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Droit de vote des étrangers : la gauche veut-elle vraiment perdre la présidentielle ?
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21 avril 2012

Le Sénat examine ce jeudi une proposition de loi de la gauche sur le droit de vote des étrangers non communautaires aux élections locales. Une proposition en décalage avec les préoccupations principales des classes populaires que cherche à reconquérir le PS.

Christophe  Guilluy - Bruno Cautrès

Christophe Guilluy - Bruno Cautrès

Christophe Guilluy est géographe.

Chercheur auprès de collectivités locales et d’organismes publics, il est également le coauteur, avec Christophe Noyé, de L’Atlas des nouvelles fractures sociales en France (Autrement, 2004).

Il a publié plus récemment Fractures françaises (Bourin, 2010).

Bruno Cautrès est chercheur au CNRS et au CEVIPOF. Ses recherches portent sur l’analyse des comportements et des attitudes politiques
 

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Atlantico : Le Sénat examine ce jeudi une proposition de loi de la gauche sur le droit de vote des étrangers non communautaires aux élections locales. On sait que la loi ne pourra pas être votée définitivement tant que l'Assemblée conserve une majorité de droite, alors pourquoi le PS a-t-il choisi de faire de cette proposition le premier des combats menés au Sénat depuis qu'il en a conquis la majorité ? 

Christophe Guilluy : Derrière cette proposition, il existe toujours le fantasme que l’objectif du PS est politique : ce parti amènerait le droit de vote aux étrangers pendant les élections pour faire monter le Front national et faire ainsi perdre la droite. L’idée que « parce que je suis d’origine étrangère ou issu d’une minorité, je vais voter à gauche » correspond à une perception complètement tronquée de la réalité. Rien ne dit que cet électorat votera pour la gauche. Il s’agit d’un calcul dangereux et en tout cas ce n’est pas la clé de la victoire de la gauche pour les prochaines élections présidentielles. 

Mais ce n’est pas le cœur de ma réflexion.

Selon moi, le plus intéressant dans cette proposition tient à l’idée que si François Hollande souhaite être élu Président, il doit, à un moment ou un autre, s’adresser aux classes populaires. C’est d’ailleurs quelque chose qui aurait dû être fait depuis une bonne dizaine d’années, en tout cas au moins depuis 2002. Mais mieux vaut tard que jamais. Le problème est que ce droit de vote aux étrangers non-communautaires est une question dont tout le monde se fiche : ce n’est ni une demande des étrangers, ni des Français, ni de personne. Au mieux ils s’en fichent, au pire, ça les agace sérieusement. Par conséquent, si l’objectif premier aujourd’hui pour le Parti socialiste est de s’adresser aux classes populaires, il s’y prend très mal.

On a l’impression que toute la réflexion actuelle sur la façon de capter l’électorat populaire est mise de côté pour reprendre des vieilles thématiques développées par Terra Nova, qui apparemment restent majoritaires au PS. Selon ce think tank, les classes populaires sont perdues culturellement pour le PS, qui doit donc désormais se concentrer sur un nouvel électorat qui lui permettra demain d’être majoritaire, c’est-à-dire sur les diplômés, les femmes, les minorités, toutes  ces catégories qui touchent à un électorat des grandes métropoles et laisse évidemment de côté l’essentiel ce que j’appelle la « France périphérique », ces territoires où vivent la majorité des classes populaires séduites actuellement par le discours de Marine Le Pen.

Le PS est-il en train de divorcer avec les classes populaires ?

Le divorce a déjà eu lieu, les gens sont déjà partis, les ouvriers et les employés forment déjà un électorat très éloigné de la gauche. L’une des thématiques qui les éloigne précisément c’est la question de l’immigration, avec une vraie peur des flux migratoires.

Ainsi, prétendre aujourd’hui - à un moment où il y a 5 millions de chômeurs, 8 millions de pauvres et une crise internationale gigantesque – que la priorité pour le Parti socialiste est le droit de vote des étrangers souligne un désintérêt total des aspirations et des inquiétudes des classes populaires. C’est même une catastrophe. Quand Martine Aubry nous explique que la priorité des priorités est le droit de vote des étrangers, c’est qu’a minima elle ne comprend rien aux priorités du peuple aujourd’hui ou, qu’au pire elle a peut être envie de perdre l’élection !

J’ai le sentiment actuellement que tous les sujets importants sont traités par la droite et le FN et que la gauche ne s’intéresse qu’à des sujets secondaires comme le nucléaire ou le droit de vote des étrangers.

Comment expliquez-vous ce divorce du PS et des classes populaires ?

La question identitaire reste taboue à gauche. Pourtant, on ne peut aujourd’hui s’adresser au peuple sans combiner la question sociale avec la question identitaire. C’est une nouvelle donne qui a été imposée par la mondialisation et une partie de la gauche fait comme si les classes populaires ne se définissaient, comme dans les années 60, qu’à partir des questions économiques et sociales. Or refuser d’aborder la question culturelle revient à nier une dimension de l’insécurité que subissent les classes populaires.  

François Hollande est-il embarrassé par cette priorité qui vient plutôt du clan de Martione Aubry ?

Il y a un PS qui pense encore la question des classes populaires et il y a le « PS Terra Nova » qui repose complètement sur du sociétal ; c’est la gauche libérale habituelle. Là où c’est compliqué pour Hollande, c’est que ce ne sont pas les partis qui influencent les électorats, c’est le contraire. Or la sociologie électorale du PS étant ce qu’elle est (fonctionnaires, bobos, catégories supérieures), elle influence de fait son discours. Dès lors, comment parler au peuple sans désespérer boboland ?  C’est compliqué. D’ailleurs, la thématique du droit de vote pour les étrangers peut séduire la « gauche terra nova », en revanche elle heurte des classes populaires majoritairement attirées par le Front National. À la veille d’une élection présidentielle où le vote de ces classes populaires sera déterminant, cette initiative est problématique.

Encore quelques initiatives de ce genre (droit de vote des étrangers) et c’est l’assurance d’un nouveau 21 avril …à l’endroit !

Propos recueillis par Aymeric Goetschy.

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