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Les banques allemandes font-elles de l’économie ou de la politique ?
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Money is money !

La Deutsche Bank a repris le 21 mai une proposition émise par Citigroup en septembre 2011 évoquant la création d’une double monnaie en Grèce. Il s’agirait de conserver l’euro comme devise pour les échanges commerciaux et la dette, et le « geuro » comme monnaie intérieure. Citigroup, Deutsch Bank et la Bundesbank cherchent-elles à défendre leurs propres intérêts en devenant de plus en plus agressives, voire fantaisistes, dans leurs propositions pour sortir de la crise grecque ?

Ludovic Subran

Ludovic Subran

Ludovic Subran est chef économiste chez Euler Hermes.

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Atlantico : Le 21 mai dernier, la Deutsche Bank a repris par le biais d’une note une proposition émise par Citigroup en septembre 2011 évoquant la création d’une double monnaie en Grèce. Il s’agirait de conserver l’euro comme devise pour les échanges commerciaux et la libélisation de la dette, et le « geuro » comme monnaie intérieure afin de permettre une dévaluation compétitive pour affaiblir le coût du travail. Quelles conséquences économiques pour la Grèce et la zone euro pourrait avoir la mise en place d’un tel scénario ?

Ludovic Subran : La Deutsche Bank et Citigroup ne sont pas les seules à évoquer cette proposition puisque la Bundesbank devient elle aussi extrêmement agressive sur la question grecque ainsi que le gouverneur de la banque centrale polonaise qui a lui aussi repris cette idée. Cependant, il faut bien comprendre que la création de deux monnaies distinctes pour la Grèce est une hérésie totale. En effet, ces derniers temps ont été marqués par un regain d’inquiétude autour de la situation économique dans la péninsule hellénique, la plupart des grands groupes internationaux ayant mis en place des plans de contingence afin d’anticiper une sortie de la Grèce si tel est le cas.

Certains pays ont déjà adopté un système de double monnaie que se soit Cuba, le Zimbabwe ou d’autres pays d’Amérique latine. Un tel système aurait pour conséquence une considérable paupérisation de la population grecque qui, payée en drachme, ne pourrait même plus voyager en dehors de ses frontières. Cette dévaluation « cachée » aurait donc un coût en termes de niveau de vie qui déboucherait aussi sur un creusement des inégalités. Ainsi, les entreprises de petites ou moyennes tailles seraient dans l’incapacité d’acheter des produits importés ou de payer leurs traites à l’international. Les ménages les plus pauvres devraient quant à eux se priver de produits étrangers et ne consommer que des biens et services domestiques. De plus, cela signifierait que la Grèce devrait rembourser sa dette dans une monnaie nettement plus surévaluée que la devise dans laquelle elle crée de la valeur... Hors, la Grèce n’est pas isolée, elle est parfaitement connectée au reste de l’Europe.

La Deutsche Bank ne cherche t-elle pas à préparer les esprits afin de renforcer la position tenue par Angela Merkel actuellement en difficulté dans les négociations européennes ?

Nous assistons à une bipolarisation de l’analyse économique portant sur le cas grec entre d’un côté les partisans d’une intransigeance, de l’autre ceux qui sont favorables à un assouplissement. Les banques et les personnalités politiques allemandes essaient de démontrer à ses partenaires qu’il est tout à fait possible d’adopter une politique d’austérité tout en obtenant de la croissance. Cela peut paraître totalement antinomique mais les Allemands sont pourtant parvenus à obtenir de la compétitivité tout en maitrisant leurs finances publiques. Mais tous les pays ne peuvent pas parvenir à ces résultats pour deux raisons : l’Allemagne réalise du surplus commerciale - ce qui est impossible pour l’ensemble des pays européens dans la mesure où ce que certains vendent représente ce que d’autres achète - et le coût du travail qui y est beaucoup plus faible que dans d’autres pays comme la France, notamment du fait de l’absence de salaire minimum et de charges sociales bien plus faibles. 

Alors que l’OCDE estime que le rétablissement de l’économie mondiale dépendra de la zone euro, comment expliquer que ces banques tiennent une telle position ? Ne défendent-elles pas plutôt leurs intérêts ?

Ces banques souhaitent avant tout contribuer au débat public en proposant des solutions qui s’inscrivent dans un cadre purement économique. En effet, nous constatons à l’heure actuelle un grand manque de solutions et d’innovations quant à la résolution de la crise grecque. Il y a donc des phases d’expérimentations mais il ne faut pas toutes les prendre toutes au sérieux. Il faut donc s’inquiéter de voir de telles notes de recherche issues de grandes banques devenir des solutions politiques publiques car elles reflètent le vide d’idées pour arriver à une résolution de la situation.

Ceux qui se prononcent en faveur d’un système de double monnaie ont un intérêt évident dans sa mise en place car un retour total – et non partiel - au drachme se traduirait par des pertes pour les institutions financières détentrices d’actifs grecs puisque cette monnaie serait sous sous-évaluée par rapport à l’euro. En effet, une dévaluation du drachme de 50% à 60% par rapport à l’euro pourrait avoir de sérieuses conséquences pour des pays comme l’Allemagne ou la France, deux Etats exposés respectivement à hauteur de 90 milliards d’euros et 60 milliards d’euros. Ainsi, toute institution ayant une exposition relativement substantielle à la dette grecque ne se prononce pas en faveur d’une redénomination d’urgence au drachme puisque cela se traduirait à la fois par des pertes mais également par des risques, notamment en termes de capitaux. A l’inverse, un système de double devise permettrait aux créanciers privés de conserver leurs actifs grecs en euro...

Propos recueillis par Olivier Harmant et Franck Michel

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