Derrière le ras-le-bol des chefs d’entreprise, le match des "toujours plus" : qui des entrepreneurs ou de l’État en fait trop ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Plusieurs syndicats patronaux (dont le MEDEF, la CGPME et l'UPA) appellent à une mobilisation du 1er au 5 décembre.
Plusieurs syndicats patronaux (dont le MEDEF, la CGPME et l'UPA) appellent à une mobilisation du 1er au 5 décembre.
©Reuters

Bras de fer

A l'initiative de plusieurs syndicats du patronat (dont la CGPME, le MEDEF et l'Upa), une mobilisation est organisée du 1er au 5 décembre pour exprimer le mécontentement des chefs d'entreprises. Mais entre les entrepreneurs et leurs revendications ou l’Etat, ses impôts et ses complications administratives, qui est le plus fautif ?

Jean-Charles Simon

Jean-Charles Simon

Jean-Charles Simon est économiste et entrepreneur. Chef économiste et directeur des affaires publiques et de la communication de Scor de 2010 à 2013, il a auparavent été successivement trader de produits dérivés, directeur des études du RPR, directeur de l'Afep et directeur général délégué du Medef. Actuellement, il est candidat à la présidence du Medef. 

Il a fondé et dirige depuis 2013 la société de statistiques et d'études économiques Stacian, dont le site de données en ligne stacian.com.

Il tient un blog : simonjeancharles.com et est présent sur Twitter : @smnjc

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Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe est le fondateur du cabinet Parménide et président de Triapalio. Il est l'auteur de Faut-il quitter la France ? (Jacob-Duvernet, avril 2012). Son site : www.eric-verhaeghe.fr Il vient de créer un nouveau site : www.lecourrierdesstrateges.fr
 

Diplômé de l'Ena (promotion Copernic) et titulaire d'une maîtrise de philosophie et d'un Dea d'histoire à l'université Paris-I, il est né à Liège en 1968.

 

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Atlantico : Les accords avec les entreprises et l'Etat durant ces deux dernières années font-ils ressortir un déséquilibre particulier entre demandes de contreparties du gouvernement et mesures accordées aux entreprises ?

Jean-Charles Simon : Il est assez normal que les chefs d'entreprise soient, pour utiliser l'expression de Pierre Gattaz, “à bout”. La conjoncture économique reste très difficile, et il faut réaliser que depuis plus de six ans, nous sommes quasiment en crise ou au mieux en stagnation, sans véritable amélioration. C'est donc très long et très éprouvant pour les milieux économiques.

Un chiffre l'atteste : le taux de marge des entreprises n'a cessé de se détériorer sur cette période, et il est au plus bas au deuxième trimestre 2014, la dernière donnée disponible. A 29,4%, c'est le plus faible niveau enregistré depuis le milieu des années 80, et ce malgré la prise en compte des premiers effets du CICE. L'autre élément de mécontentement est vraisemblablement l'écart entre les discours et les actes. Pour l'instant, les entreprises ont surtout encaissé les hausses de prélèvements décidées par les majorités successives depuis 2011.

Or, depuis la fin 2012 et le rapport Gallois, on leur parle tous les jours de baisses d'impôt, d'un tournant au service de leur compétitivité, d'efforts sans précédents en leur faveur. Et on leur demande donc des contreparties ! Alors qu'elles voient tout juste le début de ces baisses de prélèvements cette année avec la première application, partielle, du CICE. Et même si le Medef charge la barque dans ses chiffrages, on restera encore loin du niveau de 2010 en matière de prélèvements sur les entreprises à fin 2015. Dès lors, s'étonner qu'elles ne créent pas d'emplois en face d'allègements d'impôts qui n'existent pas ou pas encore, c'est presque de la provocation.

Le gouvernement ne détient certes aucun pouvoir de contrainte sur le nombre d'embauches ou les investissements des entreprises. Dans ces conditions, est-il raisonnable pour un gouvernement d'exiger ce type de contreparties ?

Jean-Charles Simon : Ce n'est pas raisonnable ! Le gouvernement n'a pas de pouvoir de contrainte sur les embauches ou les investissements du privé. Mais le patronat pas davantage. Toute l'erreur de cette séquence, des deux côtés, est d'avoir évoqué un “pacte”, avec des engagements ou des contreparties.Parler d'un million d'emplois en cinq ans si certaines mesures étaient adoptées, ce n'était vraiment pas une bonne idée, car la réalité économique est plurielle et qu'il n'y a jamais rien d'automatique en la matière.

Entre 1998 et 2001, le rythme était d'environ un million d'emplois en deux ans. Mais la conjoncture internationale était excellente. Réciproquement, même si des mesures favorables aux entreprises sont adoptées, l'emploi peut ne pas être tout de suite au rendez-vous si la conjoncture est mauvaise. D'une manière générale, chacun devrait rester dans son rôle. Le gouvernement, en adoptant les mesures qui sont les plus favorables à l'économie sans en faire un marchandage ou un donnant-donnant. Le patronat, en martelant ce qui est bon pour les entreprises sans faire de promesses inutiles qu'il n'est pas en mesure de tenir. Et les deux devraient bannir les discours qui renvoient à une vision un peu puérile de l'économie, celle dont quelqu'un tiendrait les manettes et qui réagirait de manière mécanique.

Certaines mesures parallèles, ou éléments conjoncturels, ont-ils pu parasiter les perspectives prévues ?

Jean-Charles Simon : Comme je l'évoquais, la conjoncture d'ensemble est bien sûr déterminante. Si la zone euro n'avait pas replongé à partir de fin 2011, si l'environnement international était plus porteur, l'exaspération serait sûrement beaucoup moins forte. Le sentiment que les prélèvements n'ont jamais été aussi élevés pèse également sur les entreprises.

De ce point de vue, le choix du CICE, mécanisme beaucoup plus complexe et moins immédiat qu'une baisse de charges, n'est pas convaincant. Le même effort budgétaire via une baisse de charges aurait eu un impact psychologique et économique bien supérieur.

De même, la mise en œuvre du pacte de responsabilité est trop lente. On en parle depuis un an et il n'aura ses premiers effets qu'en 2015. Le gouvernement aurait dû choisir un autre rythme d'allègement des prélèvements obligatoires pour enclencher une dynamique positive. Et il y a tout le reste, que met aujourd'hui en avant le patronat. La mise en place du compte pénibilité, qui apparaît comme une complexité et une charge supplémentaire pour les entreprises. Ou encore la loi Hamon sur la cession des entreprises, dont l'impact, même s'il est surtout symbolique, est désastreux. Ce sont les résidus des concessions de la majorité à son aile gauche qui brouillent son discours pro-entreprises. Le pire étant sûrement la loi Duflot dans le secteur de la construction et de l'immobilier, qui apparaît comme une caricature d'interventionnisme.

Quelle lecture politique peut-on faire de chacune des positions, entre le gouvernement d'un côté, et des représentants patronaux de l'autre ? Qu'ont obtenu les entreprises et le gouvernement suite aux négociations entreprises depuis 2012 ?

Eric Verhaeghe : Il me semble que le mouvement de mobilisation patronale tel qu'il est présenté témoigne d'abord de la profonde crise du corporatisme en France. Je suis allé sur le "terrain" la semaine dernière et j'ai effectivement entendu le malaise global des entrepreneurs face au marasme. Ce malaise est profond. On me citait le cas, sur la Côte d'Azur, d'un patron de bureau d'études - dans le BTP donc - qui avait commencé il y a vingt ans avec 3 associés. Les trois associés sont partis à la retraite. Ce bureau d'études tourne désormais avec un seul associé et a dû licencier tous ses salariés. L'associé restant a réalisé un chiffre d'affaires de 120.000 euros l'année dernière. Il en fera 100.000 cette année, et l'an prochain, il n'a à ce stade que 15.000 euros prévus. Des exemples de ce type, je peux en fournir des dizaines. Le marasme est de plus en plus dur à vivre et l'angoisse monte. Voilà une raison simple pour laquelle les patrons sont en colère. Leur activité s'effondre.

Il est assez curieux de voir que la mobilisation patronale ne s'appuie pas sur ce discours simple : les patrons sont en difficulté, et pourtant ils veulent créer de l'emploi et fabriquer de la prospérité. Cette envie de produire du bien commun pourrait servir de fondement à une communication positive et qui plus est totalement sincère. Je ne rencontre que des patrons qui ont envie de développer leur activité et qui sont fiers de pouvoir recruter pour accompagner leur développement.

Ce message positif est curieusement retranscrit de façon négative par les mouvements patronaux reconnus représentatifs. Là où les patrons sont pour un regain d'activité, le discours du MEDEF et de la CGPME se traduit par un discours contre le gouvernement. Là où les chefs d'entreprise ont envie d'exprimer une ambition pour la société, la récupération du mouvement par les syndicats patronaux est extraordinairement réductrice et stigmatisante.

Le MEDEF, comme la CGPME, ne représentent pas les entreprises, ni leurs ambitions, mais sont des acteurs d'un système corporatiste obsolète. Le problème des mouvements patronaux est d'utiliser leurs adhérents pour défendre un bout de gras. Rappelons d'ailleurs que MEDEF, CGPME et UPA bénéficient désormais d'un financement obligatoire assuré par les salariés, comme l'a prévu la loi du 5 mars 2014 sur la démocratie sociale. Voilà qui mériterait une belle question prioritaire de constitutionnalité. Je suis moi-même employeur et je ne vois absolument pas pour quelle raison je suis désormais obligé de financer le MEDEF, ou la CGPME, ou l'UPA, dont je ne suis pas adhérent, et qui ne font d'ailleurs aucun effort pour recueillir des adhésions.

Reconnaissez que c'est un comble : cette charge nouvelle qui pèse sur les entreprises, et qui sert à financer les syndicats patronaux, est d'abord utilisée pour envoyer des milliers de représentants dans des conseils d'administration paritaire absolument inutiles, où l'on pérore pendant des heures sur le sexe des anges avec notre argent. Je ne comprends comment Pierre Gattaz peut encore se présenter comme un représentant des patrons quand on sait ce qui lui permet de faire vivre son siège.

Jean-Charles Simon : J'imagine que pour le gouvernement, le durcissement du patronat est difficilement compréhensible. Il faut bien mesurer que politiquement, il a le sentiment d'avoir fait des gestes conséquents en sa faveur, en premier lieu les quelque 40 milliards d'allègements qui résulteront, à plein régime et seulement à partir de 2017, du cumul des effets du CICE et du pacte de responsabilité. Comme cela lui coûte cher à gauche, expliquant en grande partie le mouvement des “frondeurs” qui lui laisse à peine 20 voix d'avance sur les grands textes discutés à l'Assemblée, on peut imaginer que le gouvernement ne s'attendait pas à voir le patronat se mobiliser contre lui.

Du côté de celui-ci, je pense que c'est un choix essentiellement tactique. Le patronat a fait une erreur en mettant en avant son slogan “un million d'emplois”, et maintenant que la plupart des mesures promises par le gouvernement sont votées, il veut dire que le compte n'y est pas, qu'il faut prendre en compte les hausses d'impôt passées, etc. Pour mieux récuser tout engagement et se délier de toute promesse de son côté.

Par ailleurs, il s'est réveillé tardivement sur le compte pénibilité, une disposition qui est passée avec la réforme des retraites de 2012, et il veut donc faire monter la pression à ce sujet juste avant son entrée en vigueur. Enfin, le patronat est un peu dos au mur sur un sujet qu'il n'aime pas et qui le divise, le dialogue social dans les petites entreprises, en cours de négociation. Lancer une mobilisation un peu fourre-tout basée sur l'exaspération des patrons est une bonne diversion...

Les revendications actuelles de la part du patronat, qui se focalisent sur le choix de 6 critères supplémentaires du compte de pénibilité ainsi que sur la loi Hamon pour le développement de l’économie sociale et solidaire, sont-elles cohérentes au regard des agendas de ces mesures ? La demande répétée de Pierre Gattaz sur la suppression de l'Impôt sur la fortune témoigne-t-elle d'un besoin de "toujours plus" ?

Eric Verhaeghe : La question de la pénibilité est une vraie question, parce qu'elle illustre la complexification bureaucratique qui tue les entreprises sans soulager les salariés. Parce que les entreprises devront payer pour la pénibilité, et parce que les salariés gagneront du temps de retraite en exerçant des métiers pénibles, la réforme de 2012 sur le sujet ne fera qu'entretenir la pénibilité au lieu de la diminuer. C'est donc une loi très perverse, mais là encore le patronat ne peut que s'en prendre à lui-même sur le sujet. La mise en place d'un mécanisme destiné à lutter contre la pénibilité est sur la table depuis 2003. François Filon avait en effet inscrit dans sa réforme des retraites une négociation interprofessionnelle sur le sujet. Cette négociation s'est ouverte, et le MEDEF a tout fait à l'époque pour qu'elle n'aboutisse pas. Cette attitude suicidaire a une conséquence simple: le MEDEF a laissé la voie libre au gouvernement et à ses mauvaises idées.

Rappelons que tout cela date de 2012 et qu'il a fallu attendre deux ans pour que l'appareil patronal réagisse. Ce retard à l'allumage s'explique là encore par le défaut de représentativité des organisations patronales qui gèrent le corporatisme français. Les gens qui hantent les couloirs et les salles de réunion du MEDEF ou de la CGPME ne sont pas des chefs d'entreprise. Ils ont découvert très tardivement la contrainte concrète que constitue le compte pénibilité. Seul un patron exécutif d'une petite entreprise pouvait la mesurer. Mails le patron exécutif d'une petite entreprise n'a pas le temps de se livrer a du militantisme patronal et il a les mains trop calleuses pour être pris au sérieux par les organisations qui sont supposées le représenter. Rappelons là encore que ces organisations n'ont pas besoin de cotisations apportées par des adhérents, puisqu'elles bénéficient d'un financement obligatoire qui les dispensent d'être "populaires".

C'est pourquoi une organisation comme le MEDEF ne représentent pas les entreprises, mais les intérêts de ceux qui ont le temps de militer. D'où la revendication de Pierre Gattaz sur l'ISF. Personnellement, que les gens qui sont à l'ISF luttent pour son abolition ne me choquent pas. Ce qui me gêne, c'est qu'ils utilisent un mouvement représentatif des entreprises pour le faire. Officiellement, Pierre Gattaz explique que son engagement contre l'ISF s'inspire d'une défense des entreprises: il ne faut pas fiscaliser l'investissement dans les entreprises des assujettis à cet impôt pour permettre l'accès des entrepreneurs au capital. Mais, dans le même temps, Pierre Gattaz ne nous dit rien de ce formidable outil qu'est le crowdfunding. Il ne nous parle pas de la nécessité d'éroder la rente pour permettre l'émergence de nouveaux entrepreneurs. Et l'érosion de la rente, c'est une fonction fondamentale de l'ISF.

Cette obsession de Pierre Gattaz pour des sujets qui n'intéressent que sa fortune personnelle, et son ignorance d'un monde qui change, son incapacité à distinguer le combat des entreprises et ses traditions familiales, tout cela financé obligatoirement (puisque je devrais, à compter du 1er janvier, y apporter mon écot) me parait absolument écoeurant.

Jean-Charles Simon : Les deux mesures, compte pénibilité et loi Hamon sur la cession des entreprises, sont effectivement urticantes pour les chefs d'entreprise. Comme je le disais pour le compte pénibilité, le patronat aurait pu avoir une attitude plus cohérente, en faire un point dur dès l'adoption du principe en 2012, puis ne pas se satisfaire du report partiel qu'il avait obtenu dans un premier temps. Mais c'est aussi une revendication majeure de son principal partenaire syndical, la CFDT.

Une négociation pragmatique à ce sujet aurait donc fait sens. S'agissant de la loi Hamon sur la cession d'entreprises, c'est vraiment une absurdité concédée par la majorité à son aile la plus radicale. Même si la portée réelle de cette mesure est limitée, son effet symbolique est désastreux. Alors même que pour beaucoup de chefs d'entreprise, surtout de TPE ou de petites PME, dans une conjoncture difficile, la cession peut apparaître comme une perspective de délivrance ou au moins un moment clé qu'il ne faut pas parasiter.

Sur l'ISF, Pierre Gattaz a raison sur le fond, et beaucoup font aujourd'hui le même diagnostic, par exemple à droite. Mais il donne en effet un peu l'impression de toujours demander à sens unique, sans rien en retour et parfois à contretemps. Ce qui me semble le plus discutable dans le bilan du patronat, sur longue période, c'est qu'il demande beaucoup aux pouvoirs publics sans vraiment balayer devant sa porte. Par exemple, il est responsable avec les syndicats de près de 100 milliards de prélèvements obligatoires annuels sur les entreprises. Or les régimes gérés accumulent les déficits, les prélèvements ne baissent pas, et au contraire, le patronat a même accepté une hausse des cotisations Agirc/Arrco en 2013 !

De même, il a concédé dans des négociations avec les syndicats des mesures comme la complémentaire santé obligatoire ou le temps partiel minimum de 24 heures. Deux dispositions beaucoup plus contraignantes pour les entreprises que le compte pénibilité ou la loi Hamon ! Avant de protester, le patronat devrait donc commencer par réformer et se réformer...

L'attitude du gouvernement - qui consiste à être dans l'attente de - peut-elle être interprétée comme une démission, un défaussement quant à sa responsabilité sur le front socio-économique ?

Eric Verhaeghe : Le problème du gouvernement me paraît plus grave que vous ne le dites. Pour mettre en place les réformes structurelles que l'Allemagne nous impose (avec, je regrette de le dire, une forme de bon sens), le gouvernement sait qu'il va devoir tailler dans les dépenses publiques. Ce sujet est un dilemme pour lui.

Pour réduire les dépenses publiques, il faudrait rendre la technostructure productive et mettre les fonctionnaires au travail. La semaine dernière, j'avais par exemple un interlocuteur du fisc en ligne à 11h40 qui m'indiquait que l'inspecteur chargé de mon dossier était parti déjeuner. Ce genre d'information montre que, même dans les administrations comme les finances publiques où les suppressions de postes ont été nombreuses, la charge de travail est loin d'être optimale. Pour s'attaquer à ce sujet, l'exécutif doit rentrer en guerre contre son administration, il doit en reprendre le contrôle. C'est un problème, car dans les bureaux de la technostructure se niche l'essentiel des 15% de Français qui sont encore prêts à voter pour François Hollande.

Ces 15% de hollandistes convaincus doivent voter le 4 décembre pour leurs représentants du personnel. Voilà une bonne raison de ménager la chèvre et le chou jusqu'à jeudi. En cas d'annonce brutale, l'équilibre syndical risque d'être bouleversé, et le gouvernement devrait réformer en profondeur avec des forces syndicales hostiles et légitimées par l'élection. La situation serait explosive.

J'en profite pour redire l'importance que cette date du 4 décembre aura dans la deuxième partie du quinquennat. Le gouvernement sait qu'il est arrivé à peu près au bout des économies acceptables au ministère de la Défense, et des économies réalisables sur les budgets d'intervention, notamment dans le domaine de la santé. Il n'a plus le choix : il va devoir tailler dans les missions régaliennes, et entamer des réformes de structure extrêmement douloureuses. Il va les réaliser nez au vent, comme disent les marins. La technostructure refuse en effet de s'engager dans ce tunnel. La direction de la fonction publique, par exemple, qui devrait proposer une grande gestion prévisionnelle des emplois et des compétences, est dirigée par des ectoplasmes qui n'ont aucune idée sur rien et se contentent de faire valoir leur carte du parti socialiste pour préserver leur poste. Elle est la caricature d'un appareil d'Etat où l'immobilisme et la réaction ont pris leur revanche en mai 2012.

C'est le grand sujet de la gauche : elle est faite de fonctionnaires inféodés et réactionnaires, mais pas de gens compétents. Face à ce mur d'immobilisme, un seul chemin peut être suivi : des privatisations massives, pour remettre les systèmes défectueux à plat et les reconstruire dans la durée. L'éducation nationale, par exemple, n'est plus réformable. Tout le monde sait qu'il faudra la privatiser pendant une dizaine d'années en instaurant le chèque scolaire, qu'il faudra licencier massivement les enseignants pour les recruter sur des contrats de droit privé, avant d'envisager la renaissance d'un système public.

Le gouvernement actuel n'a évidemment pas la légitimité pour adopter de telles mesures. Il devra donc renouer quelques bouts de ficelle en attendant que le sujet mûrisse dans les esprits.

Jean-Charles Simon : Comme ses prédécesseurs, ce gouvernement a tendance à surjouer le dialogue social. Grandes conférences sociales annuelles, grands-messes au Conseil économique et social, à l'Elysée ou dans les ministères, agenda social pompeux où l'on s'en remet à la négociation entre les partenaires sociaux...

Cette tendance historique de l'après-guerre s'est renforcée à partir des années 2000, après le passage en force sur les 35 heures. Les partis politiques ont alors tous fait assaut de promesses enfiévrées en faveur du dialogue social, de son respect, et même de sa constitutionnalisation ! Or, par construction, le dialogue social national interprofessionnel aboutit toujours à de l'eau tiède, au plus petit dénominateur commun entre des forces antagonistes qui n'ont rien à gagner à aller au-delà d'un consensus se résumant le plus souvent à la reconduction à l'identique de l'existant.

C'est vrai sur l'assurance chômage, la protection sociale, la formation professionnelle et globalement sur le droit du travail. Dès lors, en s'en remettant à ce dialogue social, les gouvernements se lient les mains et ne peuvent présenter que des compromis décevants. Dans un pays dont le système social serait optimal et déjà modernisé, ce ne serait pas très problématique. Mais en France, où il craque de toutes parts pour avoir été pensé à une époque aujourd'hui complètement révolue, c'est entériner un conservatisme que nous ne pouvons pas nous permettre. Même dans des social-démocraties où les partenaires sociaux sont puissants, les réformes structurelles ne sont venues que d'un pouvoir politique qui passait au-dessus du dialogue social et prenait ses responsabilités, comme dans la Suède des années 90 ou dans l'Allemagne de Schröder. Il est grand temps qu'un gouvernement français agisse de même !

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