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Pourquoi le mot "déclin" ne sied pas à la situation économique française
Pourquoi le mot "déclin" ne sied pas à la situation économique française
©Reuters

Bonnes feuilles

La propagation des théories "déclinistes" a connu en France une formidable accélération depuis la crise de 2008. Ce mouvement fait aujourd'hui son lit avec la même exagération que déployaient les tenants de la France "locomotive de l'Europe" des années 2000. Pourtant la France a vécu, en une décennie, une véritable révolution culturelle passée inaperçue. Les Français se sont convertis de manière autonome mais généralisée, non par passion mais par raison, à l'individualisme libéral. Extrait de "La France est prête - Nous avons déjà changé", de Robin Rivaton, publié chez Les Belles Lettres (1/2).

Robin Rivaton

Robin Rivaton

Robin Rivaton est chargé de mission d'un groupe dans le domaine des infrastructures. Il a connu plusieurs expériences en conseil financier, juridique et stratégique à Paris et à Londres.

Impliqué dans vie des idées, il écrit régulièrement dans plusieurs journaux et collabore avec des organismes de recherche sur les questions économiques et politiques. Il siège au Conseil scientifique du think-tank Fondapol où il a publié différents travaux sur la compétitivité, l'industrie ou les nouvelles technologies. Il est diplômé de l’ESCP Europe et de Sciences Po.

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À la lumière du temps long, force est d’admettre que le mot « déclin » ne sied pas à la situation française. Je lui préfère donc le mot « retard ». La France a décroché par rapport à ses voisins et ses concurrents internationaux sur les dix dernières années. Alors que les années 1990 avaient été plutôt positives pour notre pays, la France maintenant son rang de grande puissance, nous sommes l’un des pays qui ont le moins profité des opportunités offertes par la mondialisation et par les développements technologiques de la troisième révolution industrielle. Aux indicateurs avancés ont succédé des faiblesses structurelles que la crise a mises à nu. Le retard français n’a rien de conjoncturel et la crise y est totalement exogène. Les chiffres invoqués au secours du propos décliniste se suivent et se ressemblent, masquant souvent l’essentiel. Pour ne pas tomber dans le piège du constat statistique qui au final ne fait qu’accumuler des éléments interdépendants les uns les autres, cherchant à noircir le tableau en noyant le lecteur, je ne retiendrai que quatre chiffres moins connus mais plus importants que les traditionnels taux de chômage ou niveau d’endettement public :

• Le nombre de robots industriels pour 10 000 ouvriers dans l’industrie manufacturière était de 122 en France contre 131 en Espagne, 135 aux États-Unis, 159 en Italie et 261 en Allemagne 2. Entre 2003 et 2011, notre pays est passé du quatrième au huitième rang mondial dans ce domaine. Ce chiffre, loin d’être anecdotique, illustre l’absence d’investissement des entreprises françaises dans des outils et des méthodes de production innovantes, ainsi qu’en recherche et développement, ces dix dernières années. Notre production de biens a donc décru en qualité.

• Le niveau de la production industrielle est retombé à son niveau de 1994, il y a vingt ans. Ce chiffre montre la réalité de la désindustrialisation, au-delà des débats sur le glissement des activités de l’industrie aux services. Notre appareil de production, en manque de compétitivité, et la faiblesse de notre gamme de produits ne nous permettent plus d’obtenir des marchés à l’exportation. Notre part de marché dans le commerce mondial est passée de 6 % en moyenne dans les années 1990 à 4 % dans les années 2000 .

• Alors qu’il est encore courant d’entendre tel homme politique ou tel essayiste citer parmi les atouts de notre pays sa forte productivité par tête, il faut savoir que sur les cinq dernières années, la France a généré l’une des plus faibles croissances de la productivité du travail des grands pays développés (0,2 % contre 0,5 % pour l’Allemagne et 0,7 % pour le Royaume-Uni). Ceci provient en partie de l’échec croissant d’un système scolaire qui recrache chaque année un jeune sur six sans diplôme autre que le brevet. La France est ainsi le seul pays de l’ensemble de l’OCDE 4 qui a vu la proportion de jeunes de 15 à 19 ans suivant une formation décroître entre 1995 et 2011 et dont la proportion de jeunes de 20 à 29 ans suivant une formation a stagné sur la même période. Cela conduit le pays à créer des emplois de services peu qualifiés qui sont, par nature, faiblement productifs et ne procurent pas ou très peu de recettes à l’exportation. Le sujet de l’éducation est le boulet le plus lourd que traîne aux pieds notre pays. Il est d’autant plus lourd que ses pleins effets négatifs n’apparaîtront pas avant une décennie.

• Résultant des problèmes évoqués ci-dessus, un manque d’investissement et une main-d’oeuvre moins productive car moins bien formée, le produit intérieur brut (PIB) par habitant – qui exprime la richesse créée en une année par tête – est en baisse de 4 % depuis son plus haut historique de 2007. Début 2014, il est revenu au niveau de janvier 2006. Nous venons donc de perdre huit années, huit années durant lesquelles notre richesse par habitant, et par conséquent notre niveau de vie, n’a pas progressé alors qu’il évoluait positivement chez nos voisins. Pour prendre la dimension de ce retard, le PIB par habitant français et allemand était de 15 % supérieur au PIB par habitant moyen de l’Union européenne à 28 pays en 2002. Dix ans plus tard, le PIB par habitant était de 21 % supérieur à la moyenne en Allemagne, à mettre en parallèle à un cacochyme 8 % en France. La crise de 2008 a passé la France au révélateur. Alors qu’il a fallu attendre vingt-deux trimestres pour que le PIB atteigne son niveau d’avant-crise suite au choc de 2008, le délai de redressement n’avait été que de six trimestres en 1975, cinq en 1980, huit en 1992 et deux en 2001. Alors que le monde fait preuve d’une croissance endurante – les États-Unis en sont déjà à vingt trimestres de croissance consécutifs soit autant que la moyenne des périodes d’expansion post-crise –, nous vivons une crise permanente. La France a connu l’une des plus incroyables pertes de richesse au monde. La position extérieure nette (PEN) d’une économie est la différence entre l’ensemble des créances étrangères détenues par les résidents et l’ensemble des dettes des résidents envers l’étranger. Une économie dont la PEN est négative se trouve donc dans une situation d’endettement net vis-à-vis du reste du monde. La France, gouvernement, entreprises et ménages cumulés, avait une dette stable d’environ 4 % de la richesse créée chaque année, le PIB, par rapport au reste du monde lors des deux dernières décennies. Entre 2006 et 2012, celleci est passée de + 1,1 % à- 21,1 %. Ramené à l’échelle d’un ménage moyen français, cela signifie que les investisseurs étrangers vous devez 385 euros en 2006 alors que vous leur devez aujourd’hui 7 600 euros.

Extrait de "La France est prête - Nous avons déjà changé",  de Robin Rivaton, publié chez Les Belles Lettres, 2014. Pour acheter ce livre, cliquez ici.

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