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Emmanuel Macron, la démission et ses tabous historiques
©PASCAL GUYOT / AFP

Macronomics

Emmanuel Macron, dans son interview au Nouvel Observateur (dont l'effet a souffert de l'élection de Trump aux Etats-Unis), dévoile une partie de son programme. Entre autres propositions techniques qui pourraient faire réagir, on notera cette idée d'autoriser le versement d'allocations chômage aux salariés qui démissionnent. L'idée correspond bien au personnage : débloquer de façon pragmatique des situations qui n'ont plus beaucoup de sens.

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe est le fondateur du cabinet Parménide et président de Triapalio. Il est l'auteur de Faut-il quitter la France ? (Jacob-Duvernet, avril 2012). Son site : www.eric-verhaeghe.fr Il vient de créer un nouveau site : www.lecourrierdesstrateges.fr
 

Diplômé de l'Ena (promotion Copernic) et titulaire d'une maîtrise de philosophie et d'un Dea d'histoire à l'université Paris-I, il est né à Liège en 1968.

 

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La démission et ses tabous historiques

Aujourd'hui, les salariés qui démissionnent n'ont pas droit à l'allocation chômage. Cette dernière est en effet versée aux salariés involontairement privés d'emplois. Or, les salariés qui démissionnent n'entrent pas, à bon droit, dans cette catégorie. La démission est donc privatisée d'allocation chômage.

En proposant de revenir sur ce mécanisme, beaucoup accuseront Macron de faire entrer un gros ver gourmand dans un fruit déjà pourri par les déficits. Le régime chômage (que Macron propose par ailleurs de nationaliser) cumule en effet une dette supérieure à une année de prestations, et il n'existe pas d'unanimité (parmi les partenaires sociaux) pour enrayer le phénomène. En proposant d'accroître les situations où les indemnités peuvent être versées, Macron élargit donc le déficit au lieu de le réduire.

Une dégradation de la valeur travail ?

Contre cette mesure, on entend déjà les critiques existentielles. Comment peut-on indemniser un salarié pour une situation qu'il a choisie ? L'indemnisation est en effet, en droit "vulgaire", la réparation d'un dommage subi. En démissionnant, le salarié ne subit rien. Au contraire, il agit.

La proposition de Macron apparaît donc bien comme un encouragement discret à quitter son emploi pour des raisons totalement intéressées. Les employeurs ont tous en tête l'exemple de ces salariés qui ont suffisamment d'ancienneté pour être indemnisés et qui cherchent la petite bête pour être licenciés : l'indemnisation qu'ils espèrent après leur licenciement est un élément de motivation... pour rompre le contrat de travail.

Cette attitude sera évidemment nourrie par la proposition du candidat Macron.

Des effets pervers non désirés

Mais il est vrai qu'en privant les démissionnaires de toute indemnité, la réglementation en vigueur produit de véritables effets pervers.

C'est le cas pour tous ceux qui s'ennuient au travail, ou qui ne s'y sentent pas bien, ou qui sont en conflit avec leur environnement. Leur appétence pour l'entreprise qui les emploie baisse au point que quitter son emploi devienne une obsession, un souhait profond.

On sait, en l'état du droit, comment se solde cette situation dans la plupart des cas : le salarié cherche des prétextes pour partir, essaie de pousser l'employeur à la faute, et la situation dégénère. Parfois, les deux parties s'entendent sur une rupture conventionnelle, qui permet au salarié de partir en gardant le bénéfice de l'allocation chômage. L'absence d'allocation chômage pour les démissionnaires peut donc pousser à des comportements contentieux qui déstabilisent la vie de l'entreprise.

Le pragmatisme Macron

En ce sens, la proposition de Macron peut éviter des moments désagréables au chef d'entreprise, et désengorger les prud'hommes. Rappelons que plus de la moitié des ruptures de contrats de travail s'expliquent par des démissions. C'est dire l'ampleur financière de la proposition de Macron (mal valorisée aujourd'hui) et l'impact qu'elle peut avoir sur la vie en entreprise.

Dans la pratique, on saluera son pragmatisme. Certes, intellectuellement, elle est choquante au premier abord, dans la mesure où elle "renverse" les valeurs. Mais elle aborde un sujet de préoccupation important pour les Français et elle pourrait modifier la face des relations de travail en entreprise. Au lieu de chercher la faute pour partir dans des conditions financières acceptables, le salarié malheureux pourra partir dans des conditions claires et des délais rapides.

On assiste ici au combat du pragmatisme contre la morale, et il est probable que Macron doive tôt ou tard clarifier sa position sur ce sujet.

De l'assurance contre le risque à la sécurité sociale professionnelle

En fait, Emmanuel Macron propose, sans le dire clairement, que le régime d'indemnisation du chômage perde son caractère assurantiel de protection contre le risque chômage, au profit d'une logique sensiblement différente qui tient en un mot simple : fluidifier les ruptures de contrat.

La proposition ne manque pas d'intérêt. Elle illustre une démarche pragmatique d'un "insider".

Reste à savoir combien elle coûte pour un régime déjà exténué financièrement. Sur ce point, Macron ne dit rien, mais l'idée qu'il promeut de sécurité sociale professionnelle mise en place de façon somme toute volontaire, mais discrète, avec des droits attachés au contrat et non à la personne, a un inconvénient : elle n'est pas chiffrée budgétairement.

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