Des "risques financiers trop grands" pour risquer un échec de la réforme des retraites ? Pas du point de vue des marchés et voilà pourquoi<!-- --> | Atlantico.fr
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Emmanuel Macron et Bruno Le Maire lors d'un conseil des ministres à l'Elysée.
Emmanuel Macron et Bruno Le Maire lors d'un conseil des ministres à l'Elysée.
©ludovic MARIN / POOL / AFP

49-3

Le président de la République a invoqué l’argument de la crédibilité de la France sur les marchés pour justifier le recours au 49-3 sur les retraites alors qu’elle se joue très largement ailleurs que sur cette réforme aux yeux des marchés.

Don Diego De La Vega

Don Diego De La Vega

Don Diego De La vega est universitaire, spécialiste de l'Union européenne et des questions économiques. Il écrit sous pseudonyme car il ne peut engager l’institution pour laquelle il travaille.

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Atlantico : « Je considère qu’en l’état, les risques financiers, économiques sont trop grands. » C’est ainsi qu’Emmanuel Macron a justifié, jeudi 16 mars, en conseil des ministres, le recours au 49.3 pour faire passer sa réforme des retraites. Est-ce une crainte légitime ? 

Don Diego de la Vega : C’est surréaliste. Et c'est juste une petite perversion minable. Il profite de l’ignorance des gens sur le fonctionnement du système pour essayer de se défendre. C’est honteux. Il n’y a pas de lien entre ce qui se passe au quotidien chez nous, en matière de politique, de réformes ou même de finances publiques, et ce qui se passe sur les taux d’intérêts. Les pays occidentaux ont à peu près tous les mêmes taux d’intérêts, à quelques écarts temporaires près. Sur les taux courts, ce sont les banques centrales qui gouvernent. Et les politiques de taux ne sont absolument pas liées à la situation française. Et sur les taux longs, ceux qui influent beaucoup sur l’immobilier, c’est le marché qui est à la manœuvre. Et ils s’en fichent complètement de ce que fait Emmanuel Macron, pour un peu ils ne savent pas qui il est. Ce qui est certain, c’est qu’ils n’ont aucune information ou presque sur l’existence d’une réforme des retraites en France, ni d’un dispositif institutionnel appelé 49-3. Donc ils s’en fichent. Ce qui les intéresse, ce sont les décisions de la banque centrale, les prévisions de croissance, etc. Et globalement, la conclusion, partout, c’est qu’il y a très peu de chances pour qu’il y ait une faillite l’année prochaine. Le risque de faillite sur un OAT 10 ans (obligations assimilables du Trésor) est quasiment pricé à 0. Le marché ne croit pas non plus à l’inflation statistique à 7% observée. Le marché regarde les anticipations d’inflation structurelles à moyen terme, pas le panier de la ménagère. Pour avoir des taux d’intérêt qui varient en fonction des actions, il faudrait soit devenir nazis, soit devenir communistes, ou alors être dans des pays émergents, les plus en retard, où le marché estime un risque intrinsèque, de défaut ou politique. Il n’y a pas un président français qui a fait bouger les taux depuis, au plus tôt, François Mitterrand. Donc quand Emmanuel Macron justifie de passer au forceps parce que, dans le contexte, la France serait sanctionnée et se heurterait à des taux plus élevés, c’est une forfaiture. Et si Emmanuel Macron voulait vraiment préserver la France de la hausse des taux d’intérêt, il écrirait à la BCE. La Banque centrale européenne a encore une fois augmenté les taux d'intérêt de 50 points de base. S’il voulait agir, le chef de l'Etat ferait pression sur Francfort. Emmanuel Macron mènerait une politique de la chaise vide pour freiner la BCE qui est en train de tuer l’économie. Non seulement il ne le fait pas, mais il envoie à Francfort des anciens banquiers qui ont intérêt à ce que les taux montent et ils sont très pro-allemands. S’il entamait un bras de fer, la BCE riposterait sans doute, ce qui conduirait à une hausse des taux de la France par les marchés qui ne croieraient pas en une victoire française.

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Comparer la courbe des taux d’intérêt avec le calendrier des réformes de ces 30 dernières années montre bien qu’il n’y a aucune corrélation. Le Japon en est la preuve. Et même le niveau de dette n’importe pas en tant que tel. Ce qui compte, c’est l’équilibre entre l’offre et la demande de dette. La dette française n’a cessé de monter et pourtant les taux d’intérêt n’ont pas sensiblement évolué. Le spread de taux franco-allemand, qui est la différence entre les taux d’intérêt des deux pays, stagne entre deux valeurs proches depuis plus de dix ans, alors qu’on souligne souvent le réformisme allemand (même s’il n’y a pas eu de vraies réformes depuis Gerhard Schröder). Si les taux d’intérêt suivaient les réformes, Reagan aurait eu des taux bien plus bas que Joe Biden. Silvio Berlusconi était d’une sagesse fiscale impressionnante, mais ses taux étaient élevés car il se battait contre la BCE qui lui faisait du chantage.

Le seul évènement d’aujourd’hui, c’est donc la hausse de 50 points de base décidée par la BCE malgré le bank run de SVB et du Crédit Suisse ?

Absolument. Les marchés, ça peut tout à fait être un vieux fou japonais qui ne connaît rien à la France hormis la tour Eiffel. L'événement c’est la hausse des taux de la BCE qui va nous plomber, comme les autres hausses de taux le faisaient, en particulier après ce qu'il s’est passé dans la semaine qui vient de s’écouler. La petite phrase d'Emmanuel Macron est soit un signe d’ignorance soit un signe de grande hypocrisie.

On peut éventuellement pardonner à ceux qui prennent des décisions de bonne foi, qui déclarent des choses de bonne foi, sur la politique à mener. Mais Emmanuel Macron sait ce qu’il fait, c’est du cynisme pur et dur. C’est le mensonge déconcertant mitterrandien. Et le pire, c’est que cela fonctionne, parce que les gens croient que c’est vraiment comme cela que les choses se passent.

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