Emmanuel Hirsch : la mort comme dernier acte du soin interroge la Médecine<!-- --> | Atlantico.fr
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Le livre d'Emmanuel Hirsch, "Soigner par la mort est-il encore un soin ?", est à retrouver aux éditions du Cerf.
Le livre d'Emmanuel Hirsch, "Soigner par la mort est-il encore un soin ?", est à retrouver aux éditions du Cerf.
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Atlantico Litterati

Emmanuel Hirsch publie "Soigner par la mort est-il encore un soin ?" aux éditions du Cerf.

Annick Geille

Annick Geille

Annick GEILLE est journaliste-écrivain et critique littéraire. Elle a publié onze romans et obtenu entre autres le Prix du Premier Roman et le prix Alfred Née de l’académie française (voir Google). Elle fonda et dirigea vingt années durant divers hebdomadaires et mensuels pour le groupe « Hachette- Filipacchi- Media » - tels Playboy-France, Pariscope et « F Magazine, » - mensuel féministe (racheté au groupe Servan-Schreiber par Daniel Filipacchi) qu’Annick Geille baptisa « Femme » et reformula, aux côtés de Robert Doisneau, qui réalisait toutes les photos d'écrivains. Après avoir travaillé trois ans au Figaro- Littéraire aux côtés d’Angelo Rinaldi, de l’Académie Française, AG dirigea "La Sélection des meilleurs livres de la période" pour le « Magazine des Livres », tout en rédigeant chaque mois pendant dix ans une chronique litt. pour le mensuel "Service Littéraire". Annick Geille remet depuis sept ans à Atlantico une chronique vouée à la littérature et à ceux qui la font : « Atlantico-Litterati ».

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Emmanuel Hirsch- professeur d’éthique médicale à l’université Paris-Saclay, membre de l’académie nationale de médecine, auteur de nombreux essais,  examine « le modèle français » d’assistance active à mourir, qui doit être débattu à l’Assemblée Nationale le 27 mai. Emmanuel Macron s’en  est expliqué et  de nombreux spécialistes ont pris la parole pour défendre ou pourfendre ce projet. Dans cette perspective, l’essai  que publie Emmanuel Hirsch : « Soigner par la mort est-il encore un soin ? » (éd. du Cerf)  fait événement. Nous sommes tous concernés Empreint d’une vraie science et d’une véritable noblesse, ce traité d’humanisme fait réfléchir.

La loi du 31 juillet 1991 introduisit en France les soins palliatifs dans la liste des missions de tout établissement de santé ; les soins palliatifs sont "des soins actifs et continus prodigués par une équipe interdisciplinaire en institution ou à domicile. Ils visent à soulager la douleur, à apaiser la souffrance psychique, à sauvegarder la dignité de la personne malade et à soutenir son entourage". «Face à la souffrance d’autrui, il faut  d’abord poser un interdit de l’indifférence», rappellent les partisans du futur projet de loi tel qu’il fut présenté dans la presse par Emmanuel Macron, afin d’ améliorer la loi Claeyz-Leonetti (cf. En 2012, François Hollande avait fait la promesse d’améliorer la loi Leonetti. Les députés Alain Claeys (PS) et Jean Leonetti (UMP) aboutirent ainsi à l’écriture de la « loi Claeys-Leonetti » présentée en 2015 et votée le 27 janvier 2016 (source JDD) (« Le 2 février 2016, la loi Claeys-Leonetti crée denouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie. Les directives anticipées sont revalorisées, elles n’ont plus de condition de durée et elles deviennent contraignantes pour le médecin, sauf casexceptionnel. Le rôle de la personne de confiance est renforcé. La loi ouvre également la possibilité pour lepatient de demander l’accès à une sédation profonde et continue jusqu’à son décès. L’accès à ce droit est encadré par des conditions très strictes : le patient doit souffrir de façon insupportable et son décès doit être reconnu comme inévitable et imminent. »

Or, affirme Emmanuel Macron en ce mois de mars 2024, cette loi ne permet pas de « traiter des situations très difficiles humainement parlant, concernant la douleur du patient et sa dignité face à cette souffrance. » C’est dans cet esprit que le chef de l’Etatpropose « L’aide à mourir ».« Les participants à la convention citoyenne sur la fin de vie se sont prononcés, dimanche 19 février, en faveur d’une évolution de la loi pour une « aide active à mourir », lors d’un vote au Conseil économique, social et environnemental (CESE). A l’issue de près de trois mois de débats, 84 % d’entre eux ont estimé que le « cadre d’accompagnement de la fin de vie » ne répondait pas « aux différentes situations rencontrées », lors d’un vote en plusieurs étapes sur « les orientations de réponse à la question de la première ministre ».

A la question : « L’accès à l’aide active à mourir doit-il être ouvert ? », 75 % ont voté « oui », selon les résultats du scrutin retransmis en direct depuis le CESE, où la convention citoyenne est réunie à l’appel du gouvernement.

Certes il s’agit de respecter la volonté du malade condamné, dit Claire Fourcade- présidente de la Société française d’accompagnement et de soins palliatifs (Sfap)  mais le texte permettra le geste létal ; un proche du patient pourra- ainsi que des infirmiers ou médecin « faire mourir »;même si les termes « suicide assisté » et « euthanasie » sont soigneusement évités, la volonté affirmée du président de la République d’aller au-delà de la loi Claeys-Leonetti, qui régit aujourd’hui les conditions légales de la fin de vie, va ouvrir, en pleine campagne électorale, un débat public dont nul ne sait encore prédire le degré de violence » note de son côté Françoise Fressoz, éditorialiste au Monde.« C’est une claque », réagit Thierry Amouroux, infirmier en cancérologie et porte-parole du Syndicat national des professionnels infirmiers (SNPI) après l’annonce par le président de la République, dans une interview aux quotidiens La Croix et Libération du projet de loi qui ouvre l’accès au suicide assisté et à l’euthanasie. « Tout l’accompagnement humaniste que nous mettons en place est nié, affirme-t-il ; la main qui soigne est aussi celle qui tue».

Le « suicide assisté » sera accessible aux personnes majeures, capables de discernement et atteintes d’une maladie incurable causant des souffrances réfractaires, avec un pronostic vital engagé à moyen ou court terme.

Pour ce qui est des proches pouvant « aider à mourir », toutes les familles de France en connaissent quelques échantillons, moi, par exemple. Une merveilleuse vieille dame qui s’était fracturé le pied droit et souffrait après l’intervention se vit (je ne l’ai appris que par le proche « aidant à mourir » trois ans plus tard) administrer beaucoup de morphine, voire un peu trop de morphine…Pendant les obsèques, les familles ont les larmes aux yeux. Le fils de cette vieille dame se confia à moi un soir, m’avouant qu’il avaitbénéficié de l’aide d’un ami soignant car « il ne pouvait imaginer sa mère dans un fauteuil roulant. » (sic) Quelques années plus tard,une fille unique me confia qu’elle avait -elle aussi- demandé l’augmentation de certaines doses de morphine car sa très vieille « maman » « souffrait trop ». La fifille attendait de prendre possession de la maison maternelle et cela commençait à être un peu long. Par définition « la vieille », le « vieux »incarnentune charge, un poids mort ; leur vie est derriere eux, mieux vaut les aider à quitter ce monde en douceur, sans douleur pour eux, les patients, ni problèmes pour l’entourage. Bref, les vieux sont supprimés en douce partout en France (secret bien gardé ) depuis que la morphine existe.

A présent que la loi va donner à chacun une sorte d’absolution, les vieux vont s’assoupir comme des mouches dans les hôpitaux et maisons de retraite.Déjà que ces « endormissements» avaient lieu en toute quiétude dans la France de papa, qu’est-ce que cela va être à présent, avec «  l’aide active à mourir » !

Annick GEILLE

Repères - Emmanuel HIRSCH (souces Babelio)

Né(e) à : Bordeaux , le 25/05/1953, Emmanuel Hirsch est professeur des universités, directeur de l'Espace éthique de l'Assistance Publique-Hôpitaux de Paris et de l'Institut Éthique et soins hospitaliers ; Emmanuel Hirsch fait partie des quelques spécialistes qui suivent ces questions depuis les années 1980, via son parcours professionnel et ses engagements associatifs. Il est directeur du Département de recherche en éthique (Université Paris-Sud 11), coordinateur du réseau de recherche en éthique médicale (INSERM), président de l'Association nationale de recherche sur la sclérose latérale amyotrophique (ARS), vice-président du Centre de recherche et de formation sur l'accompagnement de fin de vie (CREFAV).

Extrait d’une interview d’Emmanuel Hirsch réalisée par Agnès Leclair et publiée en 2023 dans « le Figaro » :

Agnès Leclair : Les citoyens réclament un droit opposable aux soins palliatifs. Cette demande est-elle applicable?

Emmanuel Hirsch :« Je préfère évoquer la notion d’engagement opposable à celle de droit opposable. Car le soin est un acte d’humanité qui relève de valeurs d’une autre signification que l’application de la règle de droit. Les soignants, qui se sont exprimés ces derniers mois en des termes d’autant plus significatifs que l’on sait dans quelles conditions dégradées ils assument leur fonction, nous ont rappelé ce qui était inconciliable avec la vocation du soin. Lorsque la personne implore qu’on lui administre une euthanasie, la tentation serait parfois d’y consentir lorsque les conditions d’un soin digne ne sont pas à la hauteur des attentes. C’est pourquoi il ne s’agit pas de se demander si le droit opposable aux soins palliatifs est applicable ou non. Le véritable enjeu, parfaitement identifié par les conventionnels, est celui de bénéficier d’un environnement humain, social et médico-social favorable à un cheminement dans ce parcours existentiel de la maladie. »ment légiférer ?

6)Œuvre d’Emmanuel HIRSCH ( source Wikipedia)

Devoir mourir digne et libre, Paris, Cerf, 2023.Une éthique pour temps de crise, Paris, Cerf, 2022.Une démocratie endeuillée.Pandémie, premier devoir d'inventaire, Toulouse, Erès, 2021.Une démocratie confinée. L'éthique quoi qu'il en coûte, Toulouse, Eres, 2021, Pandémie 2020. Éthique, Politique, société, Collectif., (direction de l’ouvrage), Paris, Cerf [2020, Vincent Lambert. Une mort exemplaire ?, Paris,  2020 Mort par sédation. une nouvelle éthique du bien mourir, ? Erès, 2016 Le Soin, une valeur de la République, Paris, Les BellesLettres, 201Fin de vie. Le choix de l’euthanasie, Paris, Le Cherche midi, 2014L’Euthanasie par compassion ? Manifeste pour une fin de vie dans la dignité, Toulouse, Erès, 2013, rééd. 2015 La Maladie entre vie et survie, Bruxelles de Boeck, 2013 L’Existence malade. Dignité d’un combat de vie, Paris, Cerf, 2010 Pandémie grippale ; L’ordre de mobilisation, collectif Cerf, 2009 , Apprendre à mourir, Paris, Grasset2008, L’Éthique au cœur des soins, Paris, Vuibert, 2006 L’Éthique à l’épreuve de la maladie graveConfrontations au cancer et à la maladie d’Alzheimer, Paris, Vuibert, 2005, Le Devoir de non-abandon. Pour une éthique hospitalière et du soin, Paris, Cerf, 2004.La Révolution hospitalière. Une démocratie du soin,Paris, Bayard, 2002 Soigner l’autre.L’éthique, l’hôpital et les exclus, Paris Belfond, 1997 Responsabilités humaines pour temps de sida,Paris, Lesempêcheurs de penser en rond, 1994, Accompagner jusqu’au bout de la vie, avec Michèle Salamagne, Paris, Cerf, 1992 AIDES. Solidaires, Paris, Cerf, 1991 Médecine et éthique. Le devoir d’humanité, Paris, Cerf, 1990, La force de l’esprit, avec Claude Bruaire, Paris, Descléede Brouwer, 1986,La forza dello spirituo, avec Claude Bruaire, Rome, Mila, G. Giappichelli, 1990, Partir. L’accompagnement des mourants, Paris, Cerf/1986, quatre éditions.Soigner l’autre. L’éthique, l’hôpital et les exclus, Paris-Belfond, 1997

Extrait « Soigner par la mort est-il encore un soin ? » par Emmanuel Hirsch/Editions du Cerf

PROVOQUER DELIBEREMENT LA MORT : un acte médical ?

« Le projet de loirelatif à l’accompagnement des malades et de la fin de vie propose de dépénaliser de façon expresse l’aide à mourir » quand bien même ses détracteurs invoquentune interprétation de l’article 122-4 du Code pénal qui aurait pu les dégager de cette précaution dès lors «  qu’il dispose déjà que « n’est pas pénalement responsable la personne qui accomplit un acte prescrit ou autorisé par des dispositions législatives ou règlementaires. »

La possibilité de bénéficier de l’administration d’une substance létale

En pratique, quelles seront les conséquences inévitables d’une évolution législative sur la déontologie médicale,sur l’engagement et la relation dans l’accompagnement et le soin ?

Pourétayer mes hypothèses, je me réfèrerai encore au seul document officiel accessible début 2024 : le projet de loi relatif à l’accompagnement des malades et de la fin de vie du 6 octobre 2023. Ses détracteurs affirment – comme s’il s’agissait d’une évidence indiscutable, là où nous sont imposés un saut conceptuel et « un glissement éthique majeur »- que « l’aide à mourirs’inscrit dans la continuité des droits des patients énoncés à l’article L 1110-5 du Code de la santé publique, qui dispose que toute personne a le droit d’avoir une fin de vie digne et accompagnée du meilleure apaisement possible de la souffrance. Les professionnels de santé mettent en œuvre tous les moyens à leur disposition pour que ce droit soit respecté, sans être elle-même qualifiée de droit ». Cette aide ouvre à la personne en fin de vie la possibilité de bénéficier de l’administration d’une substance létale. L’administration de cette substance est par principe réalisée par la personne elle-même. »

Précisons cependantque l’article L.110-5 a été revu à la suite du vote de la loi du 2 février 2016 créant de nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie. Sa signification est détournée dès lors que le texte est tronqué dans l’interprétation qui en est tirée. En effet l’article L.110-5-3 n’évoque en rien une « aide » assimilée à l’administration d’une substance létale : « toute personne a le droit de recevoir des traitements et des soins visant à soulager sa souffrance. Celle-ci doit être, en toutes circonstances, prévenue, prise en compte, évaluée et traitée. Le médecin met en place l’ensemble des traitements analgésiques et sédatifs pour répondre à la souffrance réfractaire du malade en phase avancée ou terminale, même s’ils peuvent avoir comme effet d’abréger la vie ».

En quelques lignes, levant tout obstacle à une interprétation extensive- en l’occurrence fallacieuse- d’un texte qui n’apas été rédigé à cette fin, les auteurs du projet de loi en concluent que « le texte introduit une exception d’euthanasie sans la nommer : si la personne est en incapacité physiquedes’auto-administrer la substance létale, un tiers peut la lui administrer. »Il s’agit bien de légitimer la notion d’exception d’euthanasie » qui, pensée, façonnée et en quelque sorte validée par les instances d’éthique ou de déontologie à travers un travail d’élaboration depuis 2000, ne peut pas aujourd’hui leur permettre d’émettre la moindre réserve.

Dans l’hypothèse d’une évolution disruptive que provoquerait dans le champ de l’éthique médicale la légalisation de l’aide à mourir, l’article R.4127-38 du Code la santé publique devrait alors être modifié, abolissant l’un des principes cardinaux de la déontologie médicale : « Le médecin n’a pas le droit de provoquer délibérément la mort ». Car alors le médecin sera en en effet doté du droit de « provoquer délibérement la mort »…(Emmanuel Hirsch (pages 82 à 86/ »Soigner par la mort est-il encore un soin ? »)

Copyright Emmanuel Hirsch / « Soigner par la mort est-il encore un soin ? »(CERF) / 160 pages / 18euros / toutes librairies et « La Boutique »

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