Enfants obèses : est-il vraiment juste d’en retirer la garde à leurs parents ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Je vois des centaines d’enfants qui ont de très mauvaises habitudes alimentaires ou physiques, qui passent leur vie à regarder la télévision ou à jouer aux jeux vidéos, et qui sont minces. L’obésité, c’est une maladie.
Je vois des centaines d’enfants qui ont de très mauvaises habitudes alimentaires ou physiques, qui passent leur vie à regarder la télévision ou à jouer aux jeux vidéos, et qui sont minces. L’obésité, c’est une maladie.
©Paul ELLIS

Faux procès

Deux enfants en surpoids viennent d'être retirés à leur parents en Australie pour être placés dans des institutions à même de prendre en charge leur pathologie. En France aussi, des parents accusés de négligence perdent régulièrement la garde de leurs enfants obèses. Pourtant, ils n'ont en général aucune responsabilité dans le poids de leur progéniture.

Patrick Tounian

Patrick Tounian

Patrick Tounian est professeur de pédiatrie, chef du service de nutrition et gastroentérologie pédiatrique de l'hôpital Trousseau à Paris.

Il dirige le diplôme universitaire " Nutrition et Obésité de l'enfant et de l'adolescent " à Sorbonne Université et intervient comme expert reconnu en nutrition pédiatrique dans de nombreuses conférences.

Ancien secrétaire général de la Société française de pédiatrie et président de la Société francophone de gastroentérologie et nutrition pédiatriques, il est actuellement président de l’Association des pédiatres de langue française. Il est l’auteur de nombreux livres et publications scientifiques sur la nutrition et l'obésité de l'enfant et de l'adolescent.

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Atlantico : Pour lutter contre l’obésité infantile, un Etat australien a séparé deux enfants obèses de leurs parents pour les placer dans une institution adaptée. Les parents d’enfants obèses sont-ils responsables de l’état physique de leurs enfants ?

Patrick Tounian : L’obésité est une maladie, surtout à ces niveaux-là. Lorsqu’on décide de retirer un enfant à ses parents, ce n’est pas parce qu’il a trois kilos de trop, c’est parce qu’il en a cinquante, cent. Or, on sait aujourd’hui que cette obésité massive est une maladie purement génétique et probablement monogénique. Cela veut dire que c’est un gêne qui a muté, alors que l’obésité commune est plus complexe, avec une sorte de prédisposition et des facteurs  favorisants.

On est donc en train de retirer à ses parents un enfant malade, le tout en accusant les parents d’être responsables de la maladie, alors qu’ils n’ont fait que transmettre le gêne, ce qui n’est pas répréhensible par la loi !

Nous sommes régulièrement confrontés à ce problème. Des enfants sont amenés dans notre service suite à une décision judiciaire : le juge ordonne à la famille d’hospitaliser l’enfant de force dans un service spécialisé qui va ensuite donner un avis, avant que le juge reprenne la main pour décider s’il doit ou non retirer l’enfant à sa famille.

Vous parlez de prédispositions génétiques. Des mauvaises habitudes ne peuvent-elles néanmoins influer sur les enfants… et ne sont-elles pas dues aux parents ?

L’obésité n’est pas la conséquence de mauvaises habitudes. Je suis pédiatre depuis bientôt 30 ans et je peux vous assurer que les mauvais habitudes ne rendent pas obèse, s'il n'y a pas de prédisposition. Je vois des centaines d’enfants qui ont de très mauvaises habitudes alimentaires ou physiques, qui passent leur vie à regarder la télévision ou à jouer aux jeux vidéos, et qui sont minces. L’obésité, c’est une maladie.

Quand on a une obésité, on est programmé au niveau de l'hypothalamus pour devenir gros, et c’est cette programmation qui induit le comportement alimentaire. L’hypothalamus règle le poids d’un individu, et dans ce cas pécis, la maladie fait qu’il est réglé beaucoup plus haut que la normale. Donc, l’hypothalamus donne faim à l’enfant jusqu’à ce qu’il atteigne le poids pour lequel il est programmé. Si vous le limitez dans ce qu’il mange, alors l’hypothalamus se débrouille pour réduire son activité physique.

Ces enfants mangent énormément, c’est vrai, mais c’est parce qu’ils sont programmés pour cela.

On accuse beaucoup la malbouffe d’être en cause dans l’obésité. Les industriels de l’agro-alimentaire ne sont donc pas à blâmer ?

Ils fournissent les éléments pour grossir. Il y a 50 ans, dans les campagnes, les enfants n'exprimaient pas leur obésité car ils pratiquaient beaucoup d'activité physique - ils travaillaient dans les champs, marchaient 5 kilomètres pour aller à l'école - et avaient moins accès à de la nourriture riche.

Pour devenir obèse, il faut donc avoir une nourriture riche et facilement accessible, ce qu'a permis l’industrialisation. On trouve aujourd’hui partout des supermarchés, qui sont un peu responsables du phénomène. Mais si aujourd’hui je vous disais : « c’est fini les supermarchés, nourrissez-vous de tomates que vous ferez pousser dans votre jardin", vous me regarderiez d’un drôle d’air.

Avez-vous remarqué un mouvement de réprobation auprès des parents d’enfants obèses ?

Oui. J’ai été interviewé il y a quelques mois sur RTL à 8h30 et lorsque je suis allé voir les commentaires sur le site de la radio, j’ai vu qu’il y avait un sondage qui montrait que 70% des auditeurs pensaient que les parents étaient responsables de l’obésité de leurs enfants – alors que j’avais passé 10 minutes  à expliquer le contraire. De nombreux commentaires étaient faits par des gens qui ne connaissent pas le problème et disaient qu’il faudrait presque mettre les parents en prison car ils auraient rendus leurs enfants obèses en les gavant. 

Comment doivent réagir les parents dont l’enfant a une prédisposition à l’obésité ?

Il faut qu’ils voient un spécialiste qui leur explique l’origine de la maladie. Dans mon service, quand des parents arrivent et que je leur demande pourquoi leur enfant est obèse, ils répondent souvent « c’est de ma faute ; je suis un peu laxiste ; j’ai recommencé à travailler alors je ne m’occupe plus de lui ; etc. » C’est de la culpabilité. La première chose à faire est donc de les rassurer, de leur dire que ce n’est pas de leur faute.

Ensuite, il faut lutter, non pas contre de mauvaises habitudes alimentaires, mais contre une programmation. C’est pour cela que c’est si compliqué. Les habitudes alimentaires, ça s’acquiert très facilement : les enfants qui sont allergiques à des aliments très fréquents comme le blé ou le lait savent parfaitement, dès 6 ou 7 ans, trier les aliments qui en contiennent, et n’en mangent pas. Si l’obésité était un problème de mauvaises habitudes, cela ferait bien longtemps qu’on aurait vaincu cette maladie.

Mais ce n’est pas du tout ça. Les enfants sont programmés pour avoir faim toute leur vie, et tout le travail est de s’opposer à cette programmation. Il faut les restreindre, ce qui est très difficile car leur cerveau leur donne faim, mais lorsqu'ils sont jeunes, ils n’arrivent pas à faire le lien entre ce qui semble inquiéter leurs parents – une corpulence élevée – la faim qu’ils ont, leur alimentation et les calories que ça apporte.  Ils ne comprennent pas pourquoi on ne leur donne pas à manger alors qu’ils ont faim. Et ils peuvent devenir quasiment agressifs, même à 4-5 ans. C’est donc extrêmement difficile pour les parents.

Propos recueillis par Morgan Bourven

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