plus des banques commerciales que de la macroéconomie, les journalistes subventionnés s’occupent plus de moraline que de l’analyse des faits). Nous reviendrions à des politiques claires, assumées, plus proches du plan Messmer que du « en même temps », plus proches de l’analyse coûts/bénéfices que du « quoi qu’il en coûte », plus centrées sur le combat contre la pauvreté que sur celui contre l’hydre des inégalités ; mais je rêve bien entendu.

Illustration dans le domaine de l’immigration, où la France n’a clairement plus les moyens de sa vertu. Dans notre démarche de choix clairs et assumés, il y aurait deux pistes (que l’on ne pourrait même plus évoquer dans une copie de Sciences-Po de nos jours sans risquer l’expulsion). La première, démocratique, celle du référendum : préférez-vous garder l’Etat Providence, ou l’ouverture franche vis-à-vis de peuples non-européens ? Car on peut encore avoir l’un ou l’autre, mais on ne pourra plus avoir les deux très longtemps. Et ne pas choisir, c’est choisir (le pire le plus souvent). La 2e piste, plus techno, est celle de l’immigration payante. Venir en France c’est profiter de tout un capital matériel et immatériel que les nationaux ont bâti depuis longtemps avec leurs efforts et leurs impôts ; vous pouvez entrer dans cet espace, qui vous protégera et encouragera votre prospérité, mais il faut payer. Comme dans de nombreux pays démocratiques. Ce filtre n’est pas plus bête ou plus illégitime que d’autres, il a surtout le mérite d’être transparent, il serait discuté régulièrement par le Parlement en fonction des flux et des besoins, il changerait l’image que les Français ont des étrangers et au passage il ferait rentrer de l’argent dans les caisses. Dans un cas comme dans l’autre, les débats seraient clarifiés et mis sur la place publique, mais c’est bien entendu pour cela que ces pistes sont combattues avec la dernière énergie, moquées et ensevelies.

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