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Dans quelle mesure les électeurs de Mélenchon votent-t-il contre leurs intérêts ?
Dans quelle mesure les électeurs de Mélenchon votent-t-il contre leurs intérêts ?
©STEPHANE DE SAKUTIN / AFP

Réalité du programme

Dans quelle mesure les électeurs de Jean-Luc Mélenchon votent-t-il contre leurs intérêts en votant pour un programme dont ils vont être parmi les premiers à souffrir ?

Pierre Bentata

Pierre Bentata

Pierre Bentata est Maître de conférences à la Faculté de Droit et Science Politique d'Aix Marseille Université. 

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Atlantico : Dans quelle mesure les électeurs de Jean-Luc Mélenchon et de la NUPES font-ils preuve d’une part de masochisme en votant pour un programme dont ils vont être parmi les premiers à souffrir ?

Pierre Bentata : Je ne pense pas qu’ils soient masochistes, je pense que c’est lié à un défaut de compréhension des mécanismes économiques. D’abord parce que la NUPES présente des mesures comme simples alors qu'elles ont des effets compliqués et potentiellement contre-intuitifs. A côté de ça, nous avons un goût des électeurs pour les solutions faciles. Ce cocktail fait que les électeurs sont prêts à voter pour des choses qui vont clairement contre leurs intérêts. Prenons plusieurs exemples : 

La fiscalité sur le capital. Toutes les études empiriques montrent que jouer sur la fiscalité sur le capital n’a pas un effet de levier très fort, saut à toucher à l’IS. Si on l’augmente cela a des effets délétères sur l’activité, et inversement si on le baisse.  De même pour les impôts de production.

Il en va de même pour les charges. Les effets qu’on observe montre qu’agir sur les charges marche sur les bas salaires. Donc on devrait chercher à baisser les charges sur les bas salaires, mais pour ça encore il faut avoir lu sur le sujet.

La fameuse relance keynésienne où l’on injecte 250 milliards et il en sort 287 en recette fiscale. Évidemment quand il dit, mettre de l’argent crée de l’activité donc plus de recettes fiscales, en théorie c’est vrai.  Même si les keynésiens eux-mêmes disent que ça augmente l’activité sans nécessairement augmenter les recettes fiscales. Là encore, il faut bien connaître la théorie pour savoir que la relance keynésienne fonctionne sous deux conditions : une période de crise, avec l’absence d’inflation, chômage, récession et baisse de prix ; et surtout il faut être en économie fermée, sans quoi la relance bénéfice à l’extérieur.

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Sur la retraite à 60 ans, il explique que cela va créer 830 000 emplois de plus, c’est vrai à une condition. Que les gens qui arrivent aient des compétences parfaitement identiques à ceux qui partent à la retraite. Or nous avons déjà, à l’heure actuelle, une pénurie de compétences. Donc en France, la retraite à 60 ans crée une baisse de la productivité des entreprises et une augmentation des prix.

Sur le blocage des prix, c’est une très bonne idée. A la condition que ce blocage soit dû uniquement à la capacité des entreprises à faire du profit sur notre dos. Si c’est lié à des contraintes sur les chaînes d’approvisionnement, des goulots d’étranglement, etc. cela interdit aux entreprises de gagner de l’argent sur leur stock. Et si elles ne peuvent plus augmenter les prix, elles cessent de vendre. Donc en voulant favoriser les plus pauvres on crée de la pénurie et seuls ceux qui peuvent acheter à des prix non bloqués peuvent s’en sortir.

Tout cela a des effets délétères sur les plus pauvres. Mais pour le comprendre il faut bien comprendre les circuits économiques. Je ne pense pas que ce soit du masochisme. Je pense que de bonne foi, ils ont le sentiment qu’on leur propose quelque chose de nouveau et de courageux.

Quand plus de 170 économistes donnent leur bénédiction au programme de la NUPES, ils ont la culture économique, qu’est-ce qui explique leur position ? Et celle des élites pro-NUPES au sens large ?

Ces économistes ne se prononcent pas sur le terrain de l’économie mais par idéologie pure. D’ailleurs si l'on regarde les travaux de Piketty, Saez ou Zucman, aucun de ces derniers ne va dans le sens des travaux de Jean-Luc Mélenchon. Rien ne confirme ce que dit Mélenchon. Donc eux savent, mais ils agissent par idéologie, non selon des principes économiques. Ils sont prêts à des sacrifices pour faire avancer leurs idées.

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Ceux qui comprennent l’économie et qui votent pour Jean-Luc Mélenchon, sont probablement aveuglés par l’idéologie. Ils savent que Mélenchon raconte n’importe quoi, mais se disent qu’ils verront plus tard comment réagir. Sans doute, plus cyniquement, ces élites pensent – à juste titre – qu’elles ne seront pas les premières touchées. Et la confiance qu’ils montrent au programme cyniquement tend à le crédibiliser pour ceux qui vont vraiment en pâtir.

Dans quelle mesure les électeurs de Jean-Luc Mélenchon votent-t-il contre leurs intérêts sur d’autres sujets ? Et notamment sur leur mode de vie ?

Pour commencer, sur l’Europe. Jean-Luc Mélenchon fait une analogie trompeuse avec un banquier à qui l’on tordrait le bras. Mais ça ne peut pas bien se passer. C’est pareil pour l’Europe, en faisant cela, on se prive progressivement des différentes institutions, on entre en confrontation avec les autres pays-membres. A terme se pose nécessairement la question du Frexit. Et si Frexit il y a, cela signifie faillite en raison de la dette. Cela nous placera dans la situation des années 1990 en Argentine.

Concernant le mode de vie, d’un point de vue économique. Cela se traduirait par une explosion du prix de certaines activités -loisirs et services notamment -, une explosion des prix de l’énergie et plus largement des prix. A horizon un an, cela signifie une explosion du chômage. Et il faudra d’autres croyances pour ne pas blâmer Jean-Luc Mélenchon. Après rétablissement de l’impôt sur la fortune,  quand ils verront que les douze millions qu’ils devaient récolter n’y sont pas, ils se rendront que les promesses faites étaient vaines. Si on dit qu’au-dessus de 400 000 euros, on prend tout, plus personne ne va dépasser. Il faut s'en référer à la théorie du public choice, puisqu’ils n’ont pas d’impact sur ce qu’il se passe, les gens votent pour celui qui fait le plus de promesses. Pour l’énergie, il suffit de regarder la situation de l’Allemagne pour voir ce que la France sera obligée de faire s'il suit la politique de Jean-Luc Mélenchon ; trouver des partenaires d’énergies fossiles, rouvrir des centrales à charbon ou se vendre à la Russie. Garder le nucléaire présente des défis, mais s’en passer signifie une économie plus sale et plus dépendante. 

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