Mandela, Kadhafi... Les vrais-faux courriers d'Edwy Plenel <!-- --> | Atlantico.fr
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Les lettres que diffuse le site d'information Mediapart sont-elles toutes authentiques ?
Les lettres que diffuse le site d'information Mediapart sont-elles toutes authentiques ?
©Reuters

Bidonnage ?

Edwy Plenel, le patron de Mediapart, a des problèmes de courrier. Parfois, les lettres qu’il reçoit et diffuse sont authentiques, parfois pas. Pour le public, ça peut tout de même être un peu ennuyeux.

Hugues Serraf

Hugues Serraf

Hugues Serraf est écrivain et journaliste. Son dernier roman : La vie, au fond, Intervalles, 2022

 

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Moi je suis bon public. Un rien m’amuse. Même l’une de ces vidéos YouTube un peu idiotes que les gens vous envoient du boulot pendant qu’ils font semblant de travailler. Là, le dernier truc dans le genre qui m’ait fait marrer, ce n’était pas sur YouTube mais sur France Culture et Mediapart. Excusez du peu. C’est tout de même plus classe qu’une vidéo de chaton qui se casse la figure.

En même temps, ça m’a amusé parce que je suis parfois un poil cynique et que, pour le coup, il s’agissait de sujets sérieux garantis 100% sans chatons patauds. Mais bon, on peut bien rire de tout entre gens de bonne compagnie. Donc, venons-en au fait. L’autre jour sur France Culture, qui est ma station de radio préférée et à peu près ma seule raison de ne pas mentir au fisc pour ne pas payer la redevance audiovisuelle, je tombe sur le billet hebdo d’Edwy Plenel, le fondateur de Mediapart qui ressemble à Tom Selleck.

Il parle de la mort de Nelson Mandela, ce qui est normal parce qu’elle vient de se produire, que tout le monde est triste et que même Hollande et Sarkozy se sont réconciliés pour aller lui rendre un dernier hommage conjoint. Mais Plenel, une fois sa propre tristesse évoquée, ne peut pas s’empêcher de digresser sur Israël parce que la dernière mode dans de nombreux cercles, c’est de dire que ce petit pays de rien du tout pratique « l’apartheid » comme l’Afrique du Sud en son temps. C’est ce qui permet le lien. Ou le  « linkage », comme disait Arafat au moment de la première guerre du Golfe (oui, moi aussi j’aime bien digresser).

Bon, après tout, c’est un point de vue. D’autres le partagent, comme par exemple l’humoriste Dieudonné ou le philosophe Soral (c’est pour rire, vous aussi soyez bon public, je ne mélange tout de même pas pour de vrai le type qui nous a tant fait vibrer dans dix saisons de Magnum et La face cachée du Monde avec ces deux hurluberlus). Donc, Edwy Plenel digresse de Mandela vers Israël et cite longuement une lettre de l’ancien président Sud-Africain à Thomas Friedman, un journaliste du New York Times dont la seule mention du patronyme et du job doit faire frétiller sur leur chaise les antisionistes (j’ai bien dit les antisionistes).

Lu dans le Gorafi ou dans le Figaro ?

La lettre est carabinée. Elle dit en gros que ce qui se passe en Israël, c’est exactement comme l’apartheid (tiens donc), qu’Israël n’est pas un État normal, que les Israéliens sont des racistes, qu’ils torturent, qu’ils emprisonnent, bref, que ce pays est responsable de véritables crimes contre l’humanité et qu’il faudrait faire un seul État pour que tout le monde respire enfin (je paraphrase pour aller vite parce que je dois aller au cinéma voir la deuxième partie du Hobbit et que je risque de louper le début mais vous pouvez lire la lettre qui est en lien un peu plus haut).

Le problème, et c’est là où c’est aussi rigolo qu’une vidéo de chaton qui se prend les pieds dans le tapis, c’est que cette lettre est totalement bidon, que tout le monde ou presque est au courant depuis des lustres et qu’elle a en fait été rédigée par un journaliste nommé Arjan El Fassed il y a une dizaine d’années, ce que ce dernier admet parfaitement, et qu’il s’agit d’un « mock memo », une parodie, quoi ! Un truc qu’on pourrait lire dans Le Gorafi, si vous préférez.

Mais Edwy Plenel ne lit pas Le Gorafi parce qu’il est très pris avec France Culture et Mediapart et ça, patatras, il ne le sait pas. Il s’est laissé avoir comme un bleu, quoi ! Comme l’un de ces journalistes stagiaires du Web à qui l’on crie « old ! » pour l'humilier gentiment lorsqu’il croit qu’un buzzfeed sur une femme à deux têtes trouvée dans une poubelle de la banlieue d’Auckland est une news alors que c’est un vieux truc qui n’est même pas vrai...

Alors, vous savez comment sont les gens désormais, méchants comme la peste ! Sur Twitter, qui est un peu le nouveau Croissant, ce café près de la Bourse où se réunissaient les journalistes d’antan et où l’on assassinait les grandes figures de la gauche, Plenel se fait incendier : « Ah, il est beau le fact-checker, le pourfendeur du journalisme assis ! Le voilà qui balance des faux documents dans le poste et il ne s’excuse même pas ! ».

Et la lettre du pognon libyen de Sarko ?

Il faut dire que ça tombe au mauvais moment, cette affaire, parce que Médiapart est justement en train de se faire taper dessus par les confrères au sujet d’une autre lettre, écrite par un Libyen pour le coup, et qui pourrait elle aussi être un faux (mais là, on ne sait pas encore pour de bon, on suppute seulement). L’ancien président, celui qui était en Afrique du Sud avec Hollande pour rendre hommage à Mandela (tout se tient, on vous dit !), aurait touché du pognon de Kadhafi, la lettre en serait la preuve, etc. Mais bing, comme la correspondance de Mandela, elle aurait peut-être été écrite par un type du Gorafi de Tripoli...

Ah, il est mal, Plenel ! Mais parce qu’il faut tirer cette affaire au clair (la première, pas la seconde qui est trop piégée pour un type comme moi), je tente bien de contacter mon auguste confrère sur Twitter, mais il n’a pas le temps de me répondre parce qu’il est trop occupé à relever le courrier. Heureusement, Jean-Sébastien, le boss d’Atlantico, a son numéro de portable parce qu’il connaît à peu près tout le monde à Paris et me le file :

― Allô Edwy Plenel ?
― Oui...
― Bonjour c’est Hugues Serraf à l’appareil...
― Ah bonjour Hugues ! Ça boume ?

[Note : il ne dit pas vraiment ça, il ne sait pas vraiment qui je suis mais il aurait pu]

― Dites-donc, c’est pas joli-joli, cette histoire de lettre bidon !
― Ah mais elle n’est pas bidon du tout, nous avons toutes les preuves, ce n’est pas du tout un document falsifié, la campagne de Sarkozy a bien été financée par...
― Du calme, du calme, Ed... Je parle de la fausse lettre de Mandela sur France Culture. Tout le monde se moque de vous sur les rézosocios depuis trois jours, c’est la teuh-hon...
― Ah oui, ça... Je suis désolé, j’ai trébuché...
― Ça la fout mal tout de même, écrire un billet sans vérifier ses infos, pour le patron du nouveau Vieux Cordelier...
― C’est vrai...

Là, il a la voix un peu triste et je ne veux pas l’accabler davantage parce qu’on ne tire pas sur un homme à terre même si Bergson, dans Le Rire, explique que c’est justement ça qui fait rigoler, quand quelqu’un se casse la figure ­― ou alors un chaton sur YouTube, par exemple.

― Bon mais vous n’allez pas vous excuser, dire que vous avez été un peu léger ?
― Oui bien sûr, pas plus tard que demain, je vais écrire que je suis désolé sur mon blog mais que...
― Mais que quoi ? Il y a un mais ?
― Mais que tout de même, sur le fond...
― Sur le fond, Israël est vraiment un État d’apartheid ?
― Nooon... Mais disons de... de séparation...
― C’est pas la même chose ?
― Non... oui... mais tout de même. Bon, de toute manière je vous envoie un lien vers mon blog dès que j’ai fini mon explication et mes excuses au public. Vous verrez bien...
― Bon, OK, ça ira pour cette fois, mais j’espère que la lettre des libyens, celle-là...
― Non !

Mais punaise, tout de même, cette histoire, ça la fout mal... On ne sait vraiment plus à quel Saint-Just se vouer.

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