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Doudou vaudou : ce téléphone portable qui enflamme les incivilités
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Jeux d'enfants

Les résultats d'une campagne contre les incivilités menée par la RATP dénoncent les nuisances liées au portable comme les plus dérangeantes de toutes. Pourquoi le portable est-il devenu l'ennemi public n°1 des espaces publics ?

Catherine Lejealle

Catherine Lejealle

Catherine Lejealle est docteur en sociologie et ingénieur télécom (ENST Bretagne). Elle est professeur à l'ISC Paris et co-fondatrice de la Chaire Digital BusinessSes domaines de recherche couvrent les usages des TIC (téléphone portable, Internet, médias sociaux…)

Elle a publié La télévision mobile personnelle : usages, contenus et nomadisme,  Les usages du jeu sur le téléphone portable : une mobilisation dynamique des formes de sociabilité  aux Editions L'Harmattan et J'arrête d'être hyperconnecté ! : 21 jours pour réussir sa détox digitale chez Eyrolles.

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Atlantico: La RATP a lancé une campagne contre les incivilités dans le métro. Un sondage recensant les réponses de près de 4 000 franciliens indique qu’une utilisation abusive du téléphone portable (musique trop forte, conversations à un niveau d’écoute trop haut) arrive en tête de celles-ci. Alors que c’est probablement l’objet le plus démocratisé, le téléphone portable répond-t-il a des codes spécifiques en public ?

Catherine Legealle : Les usagers des transports publics comblent le temps-mort que représente leur trajet de métro ou de RER par l’utilisation de leur téléphone portable. Quand ils passent des appels, ils choisissent en général de discuter avec des gens qu’ils aiment bien. Ce réflexe répond au besoin d’entretenir un lien - que les chercheurs ont appelé la communication phatique - par le biais d'une conversation qui n’a pas forcément une utilité immédiate, mais qui apporte simplement un réconfort.

Ce réflexe s’explique par la pression qu’exerce la société de productivité, et s'exprime par une capacité de plus en plus limitée des individus à supporter un temps non occupé. Auparavant, regarder simplement le paysage défiler sur le trajet du train représentait en soit une occupation pour eux.

D’autre part, si les conversations téléphoniques se font sur un volume assez fort, c'est parce que les usagers n’ont désormais aucun complexe à exposer leur vie à ceux qui les entourent, car leur présence n’est que temporaire : elle ne durera qu'une, voire deux stations de métro ou de RER. La même conversation serait sans doute impossible face aux collègues de bureau, dont la présence est quotidienne. Dans le métro, il n’y a aucune impudeur à exposer son intimité sur la place publique.

Pourquoi l’autre vit aussi mal cette exposition à l’intimité de son voisin, surtout à notre époque on l’on s’entend pour dire que la vie privée n’existe plus ?

L’autre est gêné simplement parce qu’il se sent exclu, ce qui ne serait pas le cas si celui qui est occupé par sa conversation téléphonique se tournait les pouces. Ensuite, le murmure incessant de la conversation dérangera, car il s’insère dans votre sphère d’intimité.

N'oublions pas que le portable peut aussi être un compagnon des pensées, un compagnon silencieux car il permet de jouer ou de consulter l’actualité.

Comment expliquer que le téléphone portable se soit imposé aussi vite comme un accessoire indispensable ?

Même si on ne s’en rend pas forcément compte, l’homme a de nombreux moments de solitude et d’inactivité qui correspondent parfois à des temps d’attente ou des temps de trajet. Durant ces moments, les individus se tournent vers les téléphones portables sont directement accessibles, et permettent de faire passer le temps, tout en se divertissant. Il permet aussi de ménager la gêne, en nous évitant de regarder les autres, surtout dans des espaces aussi confinés que les transports publics.

Au début, il y a une procédure d’ajustement, on se place par rapport à l’autre, on essaye de limiter les contacts... Une fois cette étape dépassée, on se retrouve tout seul, et là le portable intervient : on envoie ou relit ses SMS, regarde ses photos, intervient sur les réseaux sociaux, ou encore on joue. Par ces occupations, on peut s'apporter du réconfort avec ce « doudou » qui contient de nombreux éléments affectifs. C’est un peu le même principe que celui du coffre à jouets : un enfant que l’on congédie dans sa chambre, on le force à vivre un temps-mort qu’il occupe grâce à son coffre à jouets, à ses jouets. C’est le rôle que tient le portable dans la vie d’un adulte.

Quelles conséquences cette présence du portable ont-elles sur le lien social ? Le détériorent-elles comme on a souvent tendance à le penser ?

Je suis très optimiste sur cette question. Si en cas de solitude le portable est un réconfort, en société, il enrichit le lien social et renforce la notion de partage. Il alimente les discussions grâce à un accès immédiat à certaines données : une musique, la bande-annonce d’un film ou tout simplement une information qui a été lue ou entendue par un des membres du groupe.

S'il est vrai que le portable est un compagnon de solitude, mais n'en demeure pas moins, dans un contexte collectif, un membre à part entière du groupe.

Propos recueillis par Priscilla Romain

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