Emmanuel Macron veut une France et une Europe plus indépendantes mais la feuille de route est floue<!-- --> | Atlantico.fr
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Le président de la République s'est exprimé pendant une heure, mercredi soir sur France 2, sur un monde en crise.
Le président de la République s'est exprimé pendant une heure, mercredi soir sur France 2, sur un monde en crise.
©Capture d'écran France 2 / DR

Monde en crise

Lors de son intervention sur France 2 sur un monde en crise, le président de la République a martelé que "nous avons un cap" sans toujours lever les contradictions et obstacles qui se nichent dans son discours.

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud est professeur de sciences politiques à l’Institut d’études politiques de Grenoble depuis 1999. Il est spécialiste à la fois de la vie politique italienne, et de la vie politique européenne, en particulier sous l’angle des partis.

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William Thay

William Thay

William Thay est président du Millénaire, think tank gaulliste spécialisé en politiques publiques. 

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Atlantico : Lors de son intervention sur France 2 sur un monde en crise, le Président de la République a expliqué vouloir une France et une Europe plus indépendante et que "nous avons un cap". A-t-il su être clair sur ce dernier point et lever les contradictions et obstacles que cela soulève ?

Christophe Bouillaud : Il ne me semble pas. Il a ainsi fait comme si les problèmes liés à la réorganisation des marchés européens du gaz et de l’électricité, et de leurs liens,  étaient en voie de se régler dans le sens voulu par la France. Cela ne va pas complètement de soi. Une négociation entre Européens est certes bel et bien ouverte sous l’égide de la Commission européenne, mais personne ne peut savoir ce qui va en ressortir finalement. 

Il a en plus lui-même compliqué l’équation européenne par ses propres déclarations sur l’Ukraine en réaffirmant l’obligation qu’aura l’Ukraine de négocier in fine avec la Russie. Je ne suis pas sûr que cette ligne soit celle de tous les pays européens.

William Thay : Le discours européen d’Emmanuel Macron est symbolisé par son discours de la Sorbonne du 26 septembre 2017 dans lequel il parle de souveraineté européenne. Seulement, l’invasion de l’Ukraine par la Russie a provoqué des mutations sur plusieurs plans. Tout d’abord, en lien avec la crise sanitaire, l’Union européenne a souhaité renforcer son indépendance même si cette volonté est davantage économique que géopolitique. Cela s’explique par la volonté de ne plus être dépendant des chaines de productions des pays émergents où l’on avait délocalisé notre production à partir des années 80. Ensuite, la Commission européenne et les autres institutions apparaissent avoir davantage d’autonomie par rapport aux États membres pour essayer de dresser et dessiner un cap politique et géopolitique. Enfin, l’invasion de l’Ukraine par la Russie a replacé le continent européen sous la protection américaine et c’est cela la mutation majeure depuis le début du conflit.

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Emmanuel Macron ne parvient pas à soulever la contradiction entre vouloir une Europe souveraine et indépendante alors que des États membres se placent sous l’égide des États-Unis. Alors que l’Europe commençait à s’émanciper des États-Unis depuis le pivot américain de Barack Obama vers l’Asie-Pacifique et la présidence de Donald Trump, l’Union européenne s’est replacée sous le giron américain. Tout d’abord, cela s’est symbolisée par plusieurs manières notamment la volonté de plusieurs États de rejoindre l’Otan comme la Suède et la Finlande. Ensuite, certains pays ont acheté des armes américaines plutôt que des armes européennes pour réafficher leur lien avec l’Otan. Enfin, la ligne poursuivie par les institutions européennes est davantage celle des États-Unis que celle du couple franco-allemand. Ce dernier était notamment en première ligne pour une solution aboutissant aux accords de Minsk à partir de 2014. Ainsi, comment peut-on avoir une Europe souveraine et indépendante alors que la présence et l’influence américaine est importante de nouveau ? Comment construire une Europe indépendante alors que la rivalité entre la Chine et les États-Unis pour le leadership mondial doit occuper l’agenda international jusqu’à la moitié du siècle ? À ce titre, les États-Unis vont demander à ses alliés européens de prendre position, ce qui compromet la volonté d’avoir une Europe indépendante.

De plus, Emmanuel Macron omet un sujet important qui est l’influence française dans les institutions européennes. On sait désormais que c’est le pays le plus puissant économiquement et démographiquement qui possède le plus d’influence dans l’Union européenne à savoir l’Allemagne. C’est notamment le cas, depuis le traité de Maastricht, la réunification allemande et l’élargissement à l’Est qui a donné de nouveaux alliés naturels à l’Allemagne. Ainsi pour que la France pèse davantage dans l’Union et puisse imposer sa vision européenne, il faudrait une stratégie d’influence pour contrer la vision allemande, à travers un plan pour faire de la France le premier pays d’Europe et une stratégie pour avoir de nouveaux alliés. Sur tous ces sujets, Emmanuel Macron ne semble n’avoir ni les solutions ni la méthode ce qui met un doute sur sa volonté de joindre les actes aux paroles.

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Ses justifications et explications, sur la position française sur le conflit en Ukraine. Étaient-elles claires et convaincantes ? Y a t-il des points à retenir ?

Christophe Bouillaud :Il me semble qu’il n’a fait que réaffirmer sa position constante depuis le début du conflit, en constatant qu’au final il faudra négocier avec Poutine. Il attribue certes la liberté de ce choix aux seuls Ukrainiens, mais réaffirmer cette obligation de la négociation revient à occuper la place du « good cop » - le bon flic qui essaye d’amadouer le truand Poutine -, alors que les « bad cops » - les Etats-Unis, le Royaume-Uni, la plupart des anciens pays de l’Est jouent les censeurs intransigeants voulant la tête du « criminel de guerre » Poutine.

Il a aussi affirmé que la dissuasion nucléaire française ne protège que les intérêts vitaux de la Nation, et qu’elle ne serait donc pas activée en cas d’attaque avec des armes de destruction massive contre l’Ukraine. Il a sans doute voulu rassurer les Français sur le risque que la France se laisse entrainer dans une escalade militaire avec la Russie.

Il compense  la réaffirmation de cette position de « good cop » par la mise en lumière de l’aide passée, présente et future de la France à l’effort de guerre ukrainien, alors même que les chiffres qui circulent montrent que notre pays s’est montré plutôt chiche en la matière – soit par crainte de trop s’aliéner Poutine, soit par incapacité de nos armées à puiser dans leurs stocks.

En même temps, ces choix d’Emmanuel Macron étaient bien connus. Ce qui est intéressant, c’est la réaffirmation de cette ligne macronienne, alors même que l’armée russe recule sur le terrain depuis un mois, que la stratégie russe se réoriente du coup vers des représailles massives contre les installations civiles ukrainiennes, que l’inquiétude monte sur une possible escalade russe avec l’usage d’armes nucléaires. Il est vrai qu’au même moment Erdogan, bien plus ambigu encore que notre Président sur le conflit en cours, tente lui aussi de relancer des négociations avec Poutine. Or, à ce stade, une négociation avec la Russie reviendrait à donner l’avantage à Poutine, qui conserverait, vu l’état des forces sur le terrain, de toute façon ses gains territoriaux de 2014 (Crimée et Donbass).

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William Thay : Emmanuel Macron justifie la position française sur le conflit en Ukraine par une ligne de crète. Il indique ainsi que la France doit à la fois soutenir l’Ukraine dans sa résistance tout en n’étant pas cobelligérant au conflit. Cette position s’explique notamment par la réticence de la France et des autres États membres de l’Union européenne à ne pas vouloir à la fois un conflit mondial avec la Russie et également éviter une guerre nucléaire entre Poutine et l’OTAN. De même, Emmanuel Macron tente également de concilier les contraires en s’affichant comme pro-européen alors que les autres États membres deviennent de plus en plus américain, tout en souhaitant conserver la position singulière française que l’on pourrait appeler gaullienne. Cela provoque des difficultés dans la clarté de sa position sur les plans militaire, diplomatique et géopolitique.

Sur le plan militaire, le Chef de l’État développe ainsi une argumentation qui permet de placer une distinction entre la cobélligérance donc l’entrée en guerre contre la Russie avec le soutien à la résistance. Il explique notamment cela par un soutien en ressources, en armes pour aider l’Ukraine à défendre son territoire mais pas pour attaquer le territoire de la Russie. Seulement, cette argumentation risque bientôt de se heurter à deux éléments nouveaux depuis le début du conflit : l’annexion de territoire et la contre-offensive ukrainienne. L’organisation de référendum a permis à la Fédération de Russie d’ajouter 4 territoires supplémentaires dans le Donbass et le sud de l’Ukraine. Ces territoires sont ainsi considérés par Vladimir Poutine comme des territoires russes. Que se passerait-il si des armes françaises comme les canons Caesar par exemple étaient utilisés dans le cadre de la contre-offensive ukrainienne sur les territoires nouvellement annexés par la Russie ? On pourrait penser que la ligne de distinction posée par Emmanuel Macron, serait alors confrontée par la Russie.

Sur le plan diplomatique, Emmanuel Macron tente de faire ressusciter à sa manière la voix singulière de la France en comparaison avec les autres États membres. Cela se manifeste notamment par son souhait répété de maintenir le dialogue avec Vladimir Poutine. Il espère ainsi amener les parties prenantes à la table des négociations. Une nouvelle fois, Emmanuel Macron est sur une ligne difficile qui doit concilier les contraires, du « en même temps ». D’un côté, ol doit ainsi donner des gages sur un soutien important à l’Ukraine pour à la fois satisfaire les demandes répétées de Volodymyr Zelensky et la ligne des autres États membres de l’UE. De l’autre côté, il doit montrer des signes à Vladimir Poutine pour être un partenaire viable pour la Russie pour permettre un processus de paix. C’est une ligne difficile avec la radicalisation du conflit puisque l’Ukraine de Zelensky préfère désormais les anglo-saxons avec les États-Unis en tête que ses partenaires européens. Quant à la Russie de Vladimir Poutine, elle préfère avoir la Turquie d’Erdogan comme point d’entrée privilégié pour les différentes négociations avec l’Otan ou avec l’Ukraine. Erdogan a en effet donné plus de gages à la Russie en s’exprimant à plusieurs reprises contre une entrée de l’Ukraine dans l’Otan. Si Emmanuel Macron a réussi à satisfaire les contraires en France avec son logiciel du « en même temps », cela est pour l’instant beaucoup plus compliqué dans ce conflit.

Sur le plan géopolitique enfin, on a bien du mal à comprendre comment Emmanuel Macron place et défend les intérêts français parce qu’il ne les définit pas. À ce titre, il explique le soutien à l’Ukraine pour des raisons de valeurs. Cela est tout à fait louable, mais il aurait très bien pu expliquer que la défense de l’Ukraine était dans l’intérêt de la France et de l’Union européenne par exemple. De même, la France suit les choix dictés par la Commission européenne, sans avoir de leadership sur la politique européenne. Sur ces questions diplomatiques et militaires, la France dispose de biens des atouts qui aurait dû nous conduire à davantage peser sur les choix des institutions européennes. Par exemple, est-ce la France n’aurait pas dû demander le soutien des autres États membres contre l’influence russe en Afrique contre les intérêts français ? De même, est-ce la France partage les mêmes buts de guerre que l’Ukraine et est-ce que les intérêts européens sont les mêmes que ceux des Américains ? Ainsi, Emmanuel Macron apparait davantage comme sur une ligne idéologique et droit de l’hommiste que sur une ligne gaullienne et de realpolitik. Pour illustrer, il apparait comme plus proche de Bernard Henri-Lévy que d’Hubert Védrine ou Dominique de Villepin.

En définitive, cette interview a-t-elle apporté des précisions et éclaircissements sur la vision d'Emmanuel Macron, par rapport à ce qu'il a pu déjà dire par le passé ? Est ce un exercice réussi ?

Christophe Bouillaud :Je crois que pas un observateur de la vie politique nationale et internationale n’aura été  très surpris par les propos d’Emmanuel Macron. C’est du classique. Sur les grèves dans les raffineries par exemple, il s’est montré intransigeant, comme l’a été tout Président de la Vème République en pareil cas.

De fait, on peut se demander à quoi sert vraiment ce genre d’entretien. Evidemment, un spectateur très peu informé y aura appris des choses et aura admiré peut-être l’art oratoire du Président, les craintifs auront été rassurés par les déclarations pacifistes de ce dernier, Poutine lui-même aura sans doute apprécié que Macron reste l’homme qui l’a reçu à Versailles en 2017, mais, pour tous les autres, c’est un horrible pensum auquel le Président s’est livré.

William Thay : Sur le format, je trouve que théoriquement l’exercice est intéressant puisque cela permet d’entendre le président de la République sur un format long pour avoir ses explications, sa vision et également le mettre en contradiction. Sur la pratique, Emmanuel Macron a accompli un exercice mitigé. La maxime « lorsque je me regarde, je me désole ; quand je me compare, je me console » ne s’est jamais aussi bien appliquée. Puisque, le Chef de l’État a montré qu’il avait une connaissance des enjeux supérieurs à ses anciens concurrents, ce qui confirme le choix des Français lors de la dernière élection présidentielle. Seulement, est-ce qu’Emmanuel Macron a répondu aux attentes des Français d’avoir un président de la République visionnaire qui arrive à emmener ses compatriotes vers un cap et une nouvelle destinée ? Il est vraisemblable que non.

Emmanuel Macron possède un logiciel européen et international qui est à peu près le même qu’au début de son mandat pour lequel il a apporté une touche plus réaliste et moins idéologique. Seulement, sa vision du monde apparait vraiment anachronique par rapport aux évolutions que nous avons subi en quelques années. Il pense davantage aux structures supranationales alors que la crise sanitaire a accentué le retour des frontières et des nations. Le Chef de l’État plaide pour davantage de coopération internationale, alors les différentes crises ont montré un réveil des empires comme la Russie, la Chine, l’Iran ou l’Inde qui pensent davantage au rapport de forces. Le président de la République pense que les résultats économiques sont le principal facteur de puissance alors que la guerre hybrique, utilisée par la Russie notamment, a démontrée qu’il ne fallait pas négliger les autres atouts comme l’alimentaire, les ressources stratégiques comme les énergies fossiles, etc.

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