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Des chercheurs montrent qu’être pauvre peut affecter l’intelligence en attaquant certaines zones du cerveau
©Reuters

Têtes brûlées

Une nouvelle étude publiée dans l'American journal of preventive medecine établit une corrélation entre le niveau de pauvreté et le fonctionnement du cerveau. Passé un certain seuil, les dégâts sont irrémédiables.

Jacques Dayan

Jacques Dayan

psychologue, psychiatre, spécialiste des stress post- traumatiques, auteur de l’étude : La mémoire dans l’Etat de Stress Post-Traumatique : Stress et Mémoire Emotionnelle (SEME)

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Atlantico : Pouvez-vous décrire un peu plus précisément les tenants et les aboutissants de cette nouvelle étude (voir ici? Comment la pauvreté, à travers ses conséquences sur le mode de vie, peut-elle nous rendre "moins" intelligent ? Cette conclusion est-elle également valable en France ?

Jacques Dayan : Il s'agit d'une étude longitudinale, commençant après l’admission à l’Université. Elle a évalué les capacités cognitives des mêmes jeunes adultes pendant plusieurs décennies, en prenant en compte leur niveau de revenus, leur état de santé et leur mode de vie. Elle montre un impact du revenu - indépendant de l’état de santé et des autres conditions sociales - sur les performances intellectuelles. Cette étude quasi prospective suggère que la pauvreté impacte l’efficience intellectuelle plutôt que l’inverse. Toutefois les tests utilisés mesurent seulement une partie des capacités cognitives, et certainement pas l’intelligence dans l’ensemble. De plus, il s’agit d’une moyenne : il ne faut pas conclure que ces moins bons résultats sont vérifiés pour la totalité de la population en situation difficile. Ne sont évidemment pas exceptionnels des personnes à l’intelligence réduite en situation aisée ni des sujets brillants en situation de pauvreté. Par ailleurs, cette étude ne permet pas avec certitude de distinguer un effet transitoire de la pauvreté d’une atteinte durable de l’intelligence.

Il n’y a pas de raison de penser que ces résultats sont restreints à la population américaine ! Toutefois, peut-être du fait d’une meilleure aide sociale et en matière de santé, il a été montré que l’impact de la pauvreté sur les performances intellectuelles existait mais était moins important en Europe (de l’Ouest) qu’aux Etats-Unis.

Concernant l’ensemble des études sur ce sujet, les chercheurs ont réussi à prouver que les personnes évoluant dans des milieux défavorisés obtenaient plus souvent de moins bons résultats aux tests que les sujets évoluant dans des milieux aisés, ce qui est valable dans tous les pays du monde, y compris en France. La tendance est significative et forte : elle montre en moyenne de moins bons résultats au sein de la population socialement défavorisée. Ceci est peu discutable.

Quelles sont les facteurs principaux de ce résultat ? En d'autres termes, quelles sont les incidences de la pauvreté les plus destructrices d'un point de vue neurologique ?

La pauvreté exerce un effet négatif, statistiquement quasi-linéaire dans certaines études, sur l’intelligence quand on prend en compte l’enfance. Il existe de surcroit des seuils de pauvreté qui une fois franchis s’associent à des effets particulièrement négatifs.  Les personnes en stress extrême du fait de leur pauvreté orientent leur intelligence, quand elle n’est pas affaiblie physiologiquement, par le manque de sommeil par exemple, vers l’amélioration immédiate de leurs conditions, la protection contre de nouveaux stress et aussi l’adoucissement des affects pénibles avec le risque inhérent de consommation de produits toxiques, alcool ou autres.

Il existe au moins deux types de facteurs impliqués dans l’affaiblissement des performances intellectuelles.

Les premiers sont des facteurs transitoires, contemporains de la période où les tests ont été effectués. Ils n’entrainent aucune modification durable de la structure cérébrale. Le chômage, mais aussi toute situation sociale peu valorisante peut entrainer des conséquences sur l’estime de soi, l’attention, les relations sociales, etc. Le stress engendré par la pauvreté peut empêcher de se concentrer avec réussite sur les tests, de mobiliser adéquatement ses capacités cognitives, mais aussi, ce qui est moins exploré, entrainer des conduites d’échec et une altération du raisonnement, par masochisme, culpabilité ou faible estime de soi (effet Pygmalion). Ces derniers effets "psychologiques" ont même été retrouvés dans des jeux de rôle ou certains sujets testés étaient placés dans une situation de pauvreté et d’autres de richesse.

Que la pauvreté soit ancienne et pérenne ou récente, elle peut s’accompagner de troubles anxieux ou dépressifs, favoriser l'alcoolisme et la consommation de drogues, qui tous impactent le fonctionnement cérébral et à l’extrême sa structure.

La pauvreté la plus délétère est celle qui s’est instauré dans l’enfance et a été importante et durable. En effet, dans ce cas, on retrouve deux types de résultats. Le premier est quasi-linéaire et statistique : plus le revenu des parents est faible, plus le risque que le QI des enfants soit abaissé est établi. Encore une fois, il ne s’agit pas d’une réalité individuelle mais d’un résultat statistique global. Un autre est liée à un effet seuil : en deçà d’un certain seuil, la pauvreté s’accompagne d’une réduction visible de la matière grise, notamment dans des zones comme le cortex préfrontal. Au-delà, la pauvreté n’entraine pas des effets sur le cerveau mesurables mais néanmoins une baisse des performances statistiquement significative.

L’explication en est l’accumulation de facteurs de risques produits par la pauvreté. Ils interagissent défavorablement les uns avec les autres. Le stress durable et/ou sévère peut altérer les structures cérébrales, entrainer des modifications épigénétiques, c’est-à-dire une modification de certains gènes, notamment par des conditions difficiles ou inadaptées des premiers soins. D’autres facteurs aussi interviennent comme une moins bonne prise en charge sanitaire, une éducation de moins bonne qualité, le manque de calme, parfois les violences et enfin les troubles anxieux ou dépressifs plus fréquents…mais aussi une moins grande disponibilité émotionnelle, des conditions d’angoisse et d’anxiété maternelle dont les effets sont majorés durant les premiers mois de vie. Ils peuvent affecter l’état émotionnel comme le développement intellectuel. Chez l’enfant, des troubles qui gênent l’apprentissage sont plus fréquemment présents en dessous du seuil de pauvreté tels les troubles de l’attention avec hyperactivité ou la dyslexie. Enfin, les effets toxiques directs (alcoolisme, consommation de drogues) peuvent aussi intervenir, par intoxication fœtale notamment.

Un facteur particulièrement nocif pour le développement du cerveau des enfants consiste dans l’inadéquation grave des premiers soins, les carences de soins ou des agressions répétées (brutalité, violences physiques surtout mais aussi parfois agressions verbales et dévalorisation). Si ces risques existent dans tous les milieux, ils semblent un peu plus fréquents dans les milieux socialement très défavorisés. Le développement des enfants en grande pauvreté est plus susceptible d’être impacté par de tels phénomènes, surtout si leurs parents souffrent eux-mêmes de troubles tels qu’un syndrome de stress post traumatique ou de carences durant leur propre enfance, facteurs pouvant aussi liés en partie à la pauvreté. Dans tous les milieux, l'estime de soi, initialement développée chez l'enfant grâce à l'éducation bienveillante de ses parents, est un facteur clef sans lequel il est plus difficile de se projeter dans l'avenir et de se consacrer avec intérêt aux tâches intellectuelles : ainsi l’investissement adapté de l’enfant par ses parents même en situation de pauvreté est un facteur de protection.

Cette étude suggère également que les personnes "très instruites" perdent leurs capacités cognitives lorsqu'elles tombent sous le seuil de pauvreté (lors d'une période de chômage, par exemple). A partir de combien de temps la pauvreté peut-elle impacter notre cerveau ?

Immédiatement, mais de façon réversible. Pour le prouver, des chercheurs ont organisé l’équivalent de jeux de rôles : un premier groupe de personnes test devait se "mettre dans la peau" d'une personne pauvre alors qu'un deuxième groupe devait se "mettre dans la peau" d'une personne riche, puis réaliser des tests évaluant leurs performances cognitives. Rien qu'à l'idée d'être une personne pauvre, et des conditions qui y étaient associées, précisées lors du test, les personnes appartenant au premier groupe test ont obtenu de bien moins bons résultats que les personnes s'imaginant qu'elles étaient riches. 

De la même façon, l'impact de la pauvreté sur le cerveau des jeunes de moins de 25 ans aurait des conséquences sur leurs capacités cognitives quand ils auront 40 ans. L'impact de la pauvreté sur le cerveau est-il réversible ? Peut-on récupérer toutes nos capacités cognitives si l'on arrive à sortir de la pauvreté ?

La réversibilité est certaine mais comment, pourquoi et dans quelle mesure est mal connu. Les études sur les jeux de rôles et mises en situation indiquent la réversibilité complète quand elle résulte de certains facteurs temporaires. Une étude au Mexique a montré qu’en augmentant le revenu des familles très défavorisées les performances intellectuelles des enfants augmentaient. Dans une étude ancienne aux Etats-Unis, des enfants noirs ont été placés dans des familles particulièrement aisées et blanches. Leur QI mesuré était supérieur à celui des enfants laissés dans des familles pauvres et noires, mais aussi supérieur à la moyenne des enfants blancs de la même école, de revenus moindre que les familles adoptantes. Des études ont été menées sur des enfants placés dans les orphelinats de la Roumanie communiste qui miment les conditions d’extrême pauvreté avec de surcroit des donneurs de soins toujours inadéquats. Les enfants étaient souvent correctement nourris et leur santé physique était à peu près assurée. Toutefois ils recevaient très peu de stimulations et, sauf exceptions, aucune démonstration affective des soignants et des encadrants. Le résultat en était un retard intellectuel presque systématique et une atteinte cérébrale avec réduction du volume du cerveau. Même dans ces conditions extrêmes, une réversibilité plus ou moins importante à la fois de certains aspects des modifications cérébrales et des performances pouvait être obtenue s’ils étaient placés suffisamment longtemps et assez tôt dans une famille prenant bien soin d’eux.

Une partie de la baisse de l’efficience cognitive associée à la pauvreté est due à des phénomènes d’adaptation. L’intérêt, l’intelligence et l’attention sont déplacés vers la résolution de problèmes liés à un environnement défavorable et à la précarité, c’est-à-dire l’incertitude du lendemain et la lutte contre les facteurs de stress. Elle est réversible. C’est aussi le cas quand certains facteurs défavorables disparaissent : un moindre stress, une meilleure estime de Soi et la disparition des troubles anxieux ou dépressifs s’accompagnent d’une amélioration des performances. Les effets d’une pauvreté durable durant l’enfance, d’autant qu’elle se situait en deçà d’un certain seuil, restent réversibles mais moins systématiquement, moins rapidement, et moins totalement.

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