Derrière l’inflation et les profits records du CAC40, la boboïsation à marche forcée de l’économie ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Quels sont les risques d’une économie qui ne peut compter que sur les entreprises du CAC 40 ?
Quels sont les risques d’une économie qui ne peut compter que sur les entreprises du CAC 40 ?
©ERIC PIERMONT / AFP

« Mort aux pauvres » ??!

De plus en plus se profile l’inquiétante hypothèse selon laquelle les marchés et grandes entreprises auraient déjà passé par pertes et profits le pouvoir d’achat des classes populaires voire moyennes afin de mieux se concentrer sur le seul créneau d’avenir à leurs yeux : le luxe et le premium.

Don Diego De La Vega

Don Diego De La Vega

Don Diego De La Vega est universitaire, spécialiste de l'Union européenne et des questions économiques. Il écrit sous pseudonyme car il ne peut engager l’institution pour laquelle il travaille.

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Atlantico : Les entreprises du CAC40 affichent 142 milliards de bénéfices en 2022. Cela signifie-t-il que l’économie française au sens large se porte bien ?

Don Diego de la Vega : La première chose à faire est de remettre en question l’idée que 142 milliards de profits annuels est une grande somme. En vérité, c’est à peine plus que les profits annuels d’Apple. C’est le profit que devrait faire Tesla chaque année après 2030. L’ensemble des dépenses en R&D de ces 40 entreprises est inférieur aux dépenses d’Amazon. De plus, ces entreprises sont internationalisées et font leurs profits en grande majorité à l’étranger. Par exemple, Total n’a que son siège social en France. Si on rentre dans une logique marxiste, ces profits ne sont pas réalisés sur le dos des travailleurs français, mais sur celui des travailleurs chinois.  

Les boîtes du CAC40 sont les donneuses d’ordre. En quelque sorte, elles sont en haut de la chaîne alimentaire : elles maîtrisent la réglementation, peuvent faire du lobbying, se faire payer 90 jours à l’avance … Mais pour autant, elles ont des concurrents à l’international et l’univers n’est pas facile, même s’il offre des marques. De plus, elles dépendent de boîtes plus petites, jusqu'aux PME et PMI. Le taux de marge y est faible, sans aucun cordon de sécurité. Le taux d’endettement est parfois très problématique, l’accès au financement n’a rien à voir… En somme, c’est un autre monde. Ce secteur peut être racheté ou disparaître, tout simplement. De ce point de vue, peut-on avoir une centaine de grosses boîtes qui n’ont en France que leurs sièges sociaux et qui sont dépendantes d’entreprises plus petites pour qui la survie est bien plus compliquée ? C’est assez problématique.  

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Marchés et grandes entreprises sont-elles en train de se détourner des classes moyennes et populaires pour se concentrer sur le luxe et le premium ?

C’est en partie vrai. Nous sommes obligés de remonter vers des produits à plus forte valeur ajoutée, car nous devons trouver un avantage comparatif, inaccessible dans des produits de moyenne gamme. Pourtant, je ne pense pas que notre réseau de PME et de PMI médiocre signifie qu’on abandonne les classes moyennes. Il y a des problèmes à l’intérieur des grands groupes, notamment ceux liés à l’État, comme EDF ou Orpea. Ces grands groupes trainent aussi parfois des actifs qui ne sont pas rentables. Ensuite, plus on descend en gamme et en taille, plus on rencontre des problèmes. Globalement, pour ces entreprises, les taux de marge sont insuffisants et les chocs occasionnés par le Covid se font encore sentir. L’endettement est record, et n’a pas forcément été bien utilisé pour augmenter l’investissement productif.  

Observe-t-on une gentrification de l’économie, comme l’affirme un article du New-York Times ?

La gentrification d’une économie entière est impossible. Par exemple, la gentrification des villes, du tissu entrepreneurial ou industriel ne peut concerner qu’un certain nombre d’individus. C’est comme la notion de haut de gamme : si toute l’économie monte en gamme, la définition même du haut de gamme se déplace. Comme on a plus de croissance, de nombreux calculs se font à somme nulle. Ainsi, la croissance est un instrument de blanchiment : comme il n’y en a plus en zone euro depuis environ 4 ans pour les gains de productivité, si certains arrivent à monter en gamme, d’autres descendent.  

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C’est ce dont on parle depuis des décennies, aussi bien en sociologie qu’en économie. Force est de constater qu’on en parle toujours aujourd’hui. Nous avons effectivement une centaine de boîtes d’élites centrées sur l’Asie et la mondialisation, qui vont se servir de l’intelligence artificielle et en sortir gagnants. Plus bas, il y a une ribambelle de boîtes locales vivotant avec des taux de marge de 0 à 30%. Au milieu, il y a des secteurs pensés pour les classes moyennes, comme l’automobile. Ce milieu de gamme semble disparaître, même si cela n'est pas inéluctable. C’est dû à un euro trop cher, qui oblige la France à faire soit du local, soit du très haut de gamme international. De ce point de vue, la cherté de l’euro joue un rôle de destructeur bas de gamme. Le luxe pèse ainsi 33% du CAC40.  

Y aurait-il d’autres solutions pour remédier à ce constat ?

Il faut commencer par arrêter de se tirer des balles dans le pied. En France, ce qui fonctionne mal, ce n’est pas les entreprises mais l’État. Il y a trop de biais réglementaires et fiscaux, qui ont pour effet d’avantager les grands au détriment des très petits. Dans un grand groupe, on peut avaler des tonnes de réglementations, on peut optimiser les impôts et on se fiche plus ou moins du taux de change. Un cran ou deux en-dessous, ces éléments sont beaucoup plus compliqués à gérer. Il y aussi un enjeu énergétique : les acteurs au milieu de l’échelle sont beaucoup plus exposés à ces problématiques. À moyen/long terme, il nous faut du nucléaire. À court terme, il nous faut éviter de connaître une crise à chaque hiver à cause de l’énergie. Enfin, il faut faire pression sur la BCE, qui augmente beaucoup trop les taux. Nous devons dire à Francfort que nous ne pouvons plus accepter un certain degré de resserrement monétaire.  

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Quels sont les risques d’une économie qui ne peut compter que sur les entreprises du CAC 40 ?

Au plus haut niveau de l’échelle, il faudrait parler du SBF 120. Il y a quelques grosses boîtes non cotées en France, comme Chanel. Leur problème, comme le disait Karl Marx, c’est que le capital n’a pas de patrie. Sauf pour certains acteurs du domaine du luxe qui restent en France, le système est très fragile car trop concentré et en cas de changement de politique défavorable en France, avec l’arrivée au pouvoir de l’extrême droite ou gauche, je ne sais pas ce qui empêcherait les industriels de se délocaliser ailleurs en Europe. L’ensemble devenant très fractal et complexe, il n’y a plus de solution nationale possible. Il n’est pas possible de réunir ces acteurs autour d’une table pour discuter d’une solution, comme par exemple une remise des dettes.

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