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Emmanuel Macron face aux évêques de France : le discours d’un élève de Paul Ricoeur mais pas celui d’un chef d’État
©IAN LANGSDON / POOL / AFP

Homélie présidentielle

A l'occasion de la Conférence des évêques de France, lundi 9 avril au soir, Emmanuel Macron a prononcé un discours au ton hasardeux et aux thématiques multiples, dans lequel on retrouve davantage de questions que de réponses.

Bertrand Vergely

Bertrand Vergely

Bertrand Vergely est philosophe et théologien.

Il est l'auteur de plusieurs livres dont La Mort interdite (J.-C. Lattès, 2001) ou Une vie pour se mettre au monde (Carnet Nord, 2010), La tentation de l'Homme-Dieu (Le Passeur Editeur, 2015).

 

 

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Quand on l’écoute attentivement, le discours que le chef de l’État a prononcé hier soir aux Bernardins à l’invitation des évêques de France suscite plus de questions qu’il n’apporte de réponses.

En premier lieu, le ton général du discours pose question. Celui-ci n’a pas tant été un discours qu’une homélie, le chef de l’État invitant les catholiques sur le ton de l’exhortation à « faire un don de leur sagesse, de leur engagement et de leur liberté ». Exhortation pour le moins singulière, comme si les catholiques n’avaient pas déjà l’habitude du don d’eux-mêmes.

Dans le projet par ailleurs, annoncé d’emblée, là encore on s’interroge. « Réparer le lien entre l’Église et l’État ». Le chef de l’État, sur ce point, est demeuré sibyllin en n’expliquant pas ce qui a été gâté entre l’Église et l’État,  pourquoi cela l’a été et comment il entendait réparer ce qui a été gâté. Avec cette formule, il avait pourtant un boulevard qui s’ouvrait afin de redéfinir ce que doit être l’attitude de la laïcité à l’égard des religions en général et de l’Église catholique en particulier et ce que doit être en retour l’attitude des religions en général et de l’Église catholique en particulier à l’égard de la laïcité.  Ce qui n’a pas été fait.  À un moment du discours, il a été question de donner un cap. Celui-ci a été donné : sous la forme d’un appel à la dignité de l’homme et au sens. Ce qui ne répond guère à la question de savoir ce qu’est la laïcité et ce que doivent être les relations de la République laïque à l’égard des religions et l’attitude des religions à l’égard de la République laïque. Est-ce d’ailleurs la question des relations entre l’Église et l’État dont il convient de parler ? Cette référence à la loi de 1905 est-elle pertinente ? Le lien entre l’Église et l’État a été rompu et nul ne songe à vouloir le rétablir.  C’est bien plutôt celle des relations entre la République et le religieux en général ainsi que l’Église catholique en particulier qui pose problème. Ainsi, quand il est expliqué  que les valeurs de la République résident dans la liberté et que la liberté réside dans le droit au blasphème, n’y a-t-il pas urgence à redéfinir ce que sont les principes de la République, le sens de la liberté ainsi que ses limites ? Le chef de l’État est demeuré étrangement silencieux sur ce problème pourtant crucial. En lieu et place d’une réflexion sur le sens de la liberté aujourd’hui, de façon kierkegaardienne,  il a été surtout question d’un appel à vivre de façon déchirée, dans l’inconfort et l’incertitude. En un mot, il a été question, pour les catholiques, d’aller sur la croix et d’y rester en souffrant.

Cet appel au déchirement et à la souffrance est apparu d’emblée quand, le chef de l’État a évoqué le colonel Beltrame. À la question de savoir ce qui avait motivé le don qu’il a fait de lui-même, le chef de l’État a évoqué  le citoyen, le franc-maçon et le chrétien avant de conclure que ces trois sources avaient inspiré son geste. Le chef de l’État a voulu faire du colonel Beltrame une figure réconciliatrice de notre postmodernité en voyant en lui ce qui rassemble tous les courants de pensée. Geste maladroit aboutissant à noyer le chrétien dans le flot des courants de pensée multiples et variés. Pourquoi ne pas avoir simplement mentionné ce geste admirable dépassant tous les égoïsmes humains sans rentrer dans le fait de savoir à quel courant idéologique il importe de le rattacher ?

Quant au fond du discours à savoir l’invitation faire aux catholiques de faire don de leur sagesse, de leur engagement et de leur liberté, on s’interroge également. S’agissant de la sagesse, le chef de l’État a invité les catholiques à faire preuve d’un humanisme réaliste face à la question des migrants. Si un tel humanisme relève du bon sens, constatons qu’il laisse la question de la politique migratoire entièrement ouverte et non résolue. Il y avait cependant beaucoup à dire pour que les mentalités changent sur ce point les mots humanismes et réalisme demeurant quelque peu flous. Plus préoccupante en revanche, la question de la bioéthique où là, le chef de l’État a donné l’impression que dans son esprit la question était, si l’on ose dire, « pliée ». Manifestement la PMA (Procréation Médicalement Assistée) pour tous les couples aura lieu. Et pour la faire admettre le chef de l’État a multiplié les exhortations à vivre dans l’inconfort, le questionnement, la difficulté, en se laissant interroger au-delà de ses certitudes. En art contemporain, quand il s’agit de faire accepter certaines « œuvres », il est expliqué qu’il faut prendre le risque  vie de se laisser déranger. Dans le discours du chef de l’État, on a eu un sentiment semblable. Ce qui est préoccupant. Nous assistons aujourd’hui à une montée en puissance du transgenre. Témoin le projet de loi au Canada pour interdire les appellations Monsieur et Madame. Nous assistons également à la montée en puissance de projets ouvertement eugénistes. Alors que des questions extrêmement graves se posent quant à l’avenir de l’homme, rien n’ait été dit sur le fond. On ne peut surtout qu’être inquiet quant à l’avenir qui se prépare, avoir comme perspective de vivre « dérangé » n’étant ni rassurant ni réjouissant.

Le chef de l’État a invité les catholiques à s’engager et à faire don de leur engagement. Il est regrettable qu’il n’ait pas d’abord remercié les catholiques pour tout ce qu’ils font pour la société française et qui est proprement admirable. Certes, il a mentionné des associations qui travaillent auprès des plus démunis. Pourquoi n’a-t-il pas été question du Secours Catholique et, de la signification d’un tel engagement ? Il est étonnant qu’à cette occasion Le chef de l’État ait cité Georges Bataille et sa théorie de la part maudite en identifiant les vulnérables à cette part maudite. La part maudite, chez Bataille, étant un éloge du gaspillage et de la vie en pure perte, celle-ci ne laisse guère de place à la vulnérabilité. D’autant que, fervent admirateur de Sade, Bataille n’a cessé de faire l’éloge de l’homme souverain, modèle selon Sade de l’homme accompli gaspillant sans compter en ne s’occupant que de son plaisir.

Enfin, le chef de l’État a invité l’Église à être intempestive, son originalité étant d’être en retard et en avance sur notre époque en étant ici conservatrice et là révolutionnaire. Ce qui, là encore ne résout rien. Il y a aujourd’hui de vraies questions qui se posent dans l’Église catholique et ailleurs sur un certain nombre de sujets dont celui de savoir ce que notre postmodernité va faire de la vie, de l’homme, du monde, de l’histoire. Est-ce en étant intempestif, c’est-à-dire en adoptant une posture esthétique constant à vivre de façon décalée que l’on va apporter une réponse à ces questions ?

Au final, une impression ressort après ce discours riche et brillant, mais difficile et obscur : le chef de l’État a été quelque part mal conseillé. Il a parlé comme l’élève de Paul Ricoeur hier et non comme le chef de l’État aujourd’hui. Ce qui l’a conduit à ne pas prendre les bonnes options.  Notre monde a besoin de pédagogie. Il a besoin de clarifications à propos de la religion, de la laïcité, de la République. En lieu et place de cela, des appels au respect de la dignité de l’homme et au sens, n’apportent aucune réponse. 

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