Derrière la gêne du gouvernement sur la modulation des allocations familiales, l’égalité à la française sauf pour les fonctionnaires<!-- --> | Atlantico.fr
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Le gouvernement a pour l'instant écarté l'hypothèse de la modulation des allocations familiales.
Le gouvernement a pour l'instant écarté l'hypothèse de la modulation des allocations familiales.
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Remise à plat

François Hollande ne souhaite pas pour le moment engager de modulation des allocations familiales. Résultat : les fonctionnaires restent avantagés par rapport aux salariés du privé en touchant un supplément familial de traitement dont le montant grimpe avec leur niveau de salaire.

Jacques Bichot

Jacques Bichot

Jacques Bichot est Professeur émérite d’économie de l’Université Jean Moulin (Lyon 3), et membre honoraire du Conseil économique et social.

Ses derniers ouvrages parus sont : Le Labyrinthe aux éditions des Belles Lettres en 2015, Retraites : le dictionnaire de la réforme. L’Harmattan, 2010, Les enjeux 2012 de A à Z. L’Harmattan, 2012, et La retraite en liberté, au Cherche-midi, en janvier 2017.

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Atlantico : Le gouvernement a pour l'instant écarté l'hypothèse de la modulation des allocations familiales. Pourquoi ce refus, alors que les parlementaires n'avaient rien contre une instauration des allocations familiales inversement proportionnelles au revenu ?

Jacques Bichot : Manuel Valls a sans doute estimé que les familles avaient assez "trinqué", avec les abaissements du plafond du quotient familial puis les coups de canif donnés à certaines prestations et les mesures dirigistes relatives au congé parental. Il est vrai que non seulement les parlementaires socialistes, et certains parlementaires de droite, comme une partie majoritaire de l’opinion publique, auraient trouvé convenable cette modulation en fonction inverse du revenu, mais il s’agit sans doute d’un réflexe pavlovien lié au matraquage des Français par la pensée unique qui fait de la politique familiale une politique d’aide à la famille.

S’il s’agit d’aide, pourquoi aider ceux qui ont déjà suffisamment pour vivre à leur aise, même avec de nombreux enfants ? En retenant une conception plus juste de la politique familiale, les conclusions logiques ne sont pas du tout les mêmes, mais comme on a fait croire à beaucoup de braves gens que les prestations familiales sont faites pour venir en aide aux enfants pauvres et à leurs parents, ils en tirent avec bon sens que ceux qui leur ont inculqué cette idée devraient aller au bout de cette logique.

Mais électoralement, une chose est d’être d’accord avec un principe, et une autre de voter dans un sens qui conduirait à ce qu’il s’applique à vous. Valls a sans doute craint que les électeurs de droite d’accord avec ce principe ne modifient pas leur vote pour autant, tandis que des électeurs de gauche frappés au portefeuille (ce ne sont plus tellement des ouvriers ni de petits employés) pourraient bien se dire qu’au fond, avec la droite, leurs intérêts seraient mieux protégés.

Un tel refus d'agir ne fait-il pas ressurgir le sujet des allocations familiales versées aux fonctionnaires et assimilés ? Comment fonctionne justement le supplément familial de traitement qui leur est accordé ?

Le supplément familial de traitement, SFT pour les intimes, c’est-à-dire les fonctionnaires, est un fossile qui date d’une ère politique antérieure, celle des prestations familiales versées par certains employeurs, tant privés que publics. En effet, à la fin du XIXe siècle et au début du XXe, les pères et mères de famille qui avaient à entretenir des enfants avec leur seul salaire se trouvaient très en difficulté s’ils étaient ouvriers ou employés au bas de l’échelle des rémunérations, et un certain nombre de patrons, inspirés par des sentiments philanthropiques, et aussi par l’idée que si les gens s’arrêtaient de procréer ils auraient du mal à trouver de la main d’œuvre, décidèrent de verser un sursalaire familial, selon des modalités différentes d’une entreprise à l’autre. 

Les chefs d’entreprise, conscients de l’avantage concurrentiel que pourraient avoir ceux d’entre eux qui ne pratiquaient pas le sursalaire familial, créèrent des chambres de compensation de façon à mutualiser leurs efforts. Peu après la mise en place des assurances sociales, en 1930, la loi du 11 mars 1932 rendit obligatoire les "allocations familiales" et l’affiliation de chaque entreprise à une caisse de compensation. L’État employeur, lui, attendit le régime de Vichy, qui instaura en 1941 le supplément familial de traitement – on n’imaginait pas alors de faire exactement la même chose pour les fonctionnaires que pour les salariés du privée. Supprimé en août 1944, rétabli en janvier 1945, le SFT ne disparut pas lorsque les allocations familiales furent généralisées, et donc accordées aux fonctionnaires.

Ses règles en font une sorte de dinosaure social : pour un nombre d’enfants à charge donné il comporte une modeste partie fixe, et une partie calculée en pourcentage du traitement (3 % pour deux enfants et 6 points de plus par enfant supplémentaire). Les Conseillers d’État perçoivent donc quatre ou six fois plus, à nombre d’enfants égal, que les agents du bas de l’échelle. Cette prestation est très efficace pour limiter les différences de niveau de vie entre fonctionnaires ayant le même nombre de points d’indice, selon le nombre de leurs enfants. Et il n’est pas exclu qu’elle joue un rôle dans la supériorité du taux de natalité observé, à caractéristiques professionnelles équivalente, dans la fonction publique par rapport aux salariés du secteur privé. En revanche, au vu du principe républicain d’égalité, le SFT fait vraiment désordre !

Quelle différence de traitement pour les salariés du privé ?

Le SFT s’ajoute, pour les trois fonctions publiques : hospitalière, territoriale et de l’État, aux prestations familiales ordinaires. Il s’agit donc d’un privilège en faveur des fonctionnaires.

Le SFT comme la capitalisation des fonds versés par les fonctionnaires à leur caisse de retraite complémentaire, la Préfon, avantage donc les fonctionnaires au détriment des salariés du privé... Pourquoi une telle différence de traitement ? Est-ce justifié au regard des efforts déjà supportés par les salariés du privé ?

Le régime fiscal de la Préfon fut un privilège jusqu’à l’instauration du PERP, le plan d’épargne retraite populaire, ouvert à tous, dont les règles fiscales sont identiques : déductibilité (jusqu’à un certain montant) des primes versées au fonds de pension. Notons que, dans les deux cas, cette déductibilité permet seulement d’éviter une double imposition, sur le revenu épargné, puis sur la rente qui est pour une bonne part sa restitution ultérieure : elle n’a rien d’un avantage, c’est une mesure de bon sens pour ne pas imposer le revenu deux fois de suite, ce qui serait foncièrement injuste.

Les salariés du privé ont désormais les moyens d’éviter cette double imposition, il n’y a plus de différence de traitement pour ce qui est de la retraite par capitalisation. Il en va bien sûr tout autrement pour la retraite par répartition, qui favorise indûment les fonctionnaires, comme d’ailleurs les salariés des régimes spéciaux (SNCF, TATP, électriciens-gaziers, etc.).

Dans le cadre d'une remise à plat égalitaire de ces droits entre fonctionnaires et salariés du privé, quelles mesures pourraient être facilement engagées et bénéfiques pour le budget de l'Etat ?

Il est difficile de dénoncer un contrat en cours de validité : les personnes qui se sont engagées dans la fonction publique en pesant le pour et le contre des avantages par rapport au secteur privé ont le droit au respect des engagements pris envers eux par l’État ou par une collectivité locale en les titularisant. Supprimer le SFT pour les fonctionnaires en cours de carrière serait d’autant plus scandaleux que les grandes entreprises accordent de nombreux avantages auxquels les fonctionnaires n’ont pas accès, et dont certains profitent particulièrement aux enfants : centres de vacances subventionnés par le comité d’entreprise, complémentaire santé largement prise en charge par l’employeur, épargne salariale, intéressement et participation, etc. Il ne faut pas accorder une confiance aveugle à l’image d’Épinal de fonctionnaires fortement favorisés. Pourquoi tant d’énarques pantouflent-ils ? Comparer les émoluments du directeur administratif ou financier d’une grande entreprise et ceux d’un directeur d’administration centrale apporte une partie de la réponse.

Donc, l’idée d’une suppression ou d’une diminution du SFT pour les fonctionnaires en activité est une fausse bonne idée. En revanche, une réforme autrement plus radicale résoudrait à terme ce problème comme beaucoup d’autres, notamment en matière de retraites par répartition : l’embauche sous contrat de travail ordinaire du personnel de l’État, des collectivités territoriales et des hôpitaux. Il ne faut pas se concentrer sur une réforme minuscule touchant un aspect très limité des choses quand il y a besoin d’une réforme de grande envergure qui résoudrait d’un seul coup, et beaucoup plus simplement, une foule de problèmes, dont celui auquel on a initialement pensé. Passons sur la question de savoir s’il ne faudrait pas conserver un statut spécifique pour les magistrats et les militaires de carrière et peut-être les policiers, ce n’est pas le lieu d’en traiter ; qu’il suffise de comprendre que ce qui pose problème, bien plus que le SFT, c’est le statut de la fonction publique en lui-même : abolissons-le pour les nouveaux recrutements et, à terme, il n’y aura plus de SFT.

Dernière remarque : la cohabitation de fonctionnaires et de salariés sous statut ordinaire se passe convenablement à France Telecom, qui a conservé leur ancien statut aux personnes qui étaient en place avant la transformation en entreprise de la partie téléphonie des PTT. C’est une expérience en vraie grandeur montrant que l’embauche sous statut de droit commun ne poserait pas de problème insurmontable dans les administrations et les hôpitaux.

Propos recueillis par Franck Michel

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