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Emmanuel Macron, Président de droite à l’insu de son plein gré ?
©LUDOVIC MARIN / AFP

Et en même temps

Emmanuel Macron a renoué avec la traditionnelle interview du 14 juillet. Il a précisé les grandes lignes de la fin de son quinquennat et a fait le bilan de la crise du coronavirus. Emmanuel Macron a assuré qu'il n'était pas à la tête d'un gouvernement de droite.

Bruno Cautrès

Bruno Cautrès est chercheur CNRS et a rejoint le CEVIPOF en janvier 2006. Ses recherches portent sur l’analyse des comportements et des attitudes politiques. Au cours des années récentes, il a participé à différentes recherches françaises ou européennes portant sur la participation politique, le vote et les élections. Il a développé d’autres directions de recherche mettant en évidence les clivages sociaux et politiques liés à l’Europe et à l’intégration européenne dans les électorats et les opinions publiques. Il est notamment l'auteur de Les européens aiment-ils (toujours) l'Europe ? (éditions de La Documentation Française, 2014) et Histoire d’une révolution électorale (2015-2018) avec Anne Muxel (Classiques Garnier, 2019).

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Arnaud Benedetti

Arnaud Benedetti

Arnaud Benedetti est Professeur associé à Sorbonne-université et à l’HEIP et rédacteur en chef de la Revue politique et parlementaire. Son dernier ouvrage, "Comment sont morts les politiques ? Le grand malaise du pouvoir", est publié aux éditions du Cerf (4 Novembre 2021).   

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Atlantico.fr : Qu'avez-vous pensé de l'interview d'Emmanuel Macron ? Le chef de l'État a-t-il surpris ? 

Arnaud Benedetti : Comme souvent avec Emmanuel Macron, cette intervention avait été précédée d’un intense teasing, suscitant dès lors, a minima dans les cercles politiques et médiatiques, une forte attente. Ce " show-room" communicant comporte évidemment un risque : celui de "surgonfler" l’événement en amont et a posteriori, une fois celui-ci advenu, de créer une sensation de déception. C’est manifestement ce qui s’est passé. On attendait un cap, un souffle, une vision, une clarification surtout : en retour, on se retrouve avec un patchwork, un récit labyrinthique où l’on chercherait en vain une cohérence d’ensemble, si ce n’est celle d’un Président qui s’efforce de maintenir la narration originelle de son entreprise politique, le "en même temps", la "transformation" , dans des circonstances exceptionnelles liées à la crise sanitaire et ses conséquences sociales, économiques qui contraignent durement, voire irréversiblement son propre système de convictions. Après cette interview , qui au demeurant renouait avec une figure imposée de la com’présidentielle, l’entretien télévisée lors de la fête nationale, se dégage une impression très forte d’inachevé, comme si nous étions face à un Président devenu incertain confronté lui-même à un pays qui l’est tout autant. Cette incertitude structurelle explique peut-être que les dimensions les plus péremptoires et les plus assurées de son verbe aient été gommées à cette occasion. Ce Macron là était presque sans aspérités...

Bruno Cautrès : Non, je n’ai pas été vraiment surpris. Il faut dire que le contenu et la forme de cette interview avait été « vendu » trop longtemps en avant et que sans écouter on aurait presque pu prédire une bonne partie du contenu. Il n’y a donc pas eu de surprise sur les annonces, même si le plan pour la jeunesse a été précisé dans son montant et ses grandes orientations. De manière plus générale, j’ai toujours vu le chef de l’Etat égal à lui-même dans ses points forts comme dans ses points faibles : il parle bien, il met en scène ses émotions, le langage des mains appuie au bon moment la volonté ou la conviction ; dans le même temps, on le retrouve dans ses défauts maintenant bien connus : il surjoue régulièrement (sourires et regards trop appuyés), met trop d’emphase pour admettre ses erreurs (diminuées au rang de « maladresses » mais dont l’explication est trop emphatique) et parle de trop de sujets. Vers la fin de l’interview il retombe dans une erreur qu’il a déjà commise dans d’autres interviews : il accumule les propositions sur le mode « on va faire », « on a fait », « on fait » qui veulent souligner l’agir présidentiel mais font perdre le fil directeur. La justification du changement de Premier ministre, dans laquelle il a, en creux,"planté" Edouard Philippe restera dans les annales. Le Président a tenté de se mettre « hors d’eau » alors que sa popularité continue de patiner et que l’évaluation globale de sa gestion de la crise sanitaire n’est pas très positive.

À plusieurs reprises durant cet entretien, Emmanuel Macron a assuré ne pas tenir un gouvernement de droite. Est-ce le cas selon vous ? 

Arnaud Benedetti : Il a tenu à s’inscrire en faux contre cette lecture. La réalité c’est que nous assistons depuis le début du mandat à un tarissement de sa capacité à la synthèse. Les élections européennes, il y a tout juste un an, avaient marqué un sensible infléchissement de son cœur électoral au centre-droit, voire à droite. Le remaniement a confirmé avec l’accession de Jean Castex, un proche de Nicolas Sarkozy, à Matignon, de Roselyne Bachelot à la Culture ou la promotion de Gerald Darmanin à Beauvau que c’est bien plus à droite de préférence qu’à gauche que semble s’équilibrer désormais l’exécutif. Les fondamentaux du discours du Président, sa sémantique portent aussi une tonalité plus en adhérence avec cet électorat. On comprend néanmoins que pour le Président il s’agit de tenir compte de sa majorité parlementaire, laquelle est sans doute plus hétéroclite que le centre de gravité de sa sociologie électorale. D’où des éléments de langage qui visent à atténuer cette impression de "droitisation", même à la dénier. Macron a néanmoins intérêt à s’ériger comme le garant de sa propre centralité parce qu’ainsi il apparaît comme celui qui est le mieux à même de rassurer contre ce qu’il désigne explicitement comme le "danger populiste" et contre ce qu’il suggère sans le dire pour le moment être un autre "danger" , celui d’une gauche "ecologisée". Macron veut écrêter sur sa gauche et sur sa droite pour consolider un bloc central qui serait le plus à même de défendre les intérêts et la vision de sa sociologie. 

Bruno Cautrès : L’explication donnée par Emmanuel Macron n’était pas très convaincante sur ce point. Si le décompte des membres du gouvernement qui, à l’origine, viennent d’horizons « de gauche et de droite » montre qu’effectivement c’est plus équilibré qu’on ne le dit, ce décompte ne rend pas compte de trois éléments clefs qui font que l’on peut caractériser le centre de gravité du gouvernement comme « centre droit » : d’une part le chef du gouvernement vient des LR (comme Edouard Philippe) et il en était encore membre quelques heures avant sa nomination ;  d’autre part, les personnalités issues des LR ou du centre-droit tiennent à peu près toutes les positions importantes du gouvernement : outre Matignon, le Ministère de l’économie et des finances et celui de l’Intérieur. C’est la combinatoire de Matignon+Bercy qui fait que l’on peut qualifier le centre de gravité du gouvernement de centre-droit compte tenu que les deux principaux centres de décisions sont tenus par des personnalités qui appartenaient encore récemment aux LR. Ce n’est pas le Quai d’Orsay (Jean-Yves Le Drian) ou la Défense (Florence Parly) qui sont les centres de décisions de la vie économique et sociale, celle qui a les impacts les plus forts sur la vie des Français.

Quel a été l'objectif d'Emmanuel Macron lors de cette interview ? Cible-t-il véritablement tous les Français ou un électorat particulier ? 

Arnaud Benedetti : Par vocation et par construction un Président de la République quand il s’adresse à la Nation vise tous les Français. C’est quelque part le profil du poste qui le veut. Emmanuel Macron ne déroge pas à la règle. Tout l’enjeu de cette interview était de redonner à sa parole un caractère audible d’une part et une lisibilité à son action d’autre part. Sur les deux pans le résultat est incertain car pour être audible il fallait être lisible. Or ce qui a manqué le plus au chef de l’Etat c’est de poser quelques principes qui puissent susciter une lecture claire de ses choix. Il affirme vouloir écrire une nouvelle page ; c’est cette nouvelle page qui justifie le changement de Premier ministre ; or cette nouvelle page apparaîtra à nombre de commentateurs mais aussi de nos concitoyens comme une esquisse un peu brouillonne qui laisse de nombreuses questions en suspens : la relance, oui mais comment la financer, hormis par la dette, dont on installe dans l’opinion que cette dernière ne constitue plus un engagement sur le fond mais un simple jeu d’écriture ; les relocalisations stratégiques, marqueur du discours souverainiste d’Emmanuel Macron à l’échelle européenne depuis le début de la crise sanitaire, ont constitué de leur côté un angle mort de l’intervention présidentielle ; la volonté de réformer enfin, au travers de l’évocation contrastée du dossier des retraites, a donné lieu à une tonalité hésitante, d’autant plus que le Président est désormais confronté au compte à rebours implacable de sa fin de mandat qui par ailleurs sera au Printemps 2021 scandé par les élections régionales et départementales... En fin de compte, c’est un volontarisme "godillant", parfois empêché qu’à laissé transparaître Emmanuel Macron au cours de cet exercice.

Bruno Cautrès : Normalement, la fonction de Président de la République est bien de parler à tous les Français. Hier, Emmanuel Macron a essayé de s’adresser à une myriade de segments électoraux : agriculteurs, jeunes, résidents des EPHAD, écologistes, centre-droit, centre-gauche, entrepreneurs, soignants, « premiers de corvées », etc… Cela a donné le sentiment d’un patchwork ou d’un kaléidoscope dont seul le chef de l’Etat a le plan d’ensemble. Le risque de cette prise de parole multi-directionnelle est de donner le sentiment qu’il n’arrive pas à faire partager le fil directeur de cette narration : il a dû d’ailleurs insister à plusieurs reprises sur le fait qu’il était « raccord » par rapport à son projet de départ et il a voulu se présenter comme le vrai pourfendeur des inégalités.

On a toujours la sensation qu'Emmanuel Macron s'adressait aux technocrates. N'a-t-il-pas changé de fusil d'épaule en essayant de s'adresser à tous (technocrates, bureaucrates, agriculteurs, professeurs, jeunes...) ? 

Arnaud Benedetti : Son intervention c’était un mixte communicant : des annonces très concrètes (port du masque obligatoire dans les lieux publics, mesures pour l’emploi des jeunes, le ferroviaire ) et des axes plus généraux, mais très parcellaires et dispersés. D’où l’impression de communication attrape-tout de son intervention qui visait à donner des gages de-ci, de-là à des catégories sociales aux intérêts parfois contradictoires. Tout se passe comme si à front renversé il laissait le soin à son nouveau Premier ministre de rassembler, de ramasser les pièces éparses de ce puzzle pour redonner de la perspective lors de son discours de politique générale. Il a soldé les 3 années d’Edouard Philippe, en laissant entendre que les années Castex seraient celles du dialogue, comme si en creux le prédécesseur de l’actuel chef du gouvernement avait, lui, insuffisamment dialogué... La réalité c’est que le Président a une urgence : limiter la casse économique, et ce sera là le point saillant de son agenda politique jusqu’à 2022 tout en préparant dans ce paysage chaotique les conditions d’une nouvelle candidature. Il n’a plus vraiment les cartes en mains, sauf à escompter sur l’incapacité d’une opposition à être crédible dans l’incarnation d’une alternative. Ce n’est plus que par défaut qu’Emmanuel Macron peut préparer l’avenir... 

Bruno Cautrès : Non, je ne crois pas que cette interview va, de ce point de vue, changer les choses en profondeur.  La parole d’Emmanuel Macron continue d’être perçue, à tort ou à raison, comme une parole très abstraite, malgré les efforts faits par le chef de l’Etat pour ne plus apparaître comme un « techno ». Le problème pour lui est que son image est figée, fixée, depuis de nombreux mois et que nous dans le dernier tiers de son mandat, trop tard sans doute pour retoucher en profondeur la perception de son style et de son action. Emmanuel Macron, au cours de sa première année de mandat a trop vite et trop fortement fixé son image dans l’opinion : pour une partie des Français, il reste un jeune « technocrate » qui n’est pas assez dans la compréhension de la vie de tous les jours. Pour ce segment de l’électorat, ce n’est pas parce qu’Emmanuel Macron a nommé un Premier ministre à l’accent du Gers qu’Emmanuel Macron s’est rapproché du Gers profond ou des territoires…

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