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François Bayrou et Emmanuel Macron lors d'une visite officielle du président de la République.
François Bayrou et Emmanuel Macron lors d'une visite officielle du président de la République.
©GEORGES GOBET / AFP

Rapport de force

Si le parti de François Bayrou n’a aucune intention de basculer dans l’opposition, l’épisode du rejet du pass sanitaire par son groupe à l’Assemblée souligne le rapport de force qui se crée en vue de sa future place dans un potentiel deuxième quinquennat.

Christophe Boutin

Christophe Boutin est un politologue français et professeur de droit public à l’université de Caen-Normandie, il a notamment publié Les grand discours du XXe siècle (Flammarion 2009) et co-dirigé Le dictionnaire du conservatisme (Cerf 2017), le Le dictionnaire des populismes (Cerf 2019) et Le dictionnaire du progressisme (Seuil 2022). Christophe Boutin est membre de la Fondation du Pont-Neuf. 

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Atlantico : L’article 1er du projet de loi sur la sortie de l’état d’urgence sanitaire a d’abord été rejeté. Le groupe MoDem a voté à l’unanimité contre une disposition relative au pass sanitaire. « Nous constatons qu'il n'y a pas eu de dialogue, pas eu d'écoute », a déclaré le député MoDem, Philippe Latombe. Ce vote montre-t-il que les députés MoDem veulent-être davantage considérés ? Le parti présidentiel les a-t-il trop considérés comme acquis ?

Christophe Boutin : Contrairement à ce qui a été dit dans bien des organes de presse, le groupe Modem ne s’est nullement « opposé à la mise en place d’un pass sanitaire », mesure avec laquelle il était pleinement d’accord, comme d’ailleurs le groupe Les Républicains : François Bayrou ne voulait-il pas « un certificat de vaccination pour qu’un certain nombre d’activités puissent rouvrir » ? Il a voté Plus globalement contre l’article 1er du « Projet de loi relatif à la gestion de la sortie de crise sanitaire », dont la mise en place du fameux « pass sanitaire » - sans d’ailleurs que ce terme y soit -  n’est qu’un des éléments.

Ce texte vise en effet avant tout à donner au Premier ministre la possibilité, par décret et durant initialement cinq mois, de rétablir un confinement, national ou local, de mettre en place un couvre-feu ou d’interdire et limiter les rassemblements de personnes, précisant que, lorsque les mesures « doivent s’appliquer dans un champ géographique qui n’excède pas le territoire d’un département », il peut habiliter un préfet « à les décider lui-même ». On mesure ici l’ampleur des pouvoirs donnés à l’exécutif, avec à peine une information du Parlement. Mais le texte autorise bien aussi le même Premier ministre, toujours par décret, à « subordonner l’accès des personnes à certains lieux, établissements ou évènements impliquant de grands rassemblements de personnes pour des activités de loisirs ou des foires ou salons professionnels à la présentation du résultat d’un examen de dépistage virologique ne concluant pas à une contamination par la covid-19, d’un justificatif de l’administration d’un vaccin contre la covid-19 ou d’un certificat de rétablissement à la suite d’une contamination par la covid-19 ».

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Ce pass sanitaire, même si on l’a revu à la baisse (il n'est pas demandé pour accéder aux magasins, et le vaccin n’est pas obligatoire), est bien une restriction des libertés de plus, et l’on comprend que des parlementaires et des citoyens s'en soient émus – c’est d’ailleurs aussi le cas en Grande-Bretagne ou au Danemark. Si le secrétaire d'État en charge du numérique, Cédric O, a rappelé qu’il s'agit simplement d'avoir sur son smartphone le résultat d’un test gratuit, sans qu'il y ait de fichier spécifique de créé, il oublie que les dits tests devront dater de moins de 48 heures, ce qui crée des contraintes importantes, et que certains spécialistes en informatique s'inquiètent du piratage éventuel de l'application StopCovid sur laquelle seraient stockées les informations.

Que voulait alors le groupe MoDem, comme d’autres groupes de l’opposition ? Sur le pass, des précisions, la notion de « grand rassemblement » étant parfaitement floue, et donc ici une jauge, un seuil minimum à son application. Or le gouvernement avait évoqué « 1000 personnes », mais quelques jours plus tard Jean Castex parlait de « 800 personnes », et cette cacophonie n’ajoutait rien au charme de ce flou fort peu artistique, laissant aussi ouverte une question (densité identique en intérieur ou en extérieur ?) qui pouvait peser sur ces discothèques qui intéressent tant nos élus. Par ailleurs, le MoDem souhaitait que la période de sortie de l'état d'urgence soit raccourcie, comme aussi le délai qui permettait les confinements locaux.

Devant le refus gouvernemental d’entamer, en commission ou en séance, une discussion sur ces points, les parlementaires présents du groupe Modem ont donc voté de manière unanime contre le texte dans l’après-midi du 11 mai, ce qui a conduit à le voir repoussé par 108 voix contre 103. Vint après la surprise une négociation, conduisant le gouvernement à accepter de réduire la durée de sortie de l'état d'urgence sanitaire, ramenée à quatre mois (du 2 juin au 30 septembre et non plus au 31 octobre comme initialement prévu). Dans la nuit enfin, à la suite du nouveau vote demandé par Jean Castex, le texte était cette fois adopté par 208 voix contre 85 - il sera soumis au Sénat mardi prochain 18 mai.

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Mais résumer ce qui s'est passé à une simple question d’insuffisante précision des textes en termes de libertés publiques (une précision que la CNIL vient de demander elle aussi le 13 mai) serait sans doute largement erroné. En effet, deux autres problématiques se sont superposées à cet aspect des choses. La première, qui concerne quasiment tous les groupes politiques à l'exception de LREM - et encore –, vient de ce que le gouvernement semble considérer l'Assemblée nationale comme une simple chambre d'enregistrement et non comme un partenaire avec lequel nouer un dialogue pour parvenir à de meilleures lois. Certes, ce n'est pas la première fois sous la Ve République que certains ont cette impression : n'a-t-on pas parlé du « parti de godillots » soutenant le général De Gaulle ? Mais à ce rapport de force souvent inégalitaire s'ajoute ici la morgue avec laquelle représentants du gouvernement ou responsables du parti présidentiel à la Chambre basse traitent les parlementaires et qui lasse ces derniers.

La seconde problématique concerne cette fois les rapports au sein de la majorité présidentielle qui, depuis qu’en 2020 LREM a  perdu la majorité absolue à l’Assemblée nationale, est une majorité pluri-partisane, avec 269 députés LREM, 58 centristes du MoDem et les 21 élus « de droite » soutenant Emmanuel Macron d'Agir. Une majorité composite, c’est à dire une famille avec ses personnalités, ses tensions, ses rancœurs, ses crises d'adolescence, et dont le chef doit savoir respecter les membres, sinon les choyer. Or le Modem avait l’impression d’être celui dont on n’a plus à se préoccuper car son accord serait toujours acquis, une sorte de brave et fidèle serviteur que l’on récompense en lui offrant comme porte-bonheur la photographie du Président. On connaît pourtant la célèbre formule qu’aiment à répéter toutes celles qui pensent au divorce : « Il n'y a pas d'amour, il n'y a que des preuves d'amour ». Et par ce pseudo « vote sanction » médiatisé, c'est un peu, toutes proportions gardées, ce cri d’amour déçu que voulait lancer le MoDem au Président.

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Christophe Boutin : Auteur d'une biographie d'Henri IV, François Bayrou voulait lui aussi rassembler les Français par-delà leurs clivages. Trois fois candidat à l'élection présidentielle, il subit cependant trois échecs, obtenant presque 7 % des voix en 2002, puis plus de 18% en 2007, avant de revenir en 2012 à un peu plus de 9%. En février 2017, quand les sondages le montrent distancé par Emmanuel Macron (il était passé de 12% d’intentions de vote en décembre 2016 à 6 % en janvier 2017, quand le nouveau candidat était déjà donné entre 16 et 20 % selon les candidats socialistes retenus par les sondeurs), il a l’idée géniale de proposer une alliance à ce dernier. Est-ce cela qui, dans la semaine, fait gagner 3 points au futur président ? Peut-être, mais on est loin en tout cas de ce « 24% divisé par 2, ça fait 12%, si Macron et moi on se présentait » que le Béarnais a ensuite évoqué, ce qui ne l’empêche pas de se croire alors faiseur de roi.

La suite, on la connaît, et, effectivement, Emmanuel Macron paye ses dettes rubis sur l’ongle. Ce sont des législatives qui, par un jeu d’alliances et de répartition des circonscriptions, permettent au Modem d’obtenir 43 sièges, un score inespéré pour ce parti qui n’en avait plus que 2. Ce sont aussi deux ministères dans le premier gouvernement d’Édouard Philippe, l’un pour François Bayrou, Ministre d’État (comme Gérard Collomb et Nicolas Hulot) en tant que Garde des Sceaux, l’autre pour  Marielle de Sarnez, ministre chargée des Affaires européennes.

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Las, pris dans l’affaire assistants parlementaires du MoDem au parlement européen – qui lui vaudra en 2019 d’être mis en examen pour « complicité de détournement de fonds publics » -, celui qui est depuis 2014 maire de Pau (réélu en 2020) et sa collègue du MoDem doivent démissionner après seulement 1 mois et 4 jours de palais républicains. Quant aux trois nouveaux membres du MoDem nommés ministres dans le gouvernement Philippe II, devenus cinq dans le gouvernement Castex, ils restent à des postes plus secondaires. Il faudra attendre septembre 2020 pour que le Béarnais devienne Haut commissaire au Plan, fonction plus symbolique qu’autre chose, où il produit des notes sur les implications sociétales et financières de la crise sanitaire dont il n’est pas certain qu’elles influent beaucoup sur les choix macroniens.

C’est peut-être pourquoi François Bayrou a repris récemment son ancienne revendication – qui faisait partie d’ailleurs du programme d’Emmanuel Macron et de l’accord d’alliance de février 2017  – d’un changement du mode de scrutin des législatives pour y instaurer une proportionnelle. Laquelle ? Dans sa lettre du 4 février, c’est d’une proportionnelle intégrale qu’il parle, et non de cette « dose de proportionnelle » envisagée, elle, par le Président. Cette volonté de changer le mode de scrutin, soutenue par le RN, LFI ou EELV, autant de partis écrasés aux législatives par l’effet d’entraînement de la présidentielle et par leur absence de « barons locaux », a donc conduit à déposer deux propositions de loi, l’une introduisant une dose de proportionnelle, l’autre la proportionnelle intégrale. Mais c’est sans doute d’un référendum, qui traduirait cette reconnaissance des Français qui lui a tant manqué jusqu’alors, dont rêverait le maire de Pau.

Où en est François Bayrou avec le MoDem ? Sa mainmise très ferme sur le parti et la disparition de Marielle de Sarnez, plus souple et conciliante, pourrait-elle faire que certains députés MoDem se détachent de sa personne ?

Christophe Boutin :Que Marielle de Sarnez ait été « plus souple et conciliante », je crois que nombre d’élus MoDem, et surtout nombre de ceux qui se sont séparés de ce parti au cours de son histoire, seraient réservés sur ce point. Mais efficace courroie de transmission, absolument essentielle, entre le parti au quotidien et un François Bayrou parfois lointain et vite méprisant, c’est certain. Un élément d’autant plus essentiel lorsque les foucades béarnaises faisaient s’effondrer les sièges.

Faisons si vous le voulez bien un petit rappel historique. L’UDF de 1997 - Bayrou en prend la tête en 1998 -, c’est 113 députés. La création de l’UMP en 2002 y amènant nombre de centristes, l’UDF, qui ne compte plus que 29 députés, affirme peu à peu sa liberté par rapport à la droite – la volonté de François Bayrou étant de créer un espace élargi au centre, entre UMP et PS. Mais en 2007, c’est une nouvelle scission, au sujet cette fois de l’alliance avec Nicolas Sarkozy : Hervé Morin crée le Nouveau centre et soutient ce dernier de ses 23 députés, quand et l’UDF indépendante n’en a plus que 3. Qu’à cela ne tienne, voici venu le temps du MoDem, créé en 2007 : 35.000 adhérents, encore quelques élus locaux, mais  la volonté d’indépendance, le vote des textes « au au cas par cas » avec ou contre la droite, comme le choix affiché de François Bayrou pour François Hollande au second tour de 2012, lassent élus et électeurs. Avec 2 élus seulement, le parti entame donc 2013 un rapprochement avec la droite en général, et plus particulièrement avec l’UDI de Jean-Louis Borloo, ce qui lui permet une meilleure assise aux élections locales. Ensuite, nous avons déjà évoqué sa trajectoire depuis 2017.

Qu’en est-il après ces années d’errance – même si François Bayrou dirait volontiers que ce sont les autres qui ont changé, mais pas lui ? Ce dernier a bien été réélu à la tête de ce parti de 12.000 adhérents, avec 96 % des voix, score à faire pâlir d’envie bien des pouvoirs, mais avec une forte d’abstention. Et c’est maintenant un homme âgé qui doit faire face à ces nouveaux élus nés de l’alliance de 2017 qui n’entendent peut-être pas être conduits au seul choix de « se soumettre ou se démettre » qui a été jusqu’ici celui laissé à leurs prédécesseurs. Des élus qui savent qu’ils doivent à l’alliance avec LREM au moins autant qu’à François Bayrou, et n’ont sans doute pas envie d’aller trop loin.

D’ici 2022, comment le MoDem compte-t-il construire un nouveau rapport de force avec LREM ? Emmanuel Macron a-t-il du souci à se faire à ce propos ?

Christophe Boutin : Depuis 2017, malgré l’effacement forcé de François Bayrou (ou à cause de ?), le MoDem progresse : de deux ministres en 2017 à cinq en 2021 ; de 43 députés en 2017 à 58 en 2021, au gré des défections de LREM. Parti de cadres historiquement bien implanté localement, il peut aussi espérer tirer son épingle du jeu lors des élections départementales et régionales de juin. La question se pose donc de sa place dans les présidentielles de 2022… ou plutôt dans les législatives qui suivront, tant il est peu crédible de penser à une candidature de François Bayrou ou d’une des nouvelles têtes du parti, totalement inconnues. Toute la question est donc de savoir comment obtenir d’Emmanuel Macron qu’il lui garantisse comme en 2017 des circonscriptions.

Pour cela, le rapport de force initié depuis quelques mois par le MoDem est très finement joué : il s’agit de démontrer sa capacité de nuisance lorsque l’on n’est pas assez choyé, sans claquer la porte de la majorité présidentielle. Et comme le « retenez-moi ou je fais un malheur », trop théâtral, ne serait pas crédible ici, on utilise les attentes des Français pour « faire le buzz » et perturber un peu le gouvernement, sans pourtant l’empêcher vraiment de réaliser ses choix.

C’est le cas avec le « pass sanitaire » que nous avons évoqué : il n’a jamais été question on l’a dit de le bloquer, mais, grâce aux médias, le MoDem passe à peu de frais pour le chevalier blanc défenseur des libertés. Mais c’est le cas aussi sans doute avec la proportionnelle. On se donne le beau rôle en rappelant la promesse de campagne du Président – et, il est vrai, une demande ancienne de François Bayrou. Mais on n’ignore pas qu’une sorte de tradition voudrait maintenant que l’on ne change pas les règles à moins d’un  an des élections, ce qui rend la concrétisation par voie législative d’une telle proposition bien incertaine – pour ne rien dire d’un éventuel référendum. Est-ce si grave ? Il n’est pas évident que la proportionnelle soit en fait si favorable en 2022 aux jeunes pousses MoDem nées en 2017 et ayant fait partie de la majorité présidentielle pendant tout le quinquennat, quelque soit le vainqueur de la présidentielle, et qu’il n’y ait pas plus à gagner en espérant bénéficier une nouvelle fois de l’effet d’entraînement, sur des élections législatives au scrutin toujours majoritaire, d’une éventuelle réélection d’Emmanuel Macron en 2022.

Dans ce cadre, c’est-à-dire tant que le MoDem n’est que peu de chose sans le soutien présidentiel – et en tout cas pourrait représenter moins de 58 députés et 5 ministres - Emmanuel Macron aurait en main des clés de négociation qui devraient lui permettre de ne pas se faire trop de soucis.

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