Dépistage du cancer : à quel sein se vouer ?<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Santé
Une macrobiopsie par mammotome réalisée à l'Institut Curie à Paris.
Une macrobiopsie par mammotome réalisée à l'Institut Curie à Paris.
©Joël Saget / AFP

Bonnes feuilles

Antoine Flahault publie « Prévenez-moi ! Une meilleure santé à tout âge » aux éditions Robert Laffont. Les messages pleins de bon sens nous submergent, recommandations et injonctions multiples qui, à force, au lieu de nous aider à vivre plus sainement, nous découragent avant même que nous ayons essayé d'y répondre. Or, la prévention est capitale en matière de santé. Extrait 2/2.

Antoine Flahault

Antoine Flahault

 Antoine Flahault, est médecin, épidémiologiste, professeur de santé publique, directeur de l’Institut de Santé Globale, à la Faculté de Médecine de l’Université de Genève. Il a fondé et dirigé l’Ecole des Hautes Etudes en Santé Publique (Rennes, France), a été co-directeur du Centre Virchow-Villermé à la Faculté de Médecine de l’Université de Paris, à l’Hôtel-Dieu. Il est membre correspondant de l’Académie Nationale de Médecine. 

 

Voir la bio »

Jelena, la compagne d’Ogobara, cherche depuis plusieurs mois à avoir un enfant. À l’occasion de l’une de ses consultations de procréation médicale assistée (PMA), on lui annonce qu’elle présente un risque élevé de cancer du sein: comment va-t-elle gérer ce nouveau problème?

Tandis qu’Ogobara séjournait en Afrique pour assister au mariage de son cousin Asana, en pays dogon, Jelena était restée à Saint-Germain-en-Laye. Elle avait décidé de prendre le taureau par les cornes en allant consulter une oncogénéticienne, sur les conseils de Manon, à la suite de «l’alerte de Béclère», comme elles l’appelaient entre elles. Jelena suivait, à l’hôpital Antoine Béclère de Clamart, des cycles de procréation médicalement assistée (PMA), parce que le spermogramme d’Ogo présentait plusieurs anomalies et que la fertilité de Jelena, qui souffrait d’endométriose, n’était visiblement pas à son maximum non plus. Lors de l’interrogatoire systématique conduit par sa gynéco, Jelena avait mentionné que sa mère et sa grand-mère maternelle étaient toutes deux décédées prématurément d’un cancer du sein. Ses réponses à un questionnaire apparemment de routine avaient déclenché une alerte rouge, la fameuse «alerte de Béclère», et la conclusion était tombée, sans appel. Elle devait s’inscrire à une consultation d’oncogénétique pour que l’on puisse détecter chez elle l’éventuelle présence d’un gène familial de cancer du sein. Et le plus tôt serait le mieux. La consultation avec l’onco généticienne ayant aussi eu lieu à Clamart, Jelena commençait à prendre toute cette infrastructure hospitalière en grippe. Non que le personnel y fût désagréable ou incompétent, loin de là, mais tout ce qui semblait simple chez ses amies s’avérait compliqué pour elle, et l’hôpital Béclère lui paraissait devenir le centre de tous ses tracas.

Le rêve d’avoir un enfant s’était transformé, depuis plusieurs années, en parcours du combattant pour Ogo et Jelena. Ils subissaient à chaque ovulation les assauts répétés des protocoles de PMA, justifiés certes, mais tuant tout romantisme au sein de leur couple, et s’avérant parfois douloureux pour elle. Désormais, elle allait avoir à se pencher aussi sur les aventures d’Angelina Jolie. L’actrice américaine avait appris – au même âge que Jelena – qu’elle était porteuse d’une mutation au niveau du gène BRCA1, ce qui la prédisposait au cancer du sein et de l’ovaire. Elle avait alors décidé d’être radicale et de se faire enlever les seins et les ovaires, affirmant qu’elle préférait vivre sans ces attributs plutôt qu’avec une épée de Damoclès au-dessus de la tête. Jelena avait lu une abondance d’articles de presse féminine à son propos, et consulté bon nombre de sites internet sur le sujet. Ce qu’elle en avait compris n’était pas très apaisant.

À ce stade des investigations, et en raison de ses antécédents familiaux, il ne lui restait pratiquement comme option que d’être classée à risque élevé ou très élevé de cancer du sein et des ovaires. Si on lui détectait la mutation d’Angelina Jolie (BCRA1), ou celle touchant le gène BCRA2, elle écoperait d’une surveillance renforcée jusqu’à l’âge de… quatre-vingts ans. Or, elle se connaissait: cela la plongerait dans un état d’anxiété permanent. Il était en outre hors de question qu’elle demande l’ablation de ses seins et de ses ovaires, en tout cas tant qu’elle suivrait ses cycles de procréation médicalement assistée. Elle redoutait donc la sentence de l’oncogénéticienne, se remémorant la douloureuse fin de vie de sa maman qui, dix ans plus tôt, s’était battue si courageusement contre un ennemi implacable, lequel l’avait finalement terrassée avant même qu’elle ait pu fêter ses cinquante ans. Elle n’avait pas connu sa grand-mère, mais sa mère lui avait révélé sur son lit d’hôpital que celle-ci avait vécu le même cauchemar, à peu près au même âge. Nath et Manon avaient été des chics filles à l’époque, l’aidant à faire son deuil en la forçant à penser à autre chose. Elle avait rencontré Ogo peu après, ce qui lui avait permis de retrouver le goût de la vie ainsi qu’une certaine insouciance. Cet homme généreux et cultivé s’était révélé un fantastique partenaire, son rayon de soleil et de bonne humeur, à elle qui avait déjà connu son lot d’épreuves.

En ce qui concernait la prise en charge médicale qui suivrait le cas échéant ce dépistage, elle avait longuement discuté avec Manon de ce qui l’attendrait. Celle-ci connaissait bien la partie, car elle réalisait des mammographies à longueur de jour née à l’hôpital de Poissy. Elle avait su convaincre son amie de suivre les recommandations de la Haute Autorité de santé, qui lui furent également proposées par l’oncogénéticienne. Car, malheureusement, il fut confirmé à Jelena qu’elle portait bien le «gène d’Angelina Jolie».

***

Docteur, est-il raisonnable de se faire enlever les seins et les ovaires sur la seule base d’un test génétique qui vous prédit – sans certitude – un avenir sombre?

Certaines femmes, comme Jelena, sont porteuses d’une mutation du gène BRCA1. Elles présentent alors un risque de développer un cancer du sein au cours de leur vie de 72%, contre 12% pour la population féminine générale. Les femmes atteintes d’une mutation du gène BRCA2 présentent quant à elles un risque de 69%, très voisin, donc, de celui des femmes porteuses du BRCA1. Ces sur-risques génétiques de cancers concernent aussi les ovaires et les trompes de Fallope, et justifient un suivi rapproché chez ces patientes qui, certes, est anxiogène, mais permet d’envisager, grâce à un dépistage annuel, un traitement précoce adapté en cas de découverte d’un cancer débutant, c’est-à-dire au moment où le pronostic est encore très favorable. Les Nord-Américains préconisent chez les femmes porteuses de l’une de ces deux mutations un traitement préventif fondé sur le tamoxifène, un anticancéreux prescrit pendant trois à cinq ans, afin de réduire le risque de survenue de cancer, mais cette option reste débattue dans la communauté scientifique européenne. D’autres écoles proposent la mastectomie et l’ovariectomie bilatérales chez les femmes qui en font la demande expresse.

Ces mutations génétiques BRCA1 et BRCA2 concernent environ 2 femmes sur 1000 en France. Il faut donc bien garder à l’esprit que le cancer du sein est fréquent, même chez les patientes qui n’ont pas ces prédispositions génétiques. D’ailleurs, seuls 5% des cancers du sein diagnostiqués aujourd’hui sont dus aux mutations concernées (voir le paradoxe de Rose dans le chapitre «Prévenance artificielle», page 157 qui illustre également ce point). Le cancer du sein représente la première cause de mortalité par cancer chez la femme, presque à égalité avec le cancer du poumon. Un dépistage précoce par la mammographie, réalisée tous les deux ans entre l’âge de cinquante et soixante-quatorze ans, et ce, même en l’absence de prédisposition génétique, permet de réduire considérablement la mortalité associée à ce type de cancer. 

Extrait du livre d’Antoine Flahault, « Prévenez-moi ! Une meilleure santé à tout âge », publié aux éditions Robert Laffont

Liens vers la boutique : cliquez ICI et ICI

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !