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Le couple Hollande-Merkel, et donc le moteur franco-allemand de l'Europe, bat de l'aîle.
Le couple Hollande-Merkel, et donc le moteur franco-allemand de l'Europe, bat de l'aîle.
©Reuters

Rupture consommée

La semaine a été terrifiante dans le couple franco-allemand, où tout est prétexte désormais à la grogne, la dispute ou la colère. Les chancelleries n’en peuvent plus. Et si le couple reste ensemble c’est principalement par habitude, parce que la séparation serait coûteuse et compliquée, et pour protéger les enfants, c’est-à-dire les autres pays membres de l’euro…

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre a été en charge de l'information économique sur TF1 et LCI jusqu'en 2010 puis sur i>TÉLÉ.

Aujourd'hui éditorialiste sur Atlantico.fr, il présente également une émission sur la chaîne BFM Business.

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Si les deux patrons font bonne figure en public, si Angela Merkel et François Hollande ont cru que l’opération qu'ils ont conduite en Russie pouvait laisser croire que la France et l’Allemagne avaient retrouvé une ligne de vie commune et solidaire, la presse, les personnels politiques et les hommes d’affaires n’arrêtent pas de compter les points de discorde, de désaccord et d’humiliation. Les fractures se sont multipliées et les raisons de la mésentente n’ont jamais été aussi sérieuses et nombreuses.

Premier dossier de la discorde : la situation économique comparée dans les deux pays qui est sans doute le premier sujet de discussion et de vexation. Dans les couples en général, c’est comme cela. Quand l’un travaille plus et  gagne mieux sa vie, il va reprocher à l’autre de dépenser à tort et à travers l’argent du ménage. La France et l’Allemagne ont des comptes séparés mais ils ont aussi un compte joint en euro.

Les chiffres publiés cette semaine prouvent que l’Allemagne n’a jamais été aussi forte qu'aujourd'hui. Le pays affiche un PIB en hausse de 1,6% sur 2014 avec une croissance qui accélère en fin d’année et qui met 2015 sur un trend encore plus dynamique avec une consommation des ménages dopée par les hausses de salaires et une reprise assez forte des investissements. Pour couronner le tout, l’économie allemande et surtout les entreprises allemandes ont désormais les moyens d’organiser des rattrapages de salaires importants notamment dans l’industrie avec un smic qui est désormais plus élevé qu'en France. Le salaire horaire minimum obligatoire est encore légèrement inférieur mais rapporté au nombre d’heures travaillées, il fait que le salaire minimum allemand mensuel est supérieur au smic français. La France est restée aux 35 heures, ce qui continue d’écraser son pouvoir d’achat.

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La multiplication des emplois de service fait que le chômage en Allemagne est en voie de disparition. Résultat, tous les indicateurs sont au vert. Les excédents du commerce extérieur profitent encore plus de la baisse de l’euro, les excédents budgétaires éteignent la dette publique et le modèle social est en équilibre.

L’Allemagne touche ainsi les fruits des réformes entreprises il y a dix ans, pour digérer le coût de la réunification allemande et profite ainsi d’une compétitivité de son industrie qui se retrouve dopée par la baisse de l’euro.

L’Allemagne se félicite évidemment de cette bonne santé qui fait de Mme Merkel l’une des chefs de gouvernement parmi les plus puissants et les plus libres du monde.

Ceci étant, le gouvernement allemand et le ministre de l'économie acceptent de plus en plus mal les critiques qui leur sont adressées, et la majorité de  ces critiques à peine feutrées viennent de France.  Pendant des années, on a  reproché aux Allemands leur faiblesse et leur incapacité à tirer la construction européenne, aujourd'hui on leur reproche l’inverse. Leur surpuissance. Encore un effort, mais le Parti socialiste français est parti pour prouver que si l’Allemagne est devenue aussi forte c’est en affaiblissant les autres pays de la zone euro. Pas mal. Ils sont riches parce que nous qui sommes pauvres. Bravo.

Les Allemands, eux, répondent qu'ils ont besoin d'une Europe forte et pas d’une Europe malade. Ils n’ont donc aucun intérêt à affaiblir la zone euro. Pour les hommes d’affaires, ce serait un comportement suicidaire. D’où leur changement de pied sur les salaires allemands qui devraient améliorer la situation dans l’ensemble de l’Europe. Plutôt que de reconnaître que les Allemands s’en sortent bien, les Français amers et aigris ne cessent pas de les jalouser et d’entretenir ce sentiment anti-allemand. L’Allemand est devenu le dernier bouc-émissaire a la mode.

Deuxième dossier de discorde : l’harmonisation budgétaire en Europe. La France a obtenu cette semaine deux ans de plus pour limiter son équilibre des finances publiques à 3%… Pour les Allemands c’est un pur scandale. Du coup, la France sera le dernier pays de la zone euro à sortir de la procédure de déficit excessif en 2017. La dernière de la zone euro après tous les mauvais élèves que sont la Grèce, l’Espagne, l’Irlande et le Portugal. Ce que tous ces pays ont été capables de faire comme effort, la France ne l’a pas fait... Les Allemands sont vent debout contre ce laxisme et cette paralysie.

La seule réponse faite par les Français est de dire qu'ils ont, eux, des dépenses militaires et qu'ils essaient de maintenir l’ordre au Moyen-Orient ou en Afrique. Les Allemands ne sont pas loin de penser que la France s’engage ainsi pour amortir son budget militaire et faire vivre son industrie militaire. C’est la raison pour laquelle les Allemands sont très réticents à payer ce qui serait pour eux une quote-part des frais de la défense militaire européenne.

La grogne allemande a amené vendredi soir la Commission européenne à durcir légèrement les conditions de retour à l’équilibre. Il faudra être aux alentours de 2,7 % en 2017. La France ne le fera pas mais elle a gagné du temps. C’est d’ailleurs la principale occupation de François Hollande. Les Allemands ont très vite compris que le président français avait pour spécialité de gagner du temps et de cacher la poussière sous les tapis. La loi Macron est pour les Allemands une caricature d’ouverture à la modernité.

Troisième dossier de discorde, la Grèce... L’Allemagne a voté à une très forte majorité la prolongation des aides financiers à la Grèce. Très bien. Mais l’Allemagne a très mal vécu la campagne de dénigrement des autorités allemandes, en rappelant l’époque des nazis et laissant entendre qu’un peuple de nazis ne pouvait pas se changer en un peuple de bienveillants. La Grèce est la première instigatrice de cette campagne un peu nauséabonde, mais à Berlin on n’oublie pas que les plus hautes autorités françaises se sont précipitées pour féliciter les gouvernants Grecs, et pour suggérer que finalement on pourrait peut-être oublier les dettes. Ce qui aurait eu un effet catastrophique pour le reste de la zone euro. Il a fallu presque une semaine pour que la France aligne sa position officielle sur la ligne pragmatique défendue par la totalité les 18 autres membres de la zone euro. Ça n’est qu'a ce moment-là que l’Eurogroupe a pu imposer un compromis pour gagner 4 mois. Le ministre de l’économie allemand n’a pas digéré les ambiguïtés de la politique française. L’europe sans le respect des règles ne peut pas exister. Ce qui agace encore plus les Allemands c'est que ce soit un gouvernement de gauche, Hollande-Valls, qui soit d’un tel laxisme.

Face à cette colère, la France n’a fait aucune démarche, aucun geste pour tenter d’aplanir les désaccords. C’est tout juste si le gouvernement n’a pas fait la publicité du dernier Charlie Hebdo qui publiait hier une interview de Yanis Varoufakis, le ministre grec de l’économie, interdit de séjour a Berlin pour propos inconvenant. Le ministre grec s’est offert le luxe alors que le compromis a été signé de dire dans Charlie Hebdo que finalement, la Grèce allait redemander une annulation de sa dette. Bref, de la provocation qui va lui coûter deux points de taux d’intérêt tellement ce type de proposition est déstabilisant pour l’ensemble du système bancaire.

Quatrième point de désaccord, le rôle de la Banque centrale européenne. On sait maintenant que le projet de QE, Quantitative Easing, est une véritable bombe à retardement. Sous la pression des milieux financiers (qui sont les premières à en profiter), des milieux politiques français qui voient dans la politique monétaire généreuse le moyen de s’exonérer de faire les réformes de structure, et sous le risque de déflation mondiale alimentée par la baisse des prix de l'énergie et de l’argent, Mario Draghi a consenti à lancer une opération de rachats d’actions massive à partir du 21 janvier .

Cette opération en théorie ne peut que faire du bien aux économies européennes à deux conditions.

La première condition est que les économies soient en mesure d’utiliser les disponibilités monétaires pour investir et créer de l’activité et de la croissance. 0r la France est la moins bien placée pour ce faire. Par conséquent personne ne sait aujourd hui si les disponibilités monétaires se retrouveront dans les comptes d’exploitation des entreprises. Toutes les banques disent qu’elles manquent de projets intéressants et que les investissements réalisés par les grandes entreprises le sont plutôt à l’étranger. Quant aux petites et moyennes entreprises, elles sont encore aujourd’hui paralysées.

Le seul pays qui pourra profiter à plein de ces disponibilités c’est encore l’Allemagne parce que l’économie allemande est en position d’accueillir ces moyens financiers. Elle a les structures, elle a les projets et les marchés.

La deuxième condition pour que le QE puisse fonctionner : il faut que la Banque centrale puisse racheter de la dette en contrepartie de la distribution de monnaie. De par ses statuts, la BCE ne va pas se lancer dans une vaste répartition politique de sa générosité. Ce n’est pas son rôle ; c’est celui des chefs d’Etat. La BCE, ne peut distribuer son argent en contrepartie du rachat d’actifs qu'en fonction du poids de chacun des partenaires. Le premier contributeur au capital de la BCE, c’est l’Allemagne, pour plus de 20%… La BCE s’est engagée à distribuer pour 60 milliards d’euros par mois. Encore faut-il qu'elle rachète pour 60 milliards de dettes, dont plus de 20% en Allemagne. Or il n’est pas certain que l’Allemagne ait pour 10 à 15 milliards de dettes à vendre par mois. Elle ne les a pas. Le marché des obligations allemandes est saturé ; il est saturé parce que le monde entier court après les obligations allemandes qui sont considérées comme les plus sûres, il est saturé parce que l’Etat allemand n’a pas de besoins considérables en matière d’endettement. On comprend dans ces conditions que l’Allemagne ne poussait guère à lancer le QE... Il  faudra pourtant bien trouver une solution.

En attendant, ce sujet très technique est un sujet de discorde, et même de divorce, au sein du couple franco-allemand.  

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