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Dijon : ces vendettas privées qui se multiplient faute d'une justice sachant punir les agresseurs
©PHILIPPE DESMAZES / AFP

Quand les victimes de tabassages se vengent elles-mêmes

Après l'affaire Mila, l'affaire Marin et les événements à Dijon de ces derniers jours, le système judiciaire français présente-t-il des failles ? Comment expliquer que certaines communautés décident de passer outre l'autorité de l'État et de rendre elles-mêmes la justice ?

Xavier Raufer

Xavier Raufer

Xavier Raufer est un criminologue français, directeur des études au Département de recherches sur les menaces criminelles contemporaines à l'Université Paris II, et auteur de nombreux ouvrages sur le sujet. Dernier en date:  La criminalité organisée dans le chaos mondial : mafias, triades, cartels, clans. Il est directeur d'études, pôle sécurité-défense-criminologie du Conservatoire National des Arts et Métiers. 

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Guillaume Jeanson

Guillaume Jeanson

Maître Guillaume Jeanson est avocat au Barreau de Paris. 

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Atlantico.fr : Avec l'affaire Mila (dont les agresseurs sont à peine poursuivis), l'affaire Marin (peine faible pour l'agresseur au vu de la violence du fait et des séquelles que subit le jeune homme aujourd'hui) et des événements à Dijon en début de semaine, quel regard pouvons-nous porter sur l'état de notre système judiciaire aujourd'hui ?

Xavier Raufer : Etouffée, asphyxiée par Taubira-Belloubet, la justice français est aujourd'hui hors de combat, dans le pourtant crucial domaine du pénal. Voyez Dijon : des milices armées communautaires usent d'armes de guerre pour des tirs d'intimidation ; une ville paisible ravagée par des bandits ivres d'impunité. Après la bataille, arrive au petit pas notre justice. Or la lenteur ici n'est pas de mise, tout praticien du droit sait fort bien que, face à des têtes brûlées - agressives certes mais pas toujours surdouées - la promptitude et la certitude de la peine restaurent le calme : pour de jeunes brutes enragées, trois mois fermes-immédiats sont bien plus efficaces que deux ans avec sursis. Infligés, en prime, trois ans après, quand les voyous en cause ont total occulté le problème qui les envoie au tribunal - et ne voient plus trop ce qu'on leur veut.

Alors que les émeutiers armés étaient, toutes tribus confondues, plus de trois cents, voilà ce dont accouche notre arthritique justice : trois élargissements et... une amende. Les mis en cause étaient bien sûr de fort lointains lampistes, la police s'étant gardée de toucher aux noyaux durs de bandits armés. On la comprend : menacés de désarmement... en proie à un effarant Castaner voulant qu'ils s'agenouillent en pénitence dans la cour de Beauvau ; par là-dessus, Belloubet invitant une chef de gang pour le thé, l'heure n'est plus à l'audace répressive, côté policiers du rang.

Guillaume Jeanson : Un regard inquiet. On peut certes commencer par énoncer la problématique des quantums de peines de prison réellement appliqués aux individus condamnés à être incarcérés. On note alors une grande disparité qui ne cesse de se creuser entre d’abord le montant de la peine théorique encourue pour la commission d’une infraction, ensuite le montant de la peine à laquelle le prévenu est condamné et enfin le montant de la peine qu’il effectuera réellement derrière les barreaux. On peut s’intéresser également à un autre point : celui de l’accumulation des réponses pénales symboliques avant qu’une peine présentant une réalité concrète pour la personne qui s’y voit condamnée ne soit effectivement prononcée : Rappel à la loi, admonestation, remise à parents pour la justice des mineurs, peines de sursis… On peut y ajouter les peines d’amendes non recouvrées et les sursis avec mise à l’épreuve quand le suivi des obligations est défaillant. On peut encore y ajouter les peines d’emprisonnement ferme lorsqu’elles ne sont pas mises à exécution. Sur ce point, la réforme de la justice entrée récemment en vigueur, limite cependant en partie cette possibilité. Là ou, avant cette réforme, depuis la loi pénitentiaire de 2009 une peine d’emprisonnement allant jusqu’à deux ans ferme sans mandat de dépôt conduisait devant un juge d’application des peines chargé de détricoter la peine de prison pour la commuer en une autre peine, cette possibilité ne peut désormais plus jouer que pour des peines allant jusqu’à une année seulement de prison ferme. 

Mais ce sur quoi mon inquiétude se polarise aujourd’hui davantage, c’est sur la question de la rapidité d’exécution de la peine. Je redoute en effet de la part du gouvernement un petit tour de passe-passe dont les conséquences sur le fonctionnement de la chaîne pénale pourraient être lourdes. Je m’explique : à la « faveur » de la crise du Covid 19, les prisons ont été « allégées » (tant par une limitation des flux entrants via des instructions données de ne pas incarcérer, que par la libération anticipée de plusieurs milliers de détenus). Cet « allègement » serait schématiquement de l’ordre de 15.000 détenus en moins. Ce nombre est important. Pourquoi ? Parce que 15.000 détenus, c’était environ le nombre des détenus considérés en surnombre dans les prisons françaises avant la crise sanitaire. Et aussi parce que 15.000, c’était -tout aussi symboliquement- le nombre des nouvelles places de prison qu’Emmanuel Macron s’était engagé à construire sur son quinquennat. Une promesse bafouée par la suite. De 15.000 nouvelles places sur un quinquennat, on est en effet passé à 15.000 sur… deux quinquennats. Puis de la moitié de ces 15.000 nouvelles places promises sur ce quinquennat, on est passé -à en croire du moins les dernières révélations ayant fuité dans la presse l’été dernier- à péniblement 3.000 nouvelles places de prison seulement. De 15.000 on est donc passé à 3.000. Avec la communication appuyée sur « l’allègement » récent des prisons, il ne serait pas étonnant qu’on finisse par apprendre que même ces 3.000 ne verront finalement pas le jour. Ou que, même si ces 3.000 devaient être construites, l’exécutif s’estimerait -avec ces dernières seulement- pleinement libéré de son engagement d’en construire 15.000. Personne n’y trouverait à redire puisque, présenté ainsi, le citoyen moyen serait en droit d’imaginer -en toute bonne foi- que s’il fallait construire 15.000 nouvelles places de prison, c’était uniquement pour loger les 15.000 détenus en surnombre. Cette présentation est hélas d’un simplisme fallacieux. Et je crains que d’aucuns en ministère ne tablent justement sur cette présentation trompeuse pour s’affranchir de cet engagement politique pourtant si important. Alors pourquoi, même sans ces 15.000 détenus en surnombre, il faut ces nouvelles places de prison ? Il les faut car cette présentation oublie une autre donnée essentielle : les flux. Depuis 2013, on estime en effet qu’il existe un stock perpétuellement renouvelé d’environ 100.000 peines de prison ferme en attente d’exécution (sans que ce chiffre n’ait étonnamment été actualisé, alors que toutes les tendances carcérales n’ont fait que suivre des courbes d’aggravation ces dernières années…). La construction de nouvelles places de prison ne répond donc pas seulement à la nécessité d’offrir à certains détenus des conditions de détention dignes. Elle répond également au besoin de d’écluser ce stock pour exécuter rapidement certaines peines de prison ferme prononcées qui demeurent en attente d’exécution. A défaut, il se passe ce qui se passe hélas très fréquemment aujourd’hui et qui ne cesse d’ailleurs encore de s’aggraver : de très nombreuses peines de prison ferme ne sont exécutées que 6 mois, un an, voire parfois plus encore, après leur prononcé par une juridiction. Cette situation est catastrophique. Car on peut alors imaginer grossièrement deux hypothèses : première hypothèse, celui qui sort libre du tribunal (bien qu’il ait été condamné à une peine d’emprisonnement ferme) va pouvoir allégrement récidiver puisque l’interdit et ses conséquences demeurent symboliques pour lui. Seconde hypothèse, ayant compris -même sans l’exécution réelle de sa peine- la gravité des conséquences auxquelles l’ont conduit ses actes, il décide de se ranger. La peine qu’il devra malgré tout effectuer une année plus tard ruinera alors sa réinsertion. L’enjeu de la rapidité d’exécution des peines est essentiel car il contribue à renvoyer aujourd’hui un message dramatique d’impunité qui annihile toute tentative de dissuasion et joue de ce fait un rôle certain dans le discrédit dont souffrent les autorités publiques pour endiguer une certaine délinquance. 

Comment expliquer que certaines communautés décident de passer outre l'autorité de l'État et de rendre elles-mêmes la justice ? Est-ce un phénomène en augmentation ?

Xavier Raufer : C'est simple. la criminologie, versant réponses de la société au crime, repose sur une simplissime évidence : les malfaiteurs ne s'arrêtent que quand on les arrête. On les laisse faire ? Ils continuent et même, aggravent leurs prédations. Ne vivant pas sous cloche, es gangs en cause à Dijon ont des contacts dans la société : leurs "grands frères" (lire : caïds) et avocats ont compris que la répression féroce, c'était pour les Gilets Jaunes (des Blancs issus de la France périphérique, en gros) ; que le dédain de la secte financière entourant (et incluant) Macron pour ces "Gaulois réfractaires" était sans borne ; que vus de Wall Street et de la City de Londres (patrie spirituelle de Macron & co.) ces gens étaient bien vulgaires. Ayant pigé tout cela et rangé à tout jamais Belloubet-Castaner au rayon "bouffons", les bandits se déchaînent. C'est aussi simple que cela.

Partout en France, ces émeutiers vivent en clans, familles élargies ou tribus. En passant, message à la police de la pensée : tribu n'a nulle connotation africaine : les Tchétchènes sont de parfaits indo-européens. Dans ces cultures, la justice relève du clan ("crimes d'honneur" sur les filles, vendettas tribales, etc.). Or rien n'est fait pour enseigner aux chefs de clans la norme judiciaire des États de droit. Alors, ils font comme à la maison, selon la tradition. 

Message au pauvre M. Castaner (s'il est encore en service...) rétablir l'ordre chez les Tchétchènes est enfantin : rafler dix chefs de clan, les mettre face au premier commissaire ou officier gendarme venu, qui les prévient gentiment que si ça bronche encore chez eux, c'est le retour immédiat chez Poutine, par le premier avion. Sur le champ, vous avez une "communauté" d'agneaux, sages comme des images. Car si Macron-Philippe & co n'ont jamais effrayé personne, Poutine, lui, si.

Guillaume Jeanson : Certaines communautés ont déjà coutume de régler elles-mêmes leurs problèmes sans recourir pour cela aux services de l’état. Il s’agit là d’une réalité de terrain bien connue des criminologues. Mais le danger est surtout de voir ce phénomène s’amplifier à mesure que s’affaisse l’autorité de l’Etat. C’est toute la logique philosophique d’un retour à une forme d’état de nature. Un état défini comme l’absence de supérieur commun pour régler nos différends. Une situation dans laquelle les individus ne peuvent compter que sur leurs propres forces pour protéger ce qu’ils ont de plus précieux et qui génère cette fameuse « guerre de tous contre tous » décrite dans le Léviathan de Hobbes. Pourquoi ? Car, lorsqu’ils sont livrés à eux-mêmes, les hommes n’observent pas strictement les règles de l’équité et de la justice. Comme chacun sait, suivant le philosophe, les individus doivent accepter, pour sortir de cette situation détestable dans laquelle la vie humaine est dépréciée et menacée, de cesser de se faire justice eux-mêmes et de confier le soin de défendre leurs vies et leurs biens à une autorité publique qui aura les moyens, quant à elle, d’imposer ses décisions aux récalcitrants. Une autorité que nous appelons l’État.

Comme j’ai déjà eu l’occasion de l’écrire à l’occasion de l’éviction musclée des squatters Roms d’un pavillon de Garges-les-Gonesses par des jeunes du quartier qui s’était transformée, il y a deux ans, en véritable bataille rangée, il faut aussi faire appel à un autre concept pour analyser ce phénomène. Il s’agit de celui dit de « solidarité vindicative » développé par le criminologue canadien Maurice Cusson. Il s’agit d’un devoir, d’une nécessité, lorsque les autorités étatiques disparaissent ou se montrent durablement affaiblies, de faire bloc avec son « clan » – sa famille, sa corporation, ses voisins, etc. – pour défendre sa vie, ses biens et son honneur. Un mécanisme hélas en augmentation dans nos villes aujourd’hui, comme à Dijon, où les dernières nuits d’affrontements violentes témoignaient, selon les dires mêmes du procureur de Dijon Eric Mathais, de la volonté pour des membres de la communauté tchétchène de « venger des violences commises sur un jeune par des personnes issues de la communauté maghrébine ». 

Quelles conséquences cela peut-il avoir sur notre démocratie ?

Xavier Raufer : Là encore, c'est simple. Si ça perdure, les Français de base finiront par concevoir que l'appareil d'État... superstructure politico-administrative.... caste au pouvoir... appelons-les comme on veut, agit toujours plus comme une armée d'occupation, persécutant les Français et laissant leurs ennemis, ceux qui les pillent et molestent, agir à leur guise. Complot ? Non, mais à coup sûr, immense incompétence. Or en pareil cas, les "Gaulois réfractaires" tendent à s'énerver. Le présent gouvernement a déjà compris sa douleur avec les Gilets Jaunes. S'il veut une saison 2 en pire - avec des forces de l'ordre qui ricanent et laissent passer, qu'il continue comme cela.

Guillaume Jeanson : Le désordre, la peur et le recul des libertés. Car la sécurité est évidemment le préalable sans lequel ne peuvent s’exercer pleinement les libertés. Il apparaît à cet égard symptomatique qu’un maire socialiste comme François Rebsamen ait pu ces jours-ci livrer ce constat si préoccupant au sujet de sa ville de Dijon : « puisque la justice passe trop tard et que la police n'a pas les moyens de son action, la communauté tchéchène est venue faire respecter elle-même son droit », avant justement de conclure son propos de façon édifiante, « on n'est plus en république quand ça se passe comme ça ».

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