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©MEHDI FEDOUACH / AFP

Absurde

Il est grand temps de supprimer l'objectif de réduire de 50% l'usage des pesticides, un élément absurde du (des) plan(s) Écophyto.

André Heitz

André Heitz

André Heitz est ingénieur agronome et fonctionnaire international du système des Nations Unies à la retraite. Il a servi l’Union internationale pour la protection des obtentions végétales (UPOV) et l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (OMPI). Dans son dernier poste, il a été le directeur du Bureau de coordination de l’OMPI à Bruxelles.

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Une annonce piètrement expliquée, source de récriminations

Le jeudi 1er février 2024, le Premier Ministre Gabriel Attal a annoncé la « mise en pause » (ou « à l'arrêt » selon certains médias) du plan Écophyto. Raison : « le temps de mettre en place un nouvel indicateur et de reparler des zonages » selon la France Agricole.

« Nous souhaitons que ce travail aboutisse d’ici au Salon de l’Agriculture », a précisé le Premier Ministre. Mais il n'est pas très sérieux de prétendre trouver en trois semaines un nouvel indicateur pour l'élément emblématique d'Écophyto, devenu un totem, qu'est la réduction de 50 % de l'usage des pesticides.  Un indicateur qui fasse l'affaire et qui recueille sinon l'assentiment, du moins le minimum de critiques, de « parties prenantes » aux objectifs et intérêts disparates.

Prétendre... ou même s'engager à le faire selon les ministres directement concernés qui, à défaut de faire de la pédagogie, se sont employés à éteindre les incendies... en rajoutant du combustible ! Ainsi, selon le ministre de l'Agriculture (et de la Souveraineté Alimentaire) Marc Fesneau, « Nous allons donc remettre sur l’ouvrage le plan Ecophyto, le mettre en pause le temps d’en retravailler un certain nombre d’aspects, de le simplifier ».

Des cris d'orfraie, il y en eut ! Pas dans les campagnes, la profession agricole ayant été aussi pauvre dans sa communication que le gouvernement, pour ne pas dire quasiment silencieuse ; sauf du côté de la Confédération Paysanne, qui est depuis longtemps enrôlée dans la contestation altermondialiste, etc. Mais dans les milieux urbains, où les pesticides jouissent, si on peut dire, d'une sinistre réputation. En réponse, le ministre de la Transition Écologique Christophe Béchu a tenté de faire la calinothérapie.

C'est à qui décroche le pompon des outrances entre certaines mouvances politiques, des entités incorporées sous forme d'associations (certaines financées par des milieux économiques ayant intérêt à voir les pesticides vilipendés) et les médias qui peinent à restreindre l'empiètement du militantisme sur l'information.

C'est dans une chronique d'un journal influent, donc l'expression d'une opinion : « Le réarmement chimique de l'agriculture ». Selon un article du même auteur, « la suspension du plan » est qualifiée par « les ONG environnementales » de « recul historique » et de « signal désastreux ». C'est, certes, de l'information sous la forme de propos rapportés et mis en exergue, mais cela aurait bien mérité une mise en perspective. Notons que « suspension » n'a pas le même sens que « pause » et qu'un l'article défini implique que toutes les ONG sont vent debout.

Une longue marche vers nulle part

Écophyto, plus précisément Écophyto 2018, est un des produits du Grenelle de l'Environnement (septembre-décembre 2007, le prix ou pizzo qu'a payé M. Nicolas Sarkozy pour s'attirer la bienveillance des milieux écologistes, et plus particulièrement de l'alors influentNicolas Hulot, lors de la présidentielle. 

L'ambition affichée et validée en Conseil des Ministres avait été de réduire de 50 % la fréquence de traitement avec des pesticides en 10 ans, un ministre de l'Agriculture alors clairvoyant , M. Bruno Le Maire, ayant fait ajouter : « si possible ». Il était aussi prévu de retirer du marché les substances les plus préoccupantes.

Le deuxième objectif était plus facile à atteindre : il relève en grande partie de décisions administratives. Les impressionnants résultats restent largement méconnus, et pour cause : admettre un succès pour les lobbies anti-pesticides, c'est se priver d'un élément de durabilité du fond de commerce, le plus anxiogène !

En moyenne triennale – plus fidèle à la réalité, les ventes de pesticides étant en grande partie tributaires des conditions agro-météorologiques – les ventes de produits « honnis » ont baissé de 9,1 % en 2018-2020 par rapport à 2009-2011, premier triennal du plan Écophyto. Mais les ventes de produits utilisables en agriculture biologique et les produits de biocontrôle ont bondi : + 93 % ; certaines substances, comme le cuivre, le soufre, l'huile de neem (l'azadirachtine) et le spinosad, ne sont pourtant pas dénués d'effets sur la santé et l'environnement. Mais ils sont, dit-on, NA-TU-RELS et pas de synthèse.

Pour les substances classées – sur la base du danger et non des risques – cancérigènes, mutagènes ou reprotoxiques avérées (CMR1) ou suspectées (CMR2), il y a du flou dans les statistiques du ministère de l'Agriculture. Pour les CMR2, on peut estimer la baisse à quelque 50 % sur la période considérée. Pour les CMR1, c'est plus compliqué (il y a eu des achats anticipés en 2018 pour échapper à l'augmentation de la redevance pour pollutions diffuses).

L'échéance approchant, sans le résultat espéré, un plan Écophyto 2 est publié le 26 octobre 2015 par un courageux ministre de l'Agriculture. 

L'échéance du -50 % est reportée à 2025. Il y avait une étape intermédiaire à -25 % en 2020 qui devait reposer « sur la généralisation et l’optimisation des systèmes de production économes et performants actuellement disponibles ».

Ce ministre, c'est M. Stéphane Le Foll, grand chantre de l'« agro-écologie » dont on attend toujours une définition précise et opérationnelle, au-delà des incantations selon lesquelles ce système est agronomiquement merveilleux, économiquement extraordinaire, environnementalement formidable et socialement miraculeux.

Pour l'indicateur, le document précité anticipe sur la propension macronienne au « en même temps » : d'une part, « Les indicateurs de suivi développés dans le précédent plan Ecophyto sont conservés » (nombre de doses-unité (NODU), quantités de substances actives (QSA), indicateur de fréquence de traitements (IFT)) ; mais d'autre part : « À l’occasion de la consultation du public, il est apparu nécessaire d’améliorer le suivi des effets des produits phytosanitaires. Le Gouvernement proposera un nouvel indicateur qui prend en compte les quantités de substances actives vendues pondérées par leurs effets évalués sur la santé humaine et l’environnement. En concertation avec les parties prenantes, l’indicateur de référence sera le NODU ou le nouvel indicateur. » 

Ce sera le NODU.

Écophyto 2 (ou II) devint Écophyto 2+ (ou II+) en novembre 2018 en intégrant un plan d’actions du 25 avril 2018 sur « les produits phytopharmaceutiques et une agriculture moins dépendante aux pesticides » et un « plan de sortie du glyphosate » du 22 juin 2018. L'évolution s'est faite, M. Stéphane Travert étant ministre de l'Agriculture et de l'Alimentation. Et le nouveau plan a été officialisé lors des premiers jours de M. Didier Guillaume, qui nous aura laissé comme souvenir indélébile la promotion de l'agriculture « biodynamique », liée à l'anthroposophie.

Ce « plan de sortie » est la réponse à un tweet maintenant célèbre du président Emmanuel Macron de novembre 2017, une réaction au mieux malencontreuse et en fait irresponsable à la décision de l'Union Européenne de renouveler l'autorisation du glyphosate pour cinq ans.

Hélas, trois fois hélas, ce qui devait arriver n'arrivait toujours pas... Et, dans le cadre du Green Deal, du Pacte Vert, l'Union Européenne s'était engagée en 2021 dans un ambitieux projet qui devait rendre la réduction de l'usage des pesticides contraignante pour les États membres, le règlement sur l'utilisation durable des pesticides (son nom officiel est plus compliqué).

Écophyto a donc été remis sur le tapis en 2023. C'est maintenant Écophyto 2030.

L'ambition initiale a été de coordonner l’action de la France avec celle de l’Union européenne. Il n'était donc pas prévu de fixer des objectifs nationaux de réduction. Cela fit bien sûr des mécontents...

Voici les propos tenus par le président Emmanuel Macron au Salon de l'Agriculture de l'année dernière : « Pourquoi demander à nos agriculteurs des efforts que les voisins n’ont pas à faire ? On a eu récemment des décisions qui sont un peu tombées trop brutalement, on a mis des agriculteurs face à des oukases, sans solution. »

Mais le règlement européen a été rejeté par le Parlement dans un sursaut de réalisme et de pragmatisme... et, pour autant que nous ayons bien compris, l'objectif de réduction a été maintenu dans Écophyto, mais pour 2030, avec toujours le NODU comme indicateur.

La querelle des indicateurs

Le NODU (nombre de doses unités) est le rapport entre les quantités de pesticides vendues et les surfaces traitées, aux doses maximales homologuées. Selon Terre-Net, « la France est passée d'un Nodu de 82 en 2009 à 120,3 en 2018 avant de revenir à 85,7 en 2021 ».

Mais le NODU ne tient pas compte de la dangerosité des substances et ne reflète pas l'évolution des pratiques relativement à la santé et l'environnement. M. Marc Fesneau a déclaré le 4 février 2024 sur le plateau de LCI dans « L’invité du dimanche » : « Quand vous avez une molécule très toxique avec laquelle vous faites un seul passage, que vous la remplacez par une molécule qui ne pose pas de problèmes environnementaux ou de cancérogénicité, votre indicateur [le Nodu] se dégrade. Pourquoi ? Parce que vous faites deux passages ou trois passages. »

M. Éric Thirouin, président de l'Association Générale des Producteurs de Blé (AGPB) avait dit à peu près la même chose en conférence de presse le 17 janvier 2024 en l'assortissant d'un commentaire cinglant : « C'est une machine à baffes pondue par les ONG, acceptée par les politiques et qui nous mène dans une impasse. »

La France Agricole s'est interrogée le 5 février 2024 sur les intentions du gouvernement. Pencherait-il pour le HRI-1 (indicateurs de risque harmonisés-1) européen, qui estime le risque associé aux produits phytosanitaires vendus grâce à un système de pondération ?

Ce système est très rudimentaire, contrairement à celui développé par l'Université Cornell, l'Environmental Impact Quotient (EIQ), mais celui-ci est aussi discuté.

Problème : selon la Commission Européenne, les risques auraient été réduits de 38 % entre la moyenne de 2011-2013 et 2021. Et pour Générations Futures, le HRI-1 « fournit des évaluations absurdement incorrectes ». En bref, un indicateur qui constate une amélioration des pratiques dont on ne peut pas revendiquer la paternité ne saurait être acceptable. De plus, il maltraite certains produits utilisés en agriculture biologique (mais on peut tout à fait être sensible à ses arguments, qui proviennent en fait de la succursale autrichienne des Amis de la Terre).

Quel dilemme pour une présidence qui a fait du « en même temps » le fleuron de son action (ou de son inaction)...

Une pause opportune qui tient de l'annonce et de la gestion d'une crise

Une commission d'enquête parlementaire sur « Les causes de l’incapacité de la France à atteindre les objectifs des plans successifs de maîtrise des impacts des produits phytosanitaires sur la santé humaine et environnementale » a rendu son rapport le 21 décembre 2023. 

Elle a notamment recommandé d'« améliorer la pertinence et la réactivité des indicateurs de mesure des usages de produits phytopharmaceutiques » et de « soutenir l’adoption d’un indicateur européen de mesure des utilisations de produits phytopharmaceutiques qui soit pondéré par le risque ».

La mise en « pause » du plan Écophyto 2030 s'analyse dès lors comme une décision logique et rationnelle dont la médiatisation relève de la gestion de la crise sociale agricole. Mais répondre aux préoccupations des agriculteurs revenait à soulever des protestations dans l'autre « camp » qui, tout bien considéré, relèvent de la gesticulation.

Ainsi, le député socialiste Dominique Potier, pourtant rapporteur de la commission d'enquête, déclara-t-il le 4 février 2024 que « sur les pesticides, une contre-révolution culturelle est en cours ».

Six semaines auparavant il opinait pourtant, à juste titre, que le plan Écophyto est « comme une voiture sans pilote et sans tableau de bord, qui circule sur une route sans radar et dont les passagers passent leur temps à discuter pour savoir si la destination est pertinente ». 

Génétique, robotique, numérique

Selon une légende, le roi Knut le Grand s'est fait transporter un jour au bord de la mer et aurait ordonné à la marée de refluer. C'était pour montrer qu'il n'avait pas ce pouvoir (et non l'inverse comme on le croit souvent). 

En France, nous avons des présidents, des ministres et des administrateurs qui pensent qu'ils peuvent ordonner aux produits phytosanitaires de refluer par des « plans » décennaux qui partagent le même sort que les plans quinquennaux d'un régime qui s'est effondré. Nous en sommes à la quatrième itération !

Selon Albert Einstein, « La folie, c'est de faire tout le temps la même chose et de s'attendre à un résultat différent ! » 

Il est pourtant clair que la production agricole ne se conçoit raisonnablement qu'avec une protection des plantes assurant (pas toujours, Dame Nature n'est pas bonne...) rendement et qualité des produits ainsi que – c'est contre-intuitif – protection de l'environnement.

Le recours aux produits de protection des plantes, qu'ils soient utilisés en agriculture conventionnelle ou biologique, se réduira progressivement avec ce que M. Julien Denormandie, ministre de l'Agriculture et de l'Alimentation, fort estimé et regretté, du 6 juillet 2020 au 20 mai 2022, a appelé « troisième révolution agricole » avec un tryptique : « le numérique, la robotique et la génétique ».

En bref, le numérique affine nos connaissances, par exemple sur l'étiologie des maladies et permet un emploi de plus en plus judicieux des moyens de lutte. Mettons ici les données satellitaires permettant de fermer des portions de rampes de pulvérisateurs et d'éviter les double-doses.

La robotique est illustrée par des robots désherbeurs appliquant ponctuellement l'herbicide sur la mauvaise herbe ou utilisant par exemple des rayons laser. Ou encore des drones programmés pour ne pulvériser le produit que là où il faut. Ah oui ! Dans sa sagesse (ironie), nos législateurs ont interdit les traitements aériens...

La génétique est le champ de promesses le plus vaste avec l'augmentation de la précision et l'accélération des méthodes de sélection « classiques » grâce à la génomique ; avec les nouvelles techniques génomiques ou ciseaux moléculaires (pour autant qu'elles soient acceptées de manière pragmatique dans le cadre d'une procédure en cours au niveau européen) ; avec de nouveaux outils comme les ARN interférents assez similaires dans leur principe au vaccin contre la Covid (pour autant que...).

Et c'est sans oublier la recherche tout à fait classique de nouveaux produits de synthèse à la fois plus efficaces pour l'objectif de protection des plantes poursuivi et meilleurs du point de vue de la santé et de l'environnement. Cela suppose, bien sûr, que l'on mette fin, ou au moins un bémol, à l'hystérie anti-pesticides. Il en serait de même pour les OGM issus de la transgenèse.

Un impératif se dessine ici : faire confiance aux acteurs économiques de la filière agricole, et donc alimentaire, aux agriculteurs et à ceux qui leurs fournissent les intrants ou facteurs de production.

Les objectifs de réduction de 50 % font partie de l'hystérie et des chimères bureaucratiques. De plus, c'est pain bénit pour les contestataires de notre société qui pourront sans doute les exploiter avec succès dans le cadre de procédures judiciaires en carence de l'État. « C'est une machine à baffes... »

La réponse pragmatique et rationnelle à ces chimères : press « delete » !

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