L'Europe sur un baril de poudre... derrière la faillite de la Grèce, la bombe des CDS<!-- --> | Atlantico.fr
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La faillite de la Grèce sera un choc pire que celui de Lehman Brothers.
La faillite de la Grèce sera un choc pire que celui de Lehman Brothers.
©Reuters

Attachez vos ceintures !

L'Eurogroupe a adopté ce lundi soir un deuxième plan de sauvetage pour la Grèce. Montant : 130 milliards d'euros de prêts. Mais la crise n'est pas encore derrière nous. La faute aux CDS grecs, ces contrats financiers passés entre acheteurs et vendeurs de protection qui impliquent nombre de banques européennes.

Simone Wapler

Simone Wapler

Simone Wapler est rédactrice en Chef des Publications Agora (analyses et conseils financiers).

Elle est l'auteur de "Comment l'Etat va faire main basse sur votre argent: ... et ce que vous devez faire pour vous en sortir !", paru chez Ixelles Editions en mars 2013.

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« Un défaut de paiement de la Grèce aurait plus de conséquences sur le système que la faillite de Lehman Brothers »
John Paulson, Bloomberg, 15 février 2012.

« Imaginez que la Grèce ne rembourse rien, ou tout au plus 10 % de sa dette totale. Ce n’est pas simplement le gouvernement grec mais le secteur privé qui va faire faillite. Ceci signifie que les banques d’autres pays auront des ennuis, ce qui implique qu’elles seront nationalisées. Les gouvernements n’ont pas d’argent pour cela, donc ils endosseront encore plus de dettes. C’est la réaction en chaîne à laquelle je m’attends en 2012  »
Felix Zulauf, Barron, table ronde de janvier 2012.

Voici deux hommes du système qui dénoncent le cataclysme que serait une faillite de la Grèce. John Paulson est le gérant du fonds spéculatif Paulson. Il avait vu venir la catastrophe américaine de la crise des crédits subprime[1] et avait su en prémunir ses clients.

Felix Zulauf gère le fonds Zulauf Asset Management. Il s’est forgé une réputation mondiale de lucidité et avait déjà vu venir le coup du krach de 1987. Le 20 janvier 2012, il précisait dans le quotidien suisse Le Temps que l’ardoise se monterait à 700 ou 800 milliards d'euros, dont 200 à 300 milliards supportés par la BCE.

Comment est-ce possible ? Le PIB de la Grèce n’est que de 200 milliards d'euros et il est de notoriété publique que la Grèce est endettée pour environ deux fois son PIB. 400 milliards d'euros contre 700 à 800 milliards €, le compte n’y est pas...

Mais c’est possible grâce au maléfique effet de levier des produits dérivés et notamment les CDS (Credit Default Swap), qui permettent de s’assurer contre un risque. Un risque est un « événement de crédit », c’est à dire une créance impayée partiellement ou totalement. Cette assurance est vendue par le monde financier au monde financier.

Bienvenue du côté de la force obscure du shadow banking

Au total, les produits dérivés pèsent 700 000 milliards de dollars. Ils se négocient de gré à gré dans des places de marché échappant à toute régulation.

Dans la crise 1 – celle du crédit subprime - on titrisait des créances de pauvres qui ne rembourseraient jamais pour les vendre à des financiers qui ne comprenaient pas ce qu’ils achetaient. Les produits dérivés pesaient alors 600 000 milliards de dollars. Quelques CDS ont causé la faillite des banques Bear Stearns et Lehman Brothers, de l’assureur AIG.

Dans la crise 2 – celle du crédit souverain subprime - des banques insolvables achètent des obligations souveraines de pays insolvables. La masse des produits dérivés a augmenté de 16,67 %. Le produit roi de cette crise est le CDS souverain.

Lors des tractations avec la Grèce un obscur bras de fer s’est déroulé pour que les investisseurs privés (ces banques que le contribuable renfloue dès que nécessaire) prennent volontairement leurs pertes. Sinon, les CDS se déclencheraient.

Parfait, les assurés lucides s’en tireraient et les assureurs paieraient. Tri du bon grain de l’ivraie et vae victis. Mais pas si simple...

Où sont ces CDS, combien pèsent ceux qui sont liés à la Grèce ?

Les principaux vendeurs de CDS souverains sont les grandes banques d’investissement :

  • Morgan Stanley, Goldman Sachs, Bank of America,  Merril Lynch, chez les Américaines ;
  • Barclays, Deutsche Bank, UBS, Credit Suisse, Société Générale BNP Paribas, Crédit Agricole et Natixis, chez les européennes ;

Les principaux acheteurs sont les grandes banques, les fonds spéculatifs, les assureurs et les fonds de pension.

On ne sait absolument pas qui détient quoi. C’est d’ailleurs probablement l'une des causes du gel actuel du marché interbancaire qui fait que les banques ne se prêtent plus entre elles.

Selon un document de Natixis[2], les encours de CDS souverains portant directement sur la dette grecque atteignent un montant ridicule : 54,37 milliards d'€, soit un peu plus de 10 Jérôme Kerviel. Mais le problème n’est toujours pas là.

Si la Grèce faisait défaut, beaucoup de banques et d’entreprises grecques seraient alors en faillite, ce qui menacerait les banques européennes, ce qui menacerait les assureurs qui ont de gros portefeuilles d’obligations bancaires, etc.  C’est cette succession d’évènements fâcheux à laquelle fait allusion Zulauf.

Retour de manivelle de effet de levier

Il est classique que les engagements totaux d’une banque représentent deux à trois fois ses « actifs pondérés des risques ». Les calculs de risque de la finance actuelle se sont révélés fantasmagoriques, il faut donc faire table rase de cette mystérieuse « pondération » de risques non maîtrisés.

Pratiquement, le ratio fonds propre / engagements des banques est de 2 à 3 % et non de l’ordre de 8 % comme on veut le faire croire.

  • 2 % signifie que l’effet de levier est de 50.
  • 3 % signifie que l’effet de levier est de 33

Si 2 ou 3 % des actifs d’une banque sont détruits, tous ses fonds propres sont consommés. La banque est en faillite et n’a plus le droit de poursuivre ses activités.

Il suffit que certains emprunteurs ne remboursent pas, que des actions en portefeuille ne cotent plus, qu’un produit dérivé se volatilise en vol, que des entreprises dans lesquelles la banque a pris des participations fassent faillite, …

Les banques n’ont que 2 à 3 % de marge d’erreur.

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Banque

Effet de levier

Deutsche Bank

60

JP Morgan Chase

32

UBS

31

BNP Paribas

30

Citigroup

20

Source Grant’s Interest Rate Observer décembre 2011

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Qui trouvez-vous en première ligne ? Deutsche Bank, la plus chargée en CDS souverain. Cela explique probablement la résignation allemande à l’impression d’euros.

Oui, Paulson et Zulauf ont raison, la faillite de la Grèce sera un choc pire que celui de Lehman Brothers. Ceux qui ne le comprennent pas sont les mêmes que ceux qui ne croyaient pas que des créances hypothécaires titrisées de quelques pauvres Yankees pouvaient créer un cataclysme.


[1] Je persiste et signe : subprime est un adjectif et est donc invariable selon la grammaire anglaise. « Subprimes » ne correspond ni à du bon anglais, ni évidemment à du français.

[2] Note Patrick Artus du 15 septembre 2011

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