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Des scientifiques parviennent à faire vivre des vers de terre plus longtemps avec des bactéries : prochaine étape , les humains ?
©Reuters

Supervivant

Le prcessus de vieillissement reste la barière la plus tenace contre l'immortalité. Mais une étude montre que la production d'acide colanique par certaines cellules souches pourrait changer la donne.

Stéphane Gayet

Stéphane Gayet

Stéphane Gayet est médecin des hôpitaux au CHU (Hôpitaux universitaires) de Strasbourg, chargé d'enseignement à l'Université de Strasbourg et conférencier.

 

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Atlantico : Selon une étude menée par le docteur Meng Wang du Baylor College of Medicine, certaines souches de E. Coli seraient capable de produire de l'acide colanique permettant de rallonger la longévité. Jusqu'ici, les expériences ont été menées sur des vers.  Mais pourquoi ces résultats peuvent être enthousiasmants?

Stéphane Gayet : Le processus de vieillissement est schématiquement le même pour la plupart des êtres vivants animaux constitués de nombreuses cellules (métazoaires) organisées en tissus, organes et appareils. Chacune des cellules d’un métazoaire porte dans son génome (patrimoine génétique : les chromosomes) des informations concernant le déroulement de son vieillissement naturel et la survenue de sa mort plus ou moins précisément programmée. Cette longévité d’espèce est imprécise, car elle varie selon les individus et leurs conditions de vie. Mais elle s’inscrit le plus souvent à l’intérieur de limites connues empiriquement. C’est ainsi que pour un très grand nombre d’espèces animales, on connaît la longévité moyenne.

En ce qui concerne l’espèce humaine Homo sapiens, la longévité augmente régulièrement du fait de l’amélioration des conditions de vie et la prévention de nombreuses maladies et accidents. Il n’en reste pas moins vrai que nous commençons toutes et tous à vieillir à partir de l’âge de 25 ans, et cela quoi que l’on fasse, et que notre espérance de vie semble - selon différentes études - théoriquement incapable de dépasser l’âge de 150 ans, qui serait donc la limite extrême impossible à repousser. Cette notion va bien sûr à l’encontre du discours transhumaniste séduisant qui nous promet à moyen terme une espérance de vie à plus de 500 ans, ce qui est contraire à nos connaissances de biologie cellulaire. C’est l’occasion de préciser que, lorsqu’un individu âgé de 50 ans renouvelle comme tout un chacun son épiderme, les cellules « jeunes » qui naissent de la couche germinative basale de son tissu épidermique ont en fait, malgré leur apparence juvénile, un âge génétique de 50 ans. C’est vrai de toutes nos cellules. Ainsi, certes nos tissus se renouvellent sans cesse, mais pas en formant des cellules réellement jeunes. Les expériences de clonage animal ont permis de corroborer cette notion.

Beaucoup de travaux de recherche sont menés sur le vieillissement cellulaire et tissulaire et sur la façon dont on pourrait le ralentir. Car l’amélioration de notre niveau de vie, l’essor technologique phénoménal qui y contribue, les progrès spectaculaires de la médecine et de l’hygiène – c’est-à-dire la prévention et non pas la propreté – sont autant d’incitations à nous pousser à chercher comment vieillir moins vite et vivre plus longtemps. Aujourd’hui, une personne âgée de 80 ans qui a réussi à se maintenir en bonne santé, qui conserve une vie autonome et active - avec des facultés intellectuelles et physiques satisfaisantes – n’est pas très enthousiaste à l’idée de mourir dans dix ans. Elle peut légitimement espérer vivre encore 20 ans et pourquoi pas plus, ne serait-ce que pour écrire, lire, partager ses expériences, s’adonner à ses passions et voir grandir ses petits-enfants. D’où le grand intérêt suscité par les substances qui pourraient faire reculer l’âge de la mort. Ce qui réussit à un ver nourrit donc un espoir pour l’homme, même s’il est faible.

Quels étaient, jusqu'à la parution de cette étude, les applications connues de l'acide colanique? Existait-il d'autres produits capables d'augmenter la longévité d'un être vivant?

Le monde animal et végétal est un vivier infini de substances dont on ne peut soupçonner tous les intérêts. La très grande majorité des médicaments provient de plantes ou de microorganismes comme les bactéries et les champignons (antibiotiques). Il est à la fois plus intuitif et plus simple d’explorer d’abord l’arsenal moléculaire des plantes, que l’on peut sélectionner, cultiver, récolter, broyer, filtrer, concentrer, etc., pour en extraire des produits ayant une activité pharmacodynamique. La découverte de la pénicilline, antibiotique produit par un champignon, a été fortuite. Elle nous a enseigné que les microorganismes pouvaient être comme les plantes des armoires à pharmacie.

En réalité, une bactérie est une cellule vivante, donc une usine chimique microscopique, mais très active. Les bactéries produisent de très nombreuses substances encore peu explorées. L’acide colanique est une molécule de type polysaccharidique, c’est-à-dire un sucre complexe. Il est produit par de nombreuses bactéries appartenant à la famille des Entérobactéries, qui vivent dans l’intestin de l’homme et des animaux. Dans cette grande famille bactérienne, on trouve les colibacilles (Escherichia coli), les proteus, les salmonelles, les yersinias, les klebsielles, les enterobacters, les serratias, etc., autant de bacilles à Gram négative occupant une place importante en pathologie humaine (infections urinaires, infections post-opératoires, septicémies…). Les souches de colibacille produisant de l’acide colanique le secrètent en dehors de leur cytoplasme, c’est-à-dire à l’extérieur de la cellule bactérienne : il fait partie des substances extracellulaires. C’est en cela que cette molécule est un exopolysaccharide. Lorsque l’acide colanique a été secrété à l’extérieur de la paroi bactérienne, il peut, soit rester sous cette forme et participer à la couche visqueuse lâche qui entoure la bactérie – appelée glycocalyx -, lui permettant d’adhérer aux surfaces, soit s’associer à des lipides et participer à la capsule bactérienne constituée de lipopolysaccharides (LPS). La capsule bactérienne est un élément inconstant qui caractérise les souches virulentes ou pathogènes d’entérobactéries (comme le bacille de la fièvre typhoïde). Lorsqu’il est intégré à la capsule bactérienne, l’acide colanique prend le nom d’antigène M, étant donné qu’il est immuno actif. On pouvait difficilement s’attendre à ce qu’un constituant du glycocalyx ou de la capsule d’une bactérie pathogène ait le pouvoir d’augmenter la longévité d’un être vivant tel qu’un ver.

Les efforts des chercheurs pour trouver des substances capables de s’opposer au vieillissement sont peu couronnés de succès. On s’oriente aujourd’hui surtout vers les molécules pouvant retarder le vieillissement artériel, car, indépendamment de l’âge génétique de nos cellules, c’est en grande partie par nos artères que nous vieillissons. Les artères qui prennent de l’âge ont tendance à durcir (artériosclérose), à voir leur diamètre utile diminuer (athérosclérose) et même à s’obstruer (ischémie, infarctus). C’est ainsi que notre cerveau, nos reins et notre cœur vieillissent en grande partie par leurs artères. Beaucoup de compléments alimentaires (vitamines, oméga-3, oméga-6…) contribuent à ralentir le vieillissement artériel. Par ailleurs, les réactions d’oxydation cellulaire participent au vieillissement des cellules, d’où l’idée de se tourner vers les antioxydants. Parmi ceux-ci, le plus connu et le plus utilisé est la vitamine C ou acide ascorbique. Si aucune étude scientifique n’a véritablement pu montrer que sa consommation régulière ralentissait le vieillissement du corps, il y a tout de même de temps à autre des personnes qui expliquent qu’ils doivent leur longévité et leur bonne forme à plus de 90 ans, à la consommation régulière de vitamine C. À dire vrai, aujourd’hui, il est presque impossible de n’en pas consommer, car elle est partout : fruits, légumes, jus, boissons sucrées, lait, etc. Il faut préciser qu’à fortes doses, elle excite et perturbe le sommeil, et qu’elle peut favoriser la formation de calculs urinaires, voire même contribuer à altérer la paroi des artères, soit le contraire de ce que l’on souhaite. Donc, attention à rester dans une consommation raisonnable.

Comment cette étude vient-elle renforcer l'importance accordée au microbiote intestinal, présent dans tous les tubes digestifs (dont celui de l'Homme)?

Dans l’étude citée en référence, il s’agit de vers dont l’intestin est colonisé par des souches de colibacille produisant de l’acide colanique. Comme nous l’avons vu, cette molécule de type polysaccharidique est secrétée hors de la cellule bactérienne et se retrouve donc dans le milieu extracellulaire. À partir de là, elle peut diffuser dans l’ensemble de l’organisme du ver. Or, l’étude en question a montré que ces vers vivaient significativement plus longtemps que d’autres vers semblables, mais non colonisés par des souches de colibacille produisant cette substance. Elle pourrait donc avoir un effet retardateur du vieillissement.

C’est en effet encore une pierre de plus à l’édifice microbiotique. Longtemps appelé la flore intestinale - terme évoquant le monde végétal et donc perfectible - le microbiote intestinal est l’ensemble des bactéries qui vivent en permanence dans l’intestin de l’homme et des animaux. Depuis une quinzaine d’années, on s’intéresse très vivement au microbiote intestinal humain, car son rôle et son pouvoir apparaissent, à la lumière de nombreuses études, tout à fait phénoménaux. C’est une masse importante, car pesant plus d’un kilogramme. Il est constitué d’espèces bactériennes très variées, et sa diversité et son abondance paraissent être des facteurs de bonne santé. Pour résumer le rôle de cette énorme population bactérienne que l’on propose de considérer aujourd’hui comme un véritable organe supplémentaire, les bactéries qui la constituent produisent des substances extracellulaires – dont l’acide colanique n’est qu’un exemple – qui diffusent dans la lumière intestinale, passent dans le sang et agissent sur de très nombreuses cellules de notre corps. Certaines substances élaborées par le microbiote intestinal peuvent ainsi avoir une action sur des cellules glandulaires (modulation de la production de diverses hormones) ou des cellules nerveuses, en jouant dans ce second cas le rôle de neuromédiateurs (fonctionnement cérébral notamment). Beaucoup reste à faire, mais c’est un champ de recherche riche en perspectives et donc très stimulant.

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