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Monsieur Sarkozy, 
interdisez les emprunts d’État 
à 100 ans !
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A long terme nous serons tous morts

En février dernier, le directeur général de l’Agence France Trésor, l’organisme de Bercy qui gère la dette de l’État, déclarait ne pas exclure de lancer des obligations à 100 ans ! Attention, danger ?

Philippe Herlin

Philippe Herlin

Philippe Herlin est chercheur en finance, chargé de cours au CNAM.

Il est l'auteur de L'or, un placement d'avenir (Eyrolles, 2012), de Repenser l'économie (Eyrolles, 2012) et de France, la faillite ? : Après la perte du AAA (Eyrolles 2012) et de La révolution du Bitcoin et des monnaies complémentaires : une solution pour échapper au système bancaire et à l'euro ? chez Atlantico Editions.

Il tient le site www.philippeherlin.com

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Face à l’urgence, on mettra de côté le ton habituel de l’économiste pour interpeller directement le premier représentant de l’Etat. Car ce n’est rien de moins qu’un forfait qui risque d’être commis au cœur de nos finances publiques. Philippe Mills, le directeur général de l’Agence France Trésor, l’organisme de Bercy qui gère la dette de l’Etat, a en effet déclaré (dans Les Echos du 8 février) qu’il n’excluait pas de lancer des obligations à 100 ans ! L’OAT (Obligation assimilable du Trésor) la plus longue s’affiche déjà à 50 ans, un record parmi les pays industrialisés, il s’agirait donc de doubler cette durée déjà exceptionnelle.

Un mépris des générations futures

Comme disait Keynes : « à long terme nous serons tous morts », alors empruntons à un siècle et dormons tranquille ! Comment peut-on marquer un tel mépris des générations futures et faire preuve d’un tel égoïsme ? Nos arrière-arrière-petits-enfants, au moins, paieront la note, peu nous importe, nous ne les verrons jamais. Emprunter à 30 ans possède un sens économique, lorsqu’il s’agit de financer une grande infrastructure comme une centrale électrique ou une ligne TGV (même si, en réalité, l’endettement sert surtout à payer les salaires des fonctionnaires, bref), à 50 ans on dépasse l’horizon de long terme, mais à 100 ans on tombe carrément dans la science-fiction.

Qui peut imaginer ce que sera la France dans un siècle ? Un tel emprunt serait une sorte de tour de bonneteau consistant à projeter une dette dans un futur inconnaissable. Il n’y a donc qu’une seule vraie raison d’emprunter sur une telle durée : encaisser l’argent maintenant et faire un bras d’honneur à nos descendants. D’autant que l’opération coûtera en intérêts versés plusieurs fois le capital récupéré.

On peut bien sûr se dire que, d’ici là, une vague d’inflation aura considérablement allégé les remboursements, mais comment savoir si, au contraire, cette charge ne deviendra pas écrasante ? Le taux d’intérêt auquel l’Etat emprunte, environ 3 %, s’avère particulièrement bas dans le contexte actuel de détente des taux longs, mais il reste tout de même supérieur à la croissance du PIB ; ce taux, même faible, couplé à une croissance anémique et sans inflation constituerait une véritable saignée. Un Etat peut-il se permettre de spéculer sur un avenir aussi lointain ?

Un tel produit financier serait intrinsèquement « toxique » tant il dépasse toute capacité de prévision économique. Qu’une « demande » se manifeste, de la part de fonds de pension ou de fonds souverains, ne peut justifier sa mise en place, il a naguère existé une demande pour les subprimes, mais un émetteur doit faire preuve de probité et de réalisme, il s’agit, en l’occurrence, de la signature de la France.

Fuite en avant et combines d'apprentis sorciers

Le fait qu’une telle idée fasse son chemin ne manque pas d’inquiéter car elle révèle une fuite en avant, un saut dans l’inconnu, un refus d’affronter le poids de la dette et la persistance des déficits, un abandon face aux efforts nécessaires. Les près de 1 600 milliards d’euros de dette publique totale, dont 1 235 pour l’Etat stricto sensu, excèdent-ils déjà notre capacité à payer qu’il faille utiliser des échappatoires ?

Une telle émission entre, dans l’esprit, en contradiction avec le projet de règle constitutionnelle de limitation des déficits qui vise à faire régresser la dette et alléger le fardeau qu’elle représente pour les décennies à venir. Désormais premier budget de l’Etat, devant l’éducation, avec 45 milliards d’euros dans le projet de budget 2011, la charge de la dette comprime toutes nos marges de manœuvre. Veut-on s’avouer vaincu et inscrire d’un coup cent années d’intérêts à payer ?

Monsieur le Président de la République, vous devez interdire le recours à des emprunts d’Etat à 100 ans, et limiter les plus longs à 50 ans, une durée déjà considérable. Il faut bannir les combines d’apprentis sorciers et s’attacher à la politique de résorption des déficits publics, seul moyen de faire baisser la dette publique. L’Agence France Trésor se doit d’être plus responsable. Une telle décision renforcerait la crédibilité de la France en indiquant clairement son refus de repousser les échéances au-delà du raisonnable, elle témoignerait également d’une vraie attention accordée aux générations futures.

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