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Les votes juifs (s'ils existent) 
vont-ils être en faveur 
de François Hollande ?
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Etude Ifop

Différents travaux de recherche ont montré le soutien marqué de l’électorat juif pour la gauche à la fin des années 70 et lors de la présidentielle de 1981. Depuis, un déplacement progressif s’est opéré vers la droite.

Jérôme Fourquet

Jérôme Fourquet

Jérôme Fourquet est directeur du Département opinion publique à l’Ifop.

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À quelques mois de l’élection présidentielle, le rendez-vous politico-médiatique qu’est le dîner annuel du CRIF a relancé le débat et suscité nombre de commentaires autour de l’orientation politique de la communauté juive. Alors qu’il existe de nombreux fantasmes à propos du « vote juif », il n’est pas inutile de poser le sujet en des termes dépassionnés et sur la base de données chiffrées et objectives. La part de la population se déclarant juive étant statistiquement très faible, cette analyse a été menée à partir d’une agrégation à grande échelle d’enquêtes effectuées par l’Ifop auprès d’échantillons nationaux représentatifs sur une période de dix ans (de 2002 à 2012) et au sein desquelles la question de l’appartenance religieuse était posée. Une fois ce cumul effectué, on dispose d’un échantillon global de pas moins de 173 000 interviewés. Ce volume, plus que conséquent, a permis d’évaluer d’une part le poids et le profil de la population se déclarant juive et d’autre part d’observer son comportement électoral lors des dernières élections.

Les Juifs représentent moins d’1% de la population

Premier enseignement de cette analyse, à la question : « Êtes-vous catholique, protestant, musulman, juif, d’une autre religion ou sans religion ? », 0,6% des personnes interrogées répondent « juif ». Cela correspond à 1 095 individus dans l’échantillon cumulé et, ramené à un corps électoral de 43 millions de personnes, cela représente 260 000 électeurs. Même en postulant que l’appartenance à la religion juive (mesurée et appréhendée à l’aune de notre question assez basique et qui n’opère pas de distinguo entre les personnes juives pratiquantes et celles qui sont nées dans des familles de culture et de tradition juives sans pour autant pratiquer aujourd’hui) est peut-être un peu sous déclarée aux enquêteurs, il apparaît que le poids statistique de la population juive dans le corps électoral est tout à fait minime et n’a guère varié depuis 20 ou 30 ans.


L’avantage de travailler à partir de gros échantillons est qu’il est possible de disposer de bases statistiques suffisamment solides même pour les segments les plus étroits comme c’est le cas ici. Avec un sous-échantillon de 1095 individus se déclarant de confession juive, il a été possible de dresser un portrait socio-démographique de cette population. Même si les cadres supérieurs, les professions libérales, les commerçants, artisans et chefs d’entreprise sont sur-représentés (19% contre 11% dans la population totale), la communauté juive apparaît sociologiquement assez diverse, ce qui vient démentir bon nombre de clichés et de préjugés. On compte ainsi 24% d’ouvriers et d’employés (contre 31% dans l’ensemble de la population) et 12% de professions intermédiaires (contre 14%). Si cette population n’est donc pas sociologiquement très typée, son implantation sur le territoire est en revanche très spécifique. 50% des personnes se déclarant juives résident en effet dans l’agglomération parisienne alors que ce territoire n’abrite que 16% de la population française totale. Cette sur-représentation de la région parisienne dans la population juive s’accompagne également d’une implantation un peu plus marquée dans l’ensemble PACA / Languedoc-Roussillon (17% contre 12% dans l’ensemble de la population française) au détriment des régions du grand ouest (3% des Juifs y habitant contre 14% de la population totale) et de manière plus générale des zones rurales (5% contre 25% en moyenne). On notera que même en Île-de-France, région où la population juive est la plus nombreuse, le poids de cette communauté ne représente que 2% de la population locale.

Pas "un" mais "des" votes juifs

Certains commentateurs ou acteurs politiques évoquent parfois un « vote juif ». Les premières conclusions de l’analyse réalisée permettent déjà de relativiser fortement son importance dans la mesure où il ne représenterait que 0,6% du corps électoral. De surcroît, parler d’un « vote juif » sous-entend que le comportement électoral de cette population serait très homogène.
Or, les données dont on dispose montrent que, si la droite bénéficie d’une large assise dans cet électorat, les autres familles politiques y sont également représentées, le « vote juif » n’est donc pas univoque, loin s’en faut, comme le montre le tableau suivant par exemple :

Le vote au 1er tour de l’élection présidentielle de 2007

Au premier tour de l’élection présidentielle de 2007, Nicolas Sarkozy l’emporte dans la communauté juive et rate de peu la barre des 50%. Cet attrait très puissant pour Nicolas Sarkozy ne s’accompagne pas pour autant d’un rejet de la gauche dans cette partie de l’électorat. En effet, si l’audience des candidats d’extrême-gauche y est inférieure à la moyenne (sans doute, en partie, en raison des positions pro-palestiniennes de ces formations politiques mais aussi d’une certaine distance vis-à-vis des formations extrémistes déjà constatée dans les travaux de Chantal Bordes-Benayoun par exemple), Ségolène Royal recueille 28,8% des voix des personnes se déclarant juives, soit 3 points de plus que son score national. Le sur-vote en faveur de Nicolas Sarkozy se traduit en revanche par une contre-performance de François Bayrou (13,9% contre 18,6% en moyenne) et surtout de Jean-Marie Le Pen (4,3% contre 10,6%), la communauté juive demeurant en 2007 ultra-majoritairement réfractaire au vote frontiste.

L’analyse du vote au premier tour de l’élection présidentielle de 2002 fait ressortir des constats relativement similaires. Comme le montre le tableau suivant, le vote des personnes de confession juive se caractérisa à l’époque également par :
- une sur-représentation très nette de la droite parlementaire,
- un léger sur-vote en faveur du candidat socialiste, cela s’accompagnant d’une moindre audience de l’extrême-gauche,
- un très faible écho du tandem Le Pen / Mégret.

Le vote au 1er tour de l’élection présidentielle de 2002

Dans le détail, on notera qu’à droite, c’est Alain Madelin qui bénéficie en 2002 d’une très forte présence dans cet électorat (plus de 21% contre à peine 4% en moyenne). Les valeurs portées par le candidat de Démocratie libérale, sa défense constante et revendiquée d’Israël et des États-Unis peuvent expliquer cette audience spectaculaire quand Jacques Chirac, réputé plus pro-arabe, bénéficie d’un moindre soutien.


Le succès rencontré par Nicolas Sarkozy en 2007 dans cette population tient sans doute au fait, qu’hormis des liens tissés de longue date avec cette communauté, notamment en Île-de-France, il ait su tenir un message s’inspirant davantage de la tradition et de l’héritage atlantiste et pro-Israël du Parti républicain et de Démocratie libérale que de la filiation gaulliste chiraquienne moins efficace, on l’a vu, dans ce milieu.


Quoiqu’il en soit des différences de sensibilités politiques, le sur-vote en faveur de la droite parlementaire apparaît aujourd’hui comme une vraie singularité de l’électorat juif même si une part significative de cette catégorie de la population se reconnaît dans la gauche et principalement dans le PS. Ce fort tropisme droitier s’expliquerait-il par la composition sociologique de cet électorat, où les CSP réputés plus favorables à la droite sont sur-représentées ?

 L’analyse invalide cette hypothèse puisqu’une fois l’effet CSP neutralisé, on constate en effet une forte prime pour la droite UMP de l’ordre de 15 points parmi les cadres supérieurs et les professions libérales de confession juive par rapport à leurs homologues non juifs et de 14 points parmi les ouvriers/employés de confession juive versus les catégories populaires non juives. Alors que différents travaux de recherche avaient montré un soutien assez marqué de l’électorat juif envers la gauche à la fin des années 70 et lors de l’élection de François Mitterrand en 1981, un déplacement du centre de gravité politique de la population juive au profit de la droite semble s’être produit depuis. Sans qu’il soit facile de le dater précisément, on peut émettre l’hypothèse que cette droitisation d’une partie de cette communauté soit consécutive au déclenchement de la seconde intifada qui s’est accompagnée en France d’un regain d’antisémitisme.

Certains observateurs ont également évoqué le fort impact de certaines agressions dont ont été victimes des membres de la communauté juive en Île-de-France notamment. Dans ce contexte, le ferme discours du ministre de l’Intérieur de l’époque a sans doute rencontré un écho, Nicolas Sarkozy ne manquant jamais l’occasion, de surcroît, d’afficher sa proximité avec Israël et la communauté juive.
Comme le montre le tableau suivant, ce lien particulier à Nicolas Sarkozy semble avoir perduré après l’élection de 2007.

Évolution de la popularité de Nicolas Sarkozy

Durant la première partie de son mandat (jusqu’aux élections européennes de 2009), le Président bénéficie dans cette catégorie d’un niveau de popularité quasi identique à celui observé parmi les catholiques pratiquants – soutiens traditionnels et constants de la droite – et l’écart de popularité est de 16 points avec la moyenne nationale. Mais si la communauté juive demeure, derrière les catholiques pratiquants, la seconde catégorie la plus en soutien de Nicolas Sarkozy durant la seconde partie de son mandat, c’est parmi les Juifs que sa popularité recule le plus : -19 points (contre -14 points en moyenne et parmi les catholiques pratiquants). À la veille de l’élection présidentielle, une majorité de personne se déclarant de confession juive se dit donc aujourd’hui mécontente de Nicolas Sarkozy, rendant le jeu électoral plus ouvert qu’en 2007 dans cette catégorie de la population.

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