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Emmanuel Macron, profil bas face aux provocations du président Erdogan
©Reuters

Sultan

À l'occasion de sa venue à Paris, Recep Erdogan n'a pu s'échapper une provocation inquiétante vis-à-vis d'un journaliste français qui l'interrogeait sur le soutien turc à Daesh. Sur le fond, se pose la question de l'attitude de l'Europe vis-à-vis de la dérive turque... Jusqu'où ira-t-elle?

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe est le fondateur du cabinet Parménide et président de Triapalio. Il est l'auteur de Faut-il quitter la France ? (Jacob-Duvernet, avril 2012). Son site : www.eric-verhaeghe.fr Il vient de créer un nouveau site : www.lecourrierdesstrateges.fr
 

Diplômé de l'Ena (promotion Copernic) et titulaire d'une maîtrise de philosophie et d'un Dea d'histoire à l'université Paris-I, il est né à Liège en 1968.

 

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Erdogan a repris les habits des sultans ottomans. Après avoir balayé la laïcité qu'Ataturk avait mise en place (sur le modèle français) au sortir de la guerre de 14-18, il exerce aujourd'hui un contrôle dictatorial serré sur son pays. L'échec du coup d'État de juillet 2016 lui a donné l'occasion de légitimer une restriction massive des libertés en emprisonnant opposants et journalistes.

Toute la question est de savoir jusqu'où ira ce projet islamiste ancré au coeur de l'Europe. L'attitude d'Erdogan mériterait que plus d'un Européen s'en inquiète. Sa visite à Paris ne peut que confirmer les craintes...

Erdogan, insultant sultan pour les journalistes

Au cours de la conférence de presse commune entre Emmanuel Macron et Recep Erdogan, un journaliste d'Envoyé Spécial a interrogé le sultan sur son soutien aux milices islamistes en Syrie. La réponse est publiée ci-dessus. Elle en dit long  sur la langue de bois pratiquée en Turquie.

Au passage, Erdogan signale les "4.000 camions d'armes" envoyés en Syrie par les États-Unis. L'occasion était trop belle de rappeler l'opération Bois de Sycomore, lancée par la CIA avec l'Arabie Saoudite pour financer une guerre destinée à abattre Bachar El-Assad. 

On notera en tout cas que, même en tournée "séduction", Erdogan ne peut dissimuler son manque total de respect pour les journalistes et pour la liberté de la presse. Dès que celle-ci le gêne, elle est ramenée à une manipulation de ses opposants. 

La fin de l'intégration de la Turquie à l'Europe

Définitivement donc, la Turquie s'est éloignée de l'Europe. La défaite des forces laïques en son sein constitue un retournement historique majeur. Après cent ans d'ouverture sur la Méditerranée, la Turquie se retourne vers l'Asie et vers ses origines ottomanes. 

Emmanuel Macron est le premier chef d'État qui a eu le courage de mettre des mots sur ce nouveau chapitre qui s'ouvre. L'intégration de la Turquie dans l'Union, au vu de l'islamisation erdoganienne, est un processus qui est désormais derrière nous. Devrait pouvoir s'ouvrir un chapitre de partenariat, avec un accord qui reste à négocier. 

Repli sur soi ou nouvel impérialisme?

Reste à savoir si ce retournement est un repli sur soi ou un retour à la grande logique impériale des sultans ottomans. 

Beaucoup de signaux faibles ou forts font pencher pour la deuxième solution. C'est précisément ce point qui devrait éveiller la suspicion des Européens. S'ils n'ont pas de projet politique pour Erdogan, Erdogan en a un pour eux: celui d'étendre l'influence turque au coeur de l'Europe, en s'appuyant sur ses soutiens islamistes au sein de la diaspora et en faisant pression sur l'Europe grâce à la bombe migratoire sur laquelle il est assis.

Le rôle de la diaspora turque

Les médias français ont minimisé ce volet de la stratégie erdoganienne. Elle existe pourtant: Erdogan avait rassemblé la communauté turque de Strasbourg avant les législatives pour donner la victoire à son parti. Mais ce volet-là est le moins offensif.

Il faut fureter sur les médias étrangers pour comprendre le rôle qu'Erdogan veut voir jouer à sa diaspora. Ainsi, lors d'un discours à Eskisehir en mars 2017, Erdogan a appelé les Turcs émigrés à faire des familles nombreuses pour inverser le rapport de force démographique dans les pays d'accueil.

Pour Erdogan, l'émigration turque est une arme d'expansion qui doit être activée de façon ordonnée. Les Belges en ont fait l'expérience. Le parti socialiste flamand y a même exclu l'un de ses élus qui avait soutenu ouvertement Erdogan à l'issue du coup d'État avorté de 2015, en invoquant publiquement Allah... 

Imaginer, donc, que la diaspora turque est une simple immigration économique sans projet politique pour les pays d'accueil relève de la candeur confondante (et parfois coupable par sa fausseté) des bien-pensants. 

L'arme de l'immigration et des réfugiés

Dans cet ordre d'idées, Erdogan considère que les réfugiés qui ont afflué en Turquie à l'occasion de la guerre civile en Syrie sont une armée de réserve qu'il peut utiliser à sa guise. Là encore, la candeur avec laquelle les bien-pensants européens abordent l'exercice est une faute politique. 

En 2016, Erdogan a proposé une naturalisation simplifiée pour ces réfugiés. Cette méthode simple pour recueillir des voix à l'approche des élections souligne bien la logique purement instrumentale du président turc face aux flux migratoires qui touchent la Turquie. 

Ces mêmes réfugiés sont une arme de dissuasion que la Turquie brandit régulièrement pour intimider l'Europe. On a vite oublié en France qu'Erdogan exigeait une somme annuelle de 3 milliards d'euros pour arrêter le flot de réfugiés qui passaient en Grèce et se répandaient ensuite en Europe. Depuis que l'Europe a cédé à la pression et mis la main à la poche, les réfugiés cessent d'affluer en Grèce et préfèrent tenter leur chance en Italie. 

Les candides bien-pensants français ont systématiquement fait l'impasse sur le caractère organisé de la crise des réfugiés. Or, qu'il s'agisse de la Turquie ou de la Libye, on sait que cette crise est structurée par des réseaux mafieux avec la complicité des pouvoirs en place. 

S'agissant de la Turquie, une simple visite sur l'île de Lesbos (principal lieu d'arrivée des réfugiés) permet de comprendre qu'aucun bateau ne peut quitter le pays pour la Grèce sans être immédiatement identifié et vu. S'agissant de la Libye, les règles de transparence financièreimposée par le gouvernement italien aux ONG qui récupéraient les réfugiés au large de la Libye ont permis de tarir très rapidement le flux des réfugiés. 

Erdogan utilisera-t-il la bombe démographique?

Erdogan sait qu'il dispose d'une bombe démographique. Celle-ci oblige l'Europe à prendre des gants avec lui. Elle oblige à proposer un accord de partenariat qui maquillera la rançon qu'Erdogan exige pour ne pas inonder l'Europe avec des flux migratoires incontrôlables. 

Reste à savoir combien de temps Erdogan se contentera de la dissuasion, et combien de temps il résistera avant d'appuyer sur la gâchette pour déstabiliser une Europe qu'il déteste. 

Article publié initialement sur Entreprise.news

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