En quoi la réforme du Conseil supérieur de la magistrature pourra-t-elle renforcer l'indépendance de la justice ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Le président de la République a déclarer que le parlement voterait dès l'été une réforme du Conseil supérieur de la magistrature.
Le président de la République a déclarer que le parlement voterait dès l'été une réforme du Conseil supérieur de la magistrature.
©Flickr / m.gifford

Peut mieux faire

Le président de la République souhaite réformer avant l'été le Conseil supérieur de la magistrature pour renforcer l'indépendance de la justice. Mais le problème est-il vraiment là ?

Emmanuel Pierrat - Didier Maus

Emmanuel Pierrat - Didier Maus

Emmanuel Pierrat est avocat au barreau de Paris et dirige un cabinet spécialisé dans le droit de la propriété intellectuelle. Chroniqueur, romancier et auteur de nombreux essais et ouvrages juridiques, il est notamment l’auteur de La Justice pour les Nuls (First, 2007)

Didier Maus est professeur à l'université Paul Cézanne Aix-Marseille. Il est l'auteur de nombreux ouvrages de droit constitutionnel

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Atlantico : Hier, lors de son allocution, François Hollande a réaffirmé sa volonté de réformer le Conseil supérieur de la magistrature (CSM) avant l'été. Dans quelle mesure cela pourrait renforcer l'indépendance de la Justice ? Quels sont les points précis qui vont être réformés ?

Didier Maus : La discussion portera essentiellement sur le problème de la composition du Conseil supérieur de la magistrature, à savoir, à qui doit appartenir la majorité ? Le projet propose de donner la majorité du CSM aux magistrats ce qui n’est pas le cas aujourd’hui. La question fondamentale qui devra être tranchée par le gouvernement : est-ce une meilleure solution que le CSM soit majoritairement composé de magistrats et qu'il ’y ait une autogestion du corps ? Ou a contrario, le CSM a-t-il besoin d’un regard extérieur, venu de personnes qui n’appartienne pas au corps judiciaire, sur son fonctionnement institutionnel ? C’est un débat sans fin, qui ne pourra jamais être clos.

Emmanuel Pierrat : Le CSM est un outil indispensable mais extrêmement compliqué et peu lisible par le grand public, c’est un outil très technique. Depuis quelques années, on pense qu’il est le symbole d’une Justice indépendante et séparée du pouvoir exécutif. La réforme du CSM est un des outils pour renforcer l’indépendance de la justice, mais ce n’est pas le seul. La vrai question est : est-ce que l’indépendance de la justice passe par le fait que les magistrats s’auto-désignent ? Elle a été tranchée en 2008, on a pensé que les magistrats devaient être minoritaires. Aujourd’hui on souhaite revenir en arrière.

Est-ce que l’indépendance de la Justice pose un problème de culture politique en France ?

Didier Maus : L'idée de l'indépendance de la Justice s'est fortement imposée en France, ce qui n’était pas dans la tradition révolutionnaire ou dans celle du XIXème siècle. La justice française n’a pas le statut symbolique qu’elle a aux Etats-Unis, en Angleterre ou encore en Allemagne. La France possède une culture beaucoup plus jacobine, voire politique à certains égards. En même temps, depuis cinquante ans, on note des améliorations dans l’indépendance de la justice en France. Celle-ci est globalement indépendante. Les magistrats jugent en fonction de la loi, du dossier et de leur conscience. Mais il y aura toujours des cas limites qu’on ne sait pas comment régler. La justice est un pouvoir public, un pouvoir de l’Etat, un pouvoir essentiel. Il faut que les procédures judiciaires soient entourées par des garanties. Elles ont été considérablement renforcées, notamment sous l’influence la Cour européenne des droits de l’Homme. Personne ne peut dresser une échelle de l’indépendance de la justice. Il est facile de définir une justice non indépendante, mais l’inverse est très compliqué.

La meilleure garantie de l’indépendance c’est que l’on juge de façon conforme au Droit sans le restreindre et sans l’étendre. Les erreurs judiciaires existent dans tous les pays du monde, même les plus évolués, car rendre la justice est une activité humaine.

Quelles seraient les autres mesures à prendre pour renforcer l'indépendance de la justice ?

Emmanuel Pierrat : Le vrai point faible de la justice française n’est pas le CSM, c’est la transparence de la justice. La transparence non pas à la tête du CSM, car là tous vos gestes sont exposés, mais la transparence de la machine qu’il y a derrière. Le problème, c’est le cordon qui existe entre une partie des magistrats du parquet et l’institution qui les a créés, qui les nourrit et qui les finance, c’est-à-dire le ministère de la Justice. Ce lien est loin d’être assaini ou coupé. Il faudrait plus de lisibilité sur le travail des magistrats du parquet.

A force de marteler des propos qui préconisent une amélioration de l’indépendance de la justice, la machine finit par l’appliquer d’elle-même, elle fait son autocritique. Par exemple, les juges d’instruction prennent beaucoup plus la parole en public aujourd’hui qu’auparavant, alors que rien ne les y oblige. Simplement parce que le climat ambiant est à davantage de transparence. Ils se sentent obligés de se justifier sur la place publique.

L’auto-endoctrinement marche aussi bien que des mesures très techniques. C’est la vertu des principes et des devises. Dans une République : si vous criez "Liberté, Egalité, Fraternité" tous les jours, le lendemain vous finissez par l’appliquer un peu plus. Donc quand le Chef de l’Etat dit "la Justice doit être indépendante", l’effet psychosomatique est fort.

Propos recueillis par Manon Hombourger

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