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Démocratie et croissance économique sont-elles antinomiques ?
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Bonnes feuilles

Les liens entre développement et régime politique sont régulièrement étudiés par les économistes qui assurent que la richesse facilite la démocratie. Nicolas Bouzou revient sur ce principe et cherche à savoir si l'inverse est également vrai. Extrait de "On entend l'arbre tomber mais pas la forêt pousser" (2/2).

Nicolas Bouzou

Nicolas Bouzou

Nicolas Bouzou est économiste et essayiste, fondateur du cabinet de conseil Asterès. Il a publié en septembre 2015 Le Grand Refoulement : stop à la démission démocratique, chez Plon. Il enseigne à l'Université de Paris II Assas et est le fondateur du Cercle de Bélem qui regroupe des intellectuels progressistes et libéraux européens

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Les économistes s’interrogent beaucoup (c’est un champ d’études relativement nouveau) sur les liens entre développement et régime politique. Les recherches se poursuivent, car ce champ d’analyse est infini et les implications, pour le bien-être de l’humanité, immenses. Il existe néanmoins, dans une certaine mesure, un consensus. La démocratie (demos : peuple ; kratia : autorité) ne s’enracine qu’à partir d’un certain niveau de développement économique. La démocratie coûte cher. Elle nécessite l’organisation d’élections libres et donc, contrôlées. Elle a besoin de politiques et de fonctionnaires intègres et non réceptifs à la corruption, d’où le besoin qu’ils soient correctement payés. Les pays qui ont peu de moyens ont du mal à faire subsister cette organisation luxueuse qu’est la démocratie. À l’inverse, dans les pays riches où, pléonasme, le niveau d’éducation est élevé, il est rare que la démocratie laisse la place à un système liberticide. Marché et démocratie se renforcent.

Si la richesse facilite la démocratie, l’inverse est-il vrai ? Dans un article célèbre, l’économiste américain Robert Barro a montré que, dans l’histoire récente, un surcroît de démocratie avait favorisé le développement pour les pays à faibles niveaux de revenus. En revanche, à partir d’un certain degré de richesse, la démocratie peut commencer à rigidifier l’économie. En effet, la pression démocratique conduit à des programmes sociaux toujours plus étendus, une fiscalité plus lourde et des contraintes sur les entreprises plus strictes. La croissance économique en souffre.

Faut-il pour cela encadrer la démocratie à partir d’un certain niveau de richesse et s’en remettre à un dictateur éclairé ? Non, nous répond Dani Rodrick. Car, au-delà des conclusions de Barro, la démocratie présente d’autres vertus économiques. À moyen terme, la croissance est plus stable dans les pays démocratiques. Les chocs extérieurs (une crise économique chez un partenaire commercial, un choc pétrolier, une panique sur les marchés financiers…) y ont un impact plus amorti. La pression redistributrice entraîne la mise en place de filets sociaux (indemnisation du chômage, soutien financier aux populations les plus pauvres, assurance maladie partiellement publique…) qui évitent qu’une récession ne rejette une partie de la population dans la misère et ne se mue en une spirale économique et sociale infernale.

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Les théoriciens des marchés dits « parfaits » n’ont-ils pas démontré que le marché seul aboutissait à un optimum économique et social ? Oui mais, hypothèse forte et souvent omise, à la condition que chacun dispose de suffisamment de ressources pour survivre ! À l’inverse, la redistribution sociale, si elle passe par une fiscalité élevée, peut annihiler des incitations à investir, à entreprendre, à épargner… Elle est donc susceptible de freiner la croissance. Les plus libéraux ont donc à la fois raison et tort. Raison quand ils affirment que la redistribution peut freiner la croissance. Mais tort dans la mesure où, sans intervention de l’État, rien ne dit que la société aboutisse à un « optimum ».

[…]

L’Asie constitue le contre-exemple à la mode. La Corée du Sud, Singapour ou la Chine n’ont-elles pas bénéficié, au moment de leur décollage économique, de la stratégie déterminée, faisant peu de cas du dialogue, d’un despote éclairé et favorable à l’économie de marché ? Cet argument relève d’une erreur méthodologique malheureusement courante, qui consiste à tirer des enseignements généraux d’expériences particulières. On peut citer un nombre au moins aussi important de pays dirigés par des dictateurs non éclairés, et qui ne sont jamais sortis du sous-développement : en Afrique subsaharienne, en Amérique latine, au Moyen-Orient… Et qui nous dit que Singapour n’aurait pas connu la même croissance sans la main de fer de Lee Kuan Yew ? Un exemple n’a jamais valeur de preuve, mais au mieux d’illustration. Seules les études d’ensemble, réalisées sur de larges échantillons, peuvent éclairer ces questions. Or elles sont claires : la démocratie, en tant que telle, n’empêche pas le développement économique.

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Extrait de "On entend l'arbre tomber mais pas la forêt pousser", JC Lattès Editions (mars 2013)

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