Economie : le fardeau abyssal des Etats-Unis depuis la crise financière de 2008<!-- --> | Atlantico.fr
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L'inquiétude à la Bourse de New York lors de la crise financière de 2008.
L'inquiétude à la Bourse de New York lors de la crise financière de 2008.
©MARIO TAMA / GETTY IMAGES AMÉRIQUE DU NORD / GETTY IMAGES VIA AFP

Bonnes feuilles

Matthew C. Klein et Michael Pettis publient « Les guerres commerciales sont des guerres de classes » aux éditions Dunod. Les guerres commerciales sont généralement perçues comme des conflits entre pays ayant des intérêts nationaux concurrents. Les auteurs montrent comment les guerres de classes nées de l’augmentation des inégalités représentent une menace pour l’économie mondiale et la paix internationale, et ce que nous pouvons faire pour y remédier. Extrait 1/2.

Michael Pettis

Michael Pettis

Michael Pettis est économiste et stratégiste financier. Il est professeur de finance à la Guanghua School of Management de l'Université de Pekin. Associé sénior du Carnegie Endowment for International Peace, il est l'auteur de plusieurs ouvrages, dont "The Great Rebalancing: Trade, Conflict, and the Perilous Road Ahead for the World Economy".

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Matthew C. Klein

Matthew C. Klein

Matthew C. Klein est journaliste économique au journal Barron's. Il a précédemment écrit pour le Financial Times, Bloomberg View et The Economist.

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La crise financière aurait dû aboutir à un rééquilibrage entre l’épargne et les dépenses mondiales, les États-Unis passant du statut de pays déficitaire au statut de pays excédentaire du fait d’une baisse des importations et d’une hausse des exportations. La production domestique aurait dû augmenter plus vite que la demande domestique, les dettes auraient dû être remboursées et d’autres pays auraient dû supporter le fardeau de la dépense mondiale. La répartition de la demande mondiale aurait même dû réduire les inégalités sur le territoire américain.

Or, la situation fut toute autre. Si, entre 1998 et 2008, le déficit de la balance courante américaine diminua peu à peu, elle variait chaque année entre 2 % et 3 % ce qui, une fois de plus, ne pouvait pas s’expliquer par des dépenses excessives aux États-Unis. En effet, depuis la crise financière, la demande domestique avait été extrêmement faible. Aujourd’hui encore, les dépenses de consommation par habitant sont de plus de 12 % inférieures à ce qu’elles auraient dû être si elles avaient suivi la tendance qui prédomina jusqu’en 1998. L’investissement des entreprises après inflation et dépréciation a, finalement, dépassé le pic atteint en 2000, mais les dépenses dédiées à la construction de logements n’ont aucunement progressé depuis la récession du début des années 1990. Les dépenses d’investissement du gouvernement sont quant à elles deux fois moins élevées qu’au milieu des années 2000. Le nombre d’Américains en âge de travailler ayant un emploi est pratiquement le même qu’en 2007, tout en restant nettement inférieur à ce qu’il était en 2000.

L’impact sur les entreprises américaines a été pire que dans les années 2000. Fin 2018, la production industrielle et la capacité de fabrication étaient l’une comme l’autre en deçà du pic de 2008, l’emploi dans le secteur industriel étant quant à lui d’environ 10 % inférieur au niveau de 2006. Le déficit américain pour ce qui est des produits manufacturés (excepté les produits dérivés du pétrole) représentait plus de 4 % du PIB –  soit le niveau le plus haut depuis le XIXe  siècle. Ce qui est préoccupant, c’est que ce recul est en grande partie imputable au fait que les exportations de biens d’équipements de pointe stagnent alors que les importations de ces mêmes produits fabriqués à l’étranger ne cessent d’augmenter. Le déficit global de la balance courante a été maîtrisé grâce à la transformation de l’industrie pétrolière américaine et l’augmentation du nombre d’exportations de logiciels conçus aux États-Unis (certaines de ces exportations étant, pour des raisons fiscales, comptabilisées comme des revenus d’investissement directs).

Le déficit commercial des produits manufacturés avoisine son niveau record (commerce net sauf aliments, nourriture pour animaux, boissons et produits énergétiques comme part du PIB)

La persistance du déficit de la balance courante américaine ne peut s’expliquer que par une épargne excessive à l’étranger et par le rôle joué par les États-Unis pour l’absorber. Demander aux Américains d’être plus prudents est une grossière erreur: ce ne sont pas les Américains qui ont décidé d’emprunter plus qu’ils ne pouvaient se le permettre.

Tant que des Américains voudront emprunter – dans tous les pays, il y a toujours des personnes qui veulent emprunter si la situation le permet –, le secteur financier américain ira les chercher, baissera les taux d’intérêt et assouplira les conditions d’octroi de crédit jusqu’à ce que les objectifs d’attribution de crédit soient atteints. Le système financier continuera à faire des réajustements dans l’économie réelle jusqu’à ce que l’épargne diminue. Soit les emprunts augmenteront, soit les revenus baisseront.

Par exemple :

– Les entrées nettes de capitaux sur le territoire américain peuvent faire que le dollar devienne plus cher qu’il ne l’aurait été sans cela. L’appréciation de la monnaie augmente le pouvoir d’achat des ménages aux dépens des revenus générés par les exportations et autres revenus, ce qui veut dire moins d’épargne du fait d’une hausse de la consommation et d’une baisse de la production.

– Les importations de produits peu chers sont en défaveur de la main-d’œuvre locale, d’où une augmentation du taux de chômage. Chez les travailleurs sans emploi, le taux d’épargne est négatif car ils continuent à consommer même s’ils n’ont pas de revenus. Autrement dit, l’augmentation du chômage fait mécaniquement baisser le taux d’épargne national.

– Une baisse de l’emploi pousse le gouvernement à emprunter davantage pour financer les aides. Grâce aux subventions accordées aux sans-emplois, la consommation augmente mais l’épargne diminue.

– Pour faire baisser le chômage, la Réserve fédérale pourrait essayer d’encourager l’emprunt en proposant des taux d’intérêt plus faibles et en assouplissant les conditions d’octroi de crédit.

– Les entrées de capitaux et la politique monétaire mise en place par la Réserve fédérale peuvent faire grimper les prix de l’immobilier, des actions et autres actifs américains à des niveaux supérieurs à ce qu’ils auraient été, voire compenser les bulles financières. Plus les prix des actifs sont élevés, plus on a l’impression d’être riche et plus on dépense.

Tous ces mécanismes provoquent une baisse des revenus (du fait de la hausse du chômage) couplée à une augmentation de la dette. Le  fait que les étrangers achètent moins de biens et de services se traduit nécessairement par l’achat excessif d’actifs financiers américains, le dollar ayant le triste privilège d’être la première monnaie de réserve ; d’où une augmentation de la dette américaine.

Jusqu’en 2014, ce sont les gestionnaires des réserves de change qui ont rendu l’épargne étrangère excessive. Entre le début de l’année 2009 et la mi-2014, les Américains ont régulièrement acheté plus d’actifs à l’étranger que les investisseurs privés n’achetaient d’actifs aux États-Unis. Si ces flux du secteur privé étaient restés inchangés et si aucun gouvernement étranger n’avait acheté d’actifs américains, l’excédent du compte de transactions courantes américain cumulé aurait avoisiné 1000 milliards de dollars, soit environ 1,2 % du PIB annuel. Les gestionnaires des réserves de change ont, cependant, plus que compensé ces flux privés en achetant des actifs américains à un taux annuel égal à environ 3,6 % du PIB américain.

À partir du second semestre 2014, les gestionnaires des réserves de change ont cessé d’être les principaux responsables du déficit de la balance courante américaine. Dans une certaine mesure, les réserves ont baissé pour compenser les investissements réalisés à l’étranger par les ménages fortunés et les entreprises ayant des liquidités, comme ce fut le cas en Chine. Si l’impact sur la position de la Chine dans le monde fut minime, ce qui changea fut l’apparition d’une nouvelle élite prête à investir à l’étranger.

Plus sérieusement, le durcissement d’obtention de crédit et le ralentissement des investissements en Chine coïncidèrent avec l’effondrement du prix du baril de pétrole et autres produits de première nécessité. Nombre de pays exportateurs ont choisi de puiser dans leurs réserves afin de minimiser l’impact sur le pouvoir d’achat et empêcher une baisse brutale des importations.

La hausse du prix du baril de pétrole a cependant permis à nombre d’industriels de reconstituer leur bas de laine. La baisse du prix du baril de pétrole s’est parallèlement traduite par une baisse des dépenses à l’exportation d’énergie dans le reste du monde. Les gouvernements asiatiques –  mis à part le gouvernement chinois – notamment au Japon, en Corée du Sud, à Singapour, à Taïwan et en Thaïlande, ont réagi soit en accumulant des monnaies de réserve étrangères soit en utilisant les fonds de pensions et d’assurance vie soutenus par l’État, voire même les deux, pour augmenter les investissements à l’étranger. Des données compilées par Brad Setser du Conseil des relations extérieures ont montré que les achats cumulatifs d’actifs financiers soutenus par l’État avoisinent le zéro depuis le début de l’année 2014.

La baisse de l’accumulation des réserves fut compensée par une demande d’actifs financiers américains de la part des Européens. Les membres de la zone euro s’étaient engagés à diminuer la demande domestique afin que, conformément à leur principe idéologique, les budgets gouvernementaux soient équilibrés sans pour autant que les riches soient plus fortement taxés. Les dépenses des gouvernements – retraites, santé, investissements pour la construction de nouvelles infrastructures – ont baissé alors que les taxes à la consommation et les revenus générés par le travail augmentaient.

La baisse des déficits a écrasé l’offre des obligations émises par les gouvernements à l’attention des épargnants privés alors que le secteur privé européen voulait toujours épargner. Après tout, l’économie était encore faible et les conséquences de la dette privée accumulée durant la bulle immobilière se faisaient encore sentir. Le programme d’achat d’actifs de la Banque centrale européenne – achat de plusieurs milliers de milliards d’euros sous la forme d’obligations émises par les gouvernements et les sociétés – compliqua un peu plus les choses. Selon la BCE, seulement 15 % des obligations émises par le gouvernement allemand étaient entre les mains d’investisseurs du secteur privé au début de l’année 2008, le reste étant détenu par les banques centrales.

Les épargnants européens ont réagi à ces pressions en achetant environ 1500 milliards d’euros sous la forme d’obligations étrangères entre la mi-2014 et la fin 2018. (En somme, des non-Européens ont vendu des obligations libellées en euros à la BCE.) Le flux net de l’achat d’obligations dans la zone euro a été pratiquement égal au montant total du déficit du compte de transactions courantes américain sur la même période. Les épargnants européens n’ont bien entendu pas acheté exclusivement des obligations américaines, mais ils ont acheté au total quelque 800  milliards de dollars depuis la mi-2014. S’ils l’ont fait, c’est qu’ils savaient que les États-Unis bénéficieraient de ces acquisitions.

Plus important encore, à la différence des flux financiers transatlantiques d’avant 2008, il n’y eut pas de réciprocité, ce qui contribua à la hausse d’environ 20 % de la valeur réelle du dollar entre la mi-2014 et le début 2016. Depuis le milieu de l’année 2019, les exportations de biens d’équipement et de véhicules à moteur américains ont baissé alors que les importations ont progressé de près de 20 %. Les Américains ont, par conséquent, eu à supporter le fardeau dû au refus des Européens de dépenser pour leurs besoins propres. Bien que déplorant la politique des Américains, les dirigeants européens n’ont rien fait pour que la situation change. C’est comme si nous avions fait marche arrière et que nous nous retrouvions dans les années 1960.

Extrait du livre de Matthew C. Klein et Michael Pettis, « Les guerres commerciales sont des guerres de classes : Comment la montée des inégalités fausse l'économie mondiale et menace la paix internationale », publié aux éditions Dunod.

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