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Défilé militaire du 14 juillet : dans quel état d’esprit sont les militaires après une année de querelles budgétaires ?
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Bidasses à sec

Comme chaque année, le 14 juillet est marqué par les traditionnel défilé militaire sur l'Avenue des Champs-Elysées. L'occasion pour l'armée française de faire la démonstration de sa force, en dépit de bras de fer récents autour du maintien de son budget, sauvé in extremis en quelque sorte par la politique adoptée après les attentats du 11 janvier.

Guillaume Lagane

Guillaume Lagane

Guillaume Lagane est spécialiste des questions de défense.

Il est également maître de conférences à Science-Po Paris. 

Il est l'auteur de Questions internationales en fiches (Ellipses, 2021 (quatrième édition)) et de Premiers pas en géopolitique (Ellipses, 2012). il est également l'auteur de Théories des relations internationales (Ellipses, février 2016). Il participe au blog Eurasia Prospective.

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Atlantico : Le début de l'année 2015 a été marqué par les attentats en France. En guise de réaction, l'institution militaire a été l'objet d'une attention politique accrue. Dans quel état d'esprit les militaires se trouvent-ils aujourd'hui ?

Guillaume Lagane : Les militaires français sont globalement satisfaits de la situation nouvelle parce qu'ils se sont vu affecter des crédits nouveaux et ont vu un afflux d'effectifs (18 500) au cours de l'année 2015. On a assisté aussi au développement, après les attentats de janvier, du service militaire volontaire, déjà expérimenté dans les territoires d'outre-mer, qui permet à des jeunes en difficulté d'intégrer l'armée. Mais les 18 500 embauches de 2015 ne se traduisent pas par l'achat de nouveaux équipements et de nouvelles armes, ce qui constitue une difficulté supplémentaire pour le ministère de la Défense. Et restent des incertitudes concernant le système des soldes dans le cadre du projet Louvois (Logiciel unique à vocation interarmées de la solde). Enfin, on ne sait pas si les hausses d'effectifs et le maintien du budget militaire seront pérennes – la loi de programmation militaire 2014-2020 donne des orientations mais dès 2016, le budget pourrait diminuer à nouveau.

En janvier, le président François Hollande avait annoncé que les contraintes budgétaires sur l'armée seraient revues pour mieux mener la "guerre" contre l'islamisme radical. Six mois après, quels sont les effets concrets de ces annonces ?

Au lendemain des attentats du 7 janviers, la France a décidé d'un important déploiement des forces de sécurité sur son territoire dans le cadre de l'opération Sentinelle – à savoir le déploiement de soldats français notamment autour des lieux de culte israélites dans les grandes villes françaises. Une nouveauté car depuis trois décennies, ces déploiements de soldats s'effectuaient plutôt à l'extérieur – on parlait alors d'"Opex". Désormais, on parle plutôt de "missions intérieures", des "misint", dans le cadre de la lutte contre le terrorisme. On a assisté à la suspension des réductions d'effectifs qui avaient lieu jusqu'ici et au recrutement, étalé sur l'ensemble de l'année 2015, de 18500 militaires supplémentaires, dans le cadre de la loi de programmation militaire 2014-2020. Le budget de la défense, estimé à 32,7 milliards d'euros a été maintenu ainsi que ce que l'on appelle les ressources exceptionnelles, c'est-à-dire la vente de fréquences hertziennes à des opérateurs téléphoniques, ce qui constitue une source non-négligeable de revenus pour l'armée. Le plan de réduction des effectifs, qui prévoyait le départ de 34.000 personnes dans le cadre de la loi de programmation militaire 2009-2014 a été suspendu.

La tendance est-elle structurellement à la baisse si on compare par exemple aux années 1960, quand le budget de la défense représentait 4% du PIB - il n'en représente plus que 1,9% aujourd'hui ?

En 1960, la France consacrait en effet pas moins de 4% de son PIB aux dépenses militaires. Il s'agissait de fait, du premier poste budgétaire de l'Etat, remplacé à partir de 1974 par celui de l'Education nationale. En 1990, la fin de la guerre froide va accélérer la tendance à la réduction du budget militaire afin d'obtenir ce qu'on appelait alors les "dividendes de la paix". Rappelons que la tendance actuelle est à la baisse dans tous les pays européens où les dépenses militaires sont presque toutes inférieures à 2% du PIB. Les Etats-Unis peuvent être mis à part avec 4% de leur PIB consacré à leur armée, même si on a observé là aussi une baisse avec les années 1980 et la fin de la guerre froide. Auparavant, leurs dépenses militaires étaient plus proches de 6 à 7% de leur PIB. L'OTAN fixe un minimum de 2% du budget consacré aux dépenses militaires alors que bien peu de pays atteignent ce niveau. On ne compte guère que la Turquie, la Grèce et les Etats-Unis dans ce cas. Deux autres éléments sont aussi à prendre en compte : en France, ces dépenses incluent aussi les retraites des anciens combattants et, crise oblige, le PIB de la France a tendance à stagner, ce qui ne pousse pas les dépenses à la hausse.

Par rapport à ses voisins européens (la Grande-Bretagne), ou à d'autres puissances occidentales et émergentes (Etats-Unis et Chine), la France a-t-elle à rougir d'une armée qui serait moins bien équipée, moins bien dotée ?

La France reste malgré tout une grande puissance militaire et l'un des cinq pays à disposer de l'arme nucléaire dans le cadre du traité de non-prolifération. Elle possède aussi cette particularité que son armée est déployée est un peu partout dans le monde, par exemple en Afrique. Elle reste donc, à ce niveau-là, une grande puissance militaire. Dans l'espace européen, seule la Grande-Bretagne peut rivaliser avec elle sur le plan du nucléaire et du déploiement militaire. Mais la France n'arrive certainement pas à la cheville des Etats-Unis dont le budget militaire est équivalent à dix fois celui des 10 pays qui les suivent en termes de dépenses militaires, soit 500 milliards de dollars par an pour un effectif de 450.000 hommes. Auquel il faut ajouter des équipements largement supérieurs, dont les 5000 drones à leur disposition et des capacités infiniment supérieurs en termes de déploiement naval notamment. Du côté des puissances émergentes, si la Chine possède un budget trois fois supérieur à celui de la France, son armée, contrairement à la nôtre, n'est pas déployée sur plusieurs continents et n'a donc pas les mêmes capacités d'intervention. La Grande-Bretagne possède aussi, comme la France, une grande facilité de déploiement militaire, à ceci près que son armée est beaucoup plus intégrée dans l'OTAN, plus liée à l'alliance avec les Etats-Unis. Sa capacité nucléaire est conditionnée à l'accord des Américains par exemple, ce qui n'est pas le cas de la France.

La diminution des fonds alloués à l'armée correspond-elle aussi à des opérations militaires moins ambitieuses, comme au Mali par exemple ?

On note une tendance européenne à voir l'outil militaire comme globalement moins utile. Depuis la crise économique de 2008, les réductions budgétaires touchent en priorité la défense. Et d'ailleurs, dans l'accord qui vient d'être trouvé avec la Grèce, l'Eurogroupe exige la baisse des dépenses militaires du pays. Cependant, la nécessité de maintenir des outils militaires tout le long de la rive sud de l'Europe, entre le Moyen-Orient et l'Afrique, se fait toujours sentir, au travers de l'opération Barkane, qui a suivi les opérations Serval et Epervier au Mali, mais aussi dans le cadre de l'opération Chammal qui vise, à travers une cooopération internationale, à cibler les positions de l'Etat islamique. Là aussi, à la différence de la Grande-Bretagne, la France se distingue par un certain interventionnisme, notamment en Afrique.

Comment aura-t-on vu les dépenses militaires évoluer au cours des trois premières années du mandat de François Hollande ? Début 2013, les experts en défense s'étaient alarmés de restrictions budgétaires qui auraient vu le budget annuel de l'armée passer de 32 milliards à 20 milliards - un scénario qualifiée d'"apocalypse" par Jean Guisnel dans "Le Point" mais qui n'a finalement pas eu lieu.

Le gouvernement de François Hollande s'est engagé à maintenir le budget de la défense à son niveau actuel, c'est-à-dire un peu moins de 32 milliards d'euros. Il y a eu de fait un bras de fer entre les partisans de la restriction budgétaire et les opposants, à savoir l'armée et les industriels. Ces derniers ont obtenu gain de cause dans la foulée des attentats de janvier mais il s'agit d'une victoire très momentanée. Dans un contexte européen, la diminution du budget de la défense est vue comme un moyen efficace de réduire les dépenses publiques. Encore qu'il s'agisse d'un choix politique : il est significatif de voir qu'en Grande-Bretagne, le Premier ministre David Cameron a fait le choix de tailler dans les dépenses sociales mais de préserver le budget militaire. En dépit des tendances, tout dépend donc des choix stratégiques des Etats.

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