En une semaine l'Allemagne montre qu'elle préfère encore l'ordre à la démocratie<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Europe
En une semaine l'Allemagne montre qu'elle préfère encore l'ordre à la démocratie
©Capture Couverture Der Spiegel

Disraeli Scanner

Lettre de Londres mise en forme par Edouard Husson. Nous recevons régulièrement des textes rédigés par un certain Benjamin Disraeli, homonyme du grand homme politique britannique du XIXè siècle.

Disraeli Scanner

Disraeli Scanner

Benjamin Disraeli (1804-1881), fondateur du parti conservateur britannique moderne, a été Premier Ministre de Sa Majesté en 1868 puis entre 1874 et 1880.  Aussi avons-nous été quelque peu surpris de recevoir, depuis quelques semaines, des "lettres de Londres" signées par un homonyme du grand homme d'Etat.  L'intérêt des informations et des analyses a néanmoins convaincus  l'historien Edouard Husson de publier les textes reçus au moment où se dessine, en France et dans le monde, un nouveau clivage politique, entre "conservateurs" et "libéraux". Peut être suivi aussi sur @Disraeli1874

Voir la bio »

Londres, 

26 novembre 2017

Mon cher ami, 

Il aura donc fallu moins d’une semaine à l’establishment allemand pour reprendre la main.  Dimanche dernier, Angela Merkel pouvait être renversée par son propre parti et un gouvernement minoritaire se mettre en place, qui aurait préparé de nouvelles élections dans de bonnes conditions. Mais les responsables chrétiens-démocrates continuent à traiter la prison merkelienne confortable; et les chrétiens-sociaux bavarois ne saisissent même pas l’occasion quand Christian Lindner, chef du parti libéral, leur tend la main pour refonder un grand parti conservateur.  Le président de la république, Franz-Walter Steinmeier pousse son parti d’origine, le SPD vers une « grande coalition »; ce contre quoi Martin Schulz, candidat malheureux aux dernières élections, s’était d’abord élevé, voici deux mois. Justement: deux mois: l’Allemagne est la première puissance de l’Union Européenne et les milieux dirigeants allemands ne peuvent l’imaginer sans gouvernement plus longtemps. Au moment où l’Espagne est déchirée sur la situation catalane, l’Italie apparaît instable politiquement, l’Europe centrale est traversée par un fort courant néo-conservateur et la Grande-Bretagne pourrait profiter de la crise berlinoise pour prendre la main dans les négociations sur le Brexit, il est temps de se rappeler la formule de Goethe: « Je préfère une injustice à un désordre », que l’on pourrait actualiser en paraphrasant: « Je préfère l’absence de démocratie à l’installation du désordre en Europe ». 

Voici que les sociaux-démocrates allemands vont rester fidèles à la réputation que leur faisait Lénine, quand il disait avec sarcasme que, pour aller manifester un jour de grève, les socialistes allemands tenaient à s’acquitter du prix de leur ticket de train. 

Mon cher ami, je vois deux scénarios possibles s’ouvrir. Le premier est celui qui devrait être. L’échec des négociations. Mais cela voudrait dire que chaque parti reste lui-même. Les sociaux-démocrates ont déjà annoncé qu’ils refusaient l’idée d’un plafond annuel à l’immigration. Cela devrait être un sujet de désaccord fondamental avec les chrétiens-sociaux bavarois et donc rendre un accord impossible. Dans ce cas, au moment des fêtes, « Mutti » devrait rendre son tablier. Mais ne vous réjouissez pas trop vite, même si je connais votre cordiale et saine détestation de la Chancelière - vous aimez bien l’appeler ainsi car une chancelière, en Charente, est une pantoufle où l’on peut mettre les deux pieds, en s’asseyant devant la cheminée, beau symbole de ces « grandes coalitions » qu’Angela affectionne. Justement, restons-en à votre image: le goût du confort et la volonté d’assourdir le réel ne vont-ils pas l’emporter sur toute autre considération? Le second scénario n’est-il pas le plus probable? Le SPD n’est plus à un reniement prêt. Martin Schulz est aussi méchant qu’il est bête: il saura intimider les plus honnêtes de ses camarades et justifier un compromis sur la question migratoire. Et Horst Seehofer, le leader de la CSU, semble s’enfoncer dans une spirale suicidaire; alors que la rupture des négociations pour une coalition « jamaïcaine »  l’avaient sauvé d’un compromis désastreux avec les Verts sur le sujet, voici qu’il s’apprête à entrer dans de nouvelles négociations, avec un autre parti de gauche à l’opposé de ses vues. Et je ne sais même pas s’il y perdra la présidence de la CSU tant il est vrai que, dans l’histoire, les Bavarois ont été aussi vélléitaires que les sociaux-démocrates quand ils avaient l’occasion de défendre des solutions politiques acceptables. 

Comme vous, j’aimerais bien assister à l’échec de la constitution d’une nouvelle « grande coalition ». Une Allemagne sans gouvernement jusqu’en mars, date de nouvelles élections! Ou bien avec une Angela toujours plus discréditée et s’accrochant à la présidence d’un gouvernemement minoritaire, obligée de refuser, drapée dans sa dignité de fille de pasteur, les voix de l’AfD sur un sujet où lui manquerait une majorité. J’ai déjà commandé une chancelière sur Amazon et je dégusterai un cognac devant ma cheminée dès que je l’aurais reçue. Mais les Allemands ont le sens des reponsabilités. Martin Schulz aura son Ministère des Finances et pourra, du fauteuil où il se sera hissé, faire avaler à tous les camarades de la IIè Internationale la potion amère des politiques d’austérité européennes. Horst Seehofer aussi recevra le prix de ses compromissions et le Ministère de l’Intérieur lui permettra de faire passer avec respectabilité les politiques, elles au contraire laxistes, auxquelles il est censé s’opposer. 

Il nous faudra attendre quelques mois de plus pour nous laisser aller à la Schadenfreude, la joie mal dissimulée de voir le système allemand se gripper. Et l’Union Européenne dans son sillage. Je ne suis pas sûr de rester spectateur longtemps. Nous allons assiter, dans les mois qui viennent, à un raidissement du système berlino-bruxellois. Les technocrates des grandes capitales européennes vont devenir de plus en plus intolérants au fur et à mesure que la situation leur échappera. L’inévitable montée des populismes de droite et de gauche les rendra toujours plus hystériques. Je prévois un raidissement des positions sur le Brexit. J’ai rendez-vous ce lundi matin avec une vingtaine de backbenchers conservateurs. Nous voulons commencer à organiser le parti en vue des petites tempêtes à venir. La Grande-Bretagne, sur le fond, est inévitablement gagnante; mais un brouillard épais est tombé sur les eaux que nous nous apprêtons à traverser et il faut nous assurer que le navire du 10 Downing Street ne heurte pas un rocher parce qu’on lui aurait transmis une carte erronée. Je me méfie de Boris....! 

Bien fidèlement vôtre

Benjamin Disraëli

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !