Déferlement de violences à Sainte-Soline : dans quoi basculons-nous ? <!-- --> | Atlantico.fr
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Des manifestants affrontent des gendarmes mobiles lors d'une manifestation contre la construction d'une nouvelle réserve d'eau pour l'irrigation agricole, à Sainte-Soline, le 25 mars 2023.
Des manifestants affrontent des gendarmes mobiles lors d'une manifestation contre la construction d'une nouvelle réserve d'eau pour l'irrigation agricole, à Sainte-Soline, le 25 mars 2023.
©YOHAN BONNET / AFP

Bassine des Deux-Sèvres

28 gendarmes ont été blessés, dont deux hospitalisés en urgence absolue, lors de la manifestation contre les bassines à Sainte-Soline, dans les Deux-Sèvres, ce samedi. 200 manifestants ont été blessés, dont un se trouverait dans le coma, selon les organisateurs. La facture de la complaisance généralisée vis-à-vis de l'extrême gauche est arrivée.

Gérald Pandelon

Avocat à la Cour d'appel de Paris et à la Cour Pénale Internationale de la Haye, Gérald Pandelon est docteur en droit pénal et docteur en sciences politiques, discipline qu'il a enseignée pendant 15 ans. Gérald Pandelon est Président de l'Association française des professionnels de la justice et du droit (AJPD). Diplômé de Sciences-Po, il est également chargé d'enseignement. Il est l'auteur de L'aveu en matière pénale ; publié aux éditions Valensin (2015), La face cachée de la justice (Editions Valensin, 2016), Que sais-je sur le métier d'avocat en France (PUF, 2017) et La France des caïds (Max Milo, 2020). 

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Jean Petaux

Jean Petaux

Jean Petaux, docteur habilité à diriger des recherches en science politique, a enseigné et a été pendant 31 ans membre de l’équipe de direction de Sciences Po Bordeaux, jusqu’au 1er janvier 2022, établissement dont il est lui-même diplômé (1978).

Auteur d’une quinzaine d’ouvrages, son dernier livre, en librairie le 9 septembre 2022, est intitulé : « L’Appel du 18 juin 1940. Usages politiques d’un mythe ». Il est publié aux éditions Le Bord de l’Eau dans la collection « Territoires du politique » qu’il dirige.

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Claude Moniquet

Claude Moniquet

Claude Moniquet, né en 1958, a débuté sa carrière dans le journalisme (L’Express, Le Quotidien de Paris), avant d’être recruté par la Dgse pour devenir "agent de terrain" clandestin. Il exerce ainsi sous cette couverture derrière le Rideau de fer à la fin de l’ère soviétique, dans la Russie des années Eltsine, dans la Yougoslavie en guerre, au Moyen-Orient ou encore en Afrique du Nord. En 2002, il cofonde une société privée de renseignement et de sûreté : l’European Strategic Intelligence and Security Center. De 2001 à 2004, il a été consultant spécial de CNN pour le renseignement et le terrorisme, et est aujourd’hui consultant d’iTélé et RTL. Il est l’auteur, notamment, de Néo-djihadistes : Ils sont parmi nous (Jourdan, 2013) et Djihad : d’Al-Qaïda à l’État islamique (La Boîte à Pandore, 2015), de Daech, la Main du Diable(Archipel, 2016) et, avec Genovefa Etienne, des Services Secrets pour les Nuls (First, 2016). Il est également scénariste de bandes dessinées : Deux Hommes en Guerre (Lombard, 2017 et 2018). Il réside à Bruxelles.

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Atlantico : La nouvelle manifestation contre les bassines, ce samedi à Sainte-Soline, dans les Deux-Sèvres, a donné lieu à de violents affrontements. Les organisateurs ont précisé que 200 manifestants ont été blessés, dont un se trouverait dans le coma, entre la vie et la mort. Selon un dernier bilan, 28 gendarmes ont été blessés, dont deux hospitalisés en urgence absolue. Comment en sommes-nous arrivés là ? Que s’est-il réellement passé ce samedi ? Quelles violences ont été commises ?

Gérald Pandelon : Afin que mon propos soit le plus didactique possible, il convient au préalable de résumer en quelques lignes les faits qui nous occupent aujourd'hui. Il s'agit de la construction de 16 méga-bassines d'une capacité totale d'environ six millions de mètres cubes devant être construites dans le cadre d'un projet porté depuis 2018 par une coopérative de 450 agriculteurs et soutenu par l'État. L'objectif est dans ce cadre de parvenir au stockage de l'eau puisée dans les nappes superficielles en hiver afin d'irriguer les cultures en été quand les précipitations se raréfient, et ce, dans un contexte où la France non seulement recycle peu (0,6 % de réutilisation des eaux usées contre 14 % pour notre voisin espagnol et 90 % pour l'Etat d'Israel) mais également irrigue à peine (4,9 % de la surface agricole de notre territoire contre 20, 2 % pour notre second voisin italien). Ses partisans en font une condition de la survie des exploitations agricoles face à la menace de sécheresses récurrentes. De leur côté, les opposants dénoncent un accaparement de l'eau par l'agro-industrie à l'heure du changement climatique tout en réclamant un moratoire sur leurs constructions pour lancer "un vrai projet de territoire" sur le partage de l'eau. Le raccordement aux bassines serait en outre conditionné à l'adoption de pratiques tournées vers l'agroécologie avancent les premiers tandis que les seconds dénoncent de vaines promesses. Pourtant, ces bassins ne sont pas contraires à la loi, si l'on admet que leur construction est fortement encadrée, le préfet de chaque département en validant systématiquement la légalité, y compris pour la bassine de Sainte-Soline. C'est ainsi qu'après plusieurs études, notamment une enquête publique et l'avis favorable délivré par la commission d'enquête préalable tout comme celle du parc naturel du Marais poitevin, le chantier a pu démarrer. Or, sans rentrer dans le détail du bien-fondé ou non, sur le fond, desdites bassines, dont aucun spécialiste n'est d'ailleurs à même de livrer une version similaire et sans qu'il soit possible d'en convaincre les réfractaires, c'est encore par la violence que les opposants entendent, comme pour la question des retraites, faire valoir leur opinion. Dans un contexte où les forces de police apparaissent dépassées par ces casseurs, comme ils le furent en partie au cours de l'insurrection "post 49-3" imposé par l'exécutif. Nous souhaitions majoritairement que le droit puisse se manifester sans la force, nous avons assisté de plus en plus médusés au déploiement d'une force en marge du droit, au mépris de la loi, au mépris, en définitive, du peuple, qui en démocratie en constitue le pouvoir constituant originaire. La vraie question, à mon sens, est celle d'une définitive crise de l'autorité, une crise qui sur la plupart des sujets ne saurait être jugulée par celles et ceux qui nous ont toujours gouvernés. En effet, c'est leur idéologie qui est ontologiquement fausse, leur "logiciel", comme l'on dit aujourd'hui, qui est dépassé, suranné, inadapté, inefficace. A croire que seuls les membres de notre gouvernement ou ceux qui en sont proches par intérêts personnels ou professionnels, semblent se satisfaire de leur action, même s'ils sont toutefois de moins en moins nombreux. Pourtant, sans une révolution préalable des mentalités en termes de changement de paradigme, aucune action publique ne pourra désormais être réellement couronnée de succès. Nous sommes à l'heure des irresponsables alors même que nous aurions un urgent besoin que nos hommes politiques devinssent des hommes d'Etat. 

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Dans quoi basculons-nous ? Qu’est-ce que cela traduit sur la société française et sur l’état des tensions à travers le pays, alimentées par la mobilisation contre la réforme des retraites ?

Gérald Pandelon : Les opposants les plus radicaux sont pour la plupart mus par une idéologie d'extrême-gauche ou écolo-gauchiste. Pour les tenants de cette idéologie, qui prospèrent sur l'intolérance et le paradoxe, l'Etat de droit "c'est eux". Au nom de la démocratie, de la République, de l'Etat de droit, des droits fondamentaux, de l'universalisme, mais surtout du "respect des différences" et de "la liberté d'expression" ils prétendent lutter contre toute forme de discrimination. Toutefois,  si la différence est une richesse, il ne faut pas que cette différence soit différente de ce qu'ils pensent ; au fond, l'Etat de droit c'est toujours pour les autres. Il s'agit d'un constat objectif et nullement subjectif. Dès lors, ces individus considèrent que le fait de lancer des boules de pétanque en direction des forces de l'ordre, se munir de haches ou de lance-pierres, constituent les fondements sains d'un vrai dialogue constructif. Ce sont surtout des personnes qui profitent du chaos pour exister car, à y regarder de près, une majorité d'entre eux sont incapables d'expliquer clairement en quoi ils seraient opposés à ce projet. En revanche, ces "blacks-blocks"néo-ruraux pourraient s'exprimer de façon plus savante s'agissant des motifs pour lesquels ils souhaitent avoir recours à la violence. Leurs arguments seraient les suivants : "nous cassons parce qu'il faut casser et pourquoi faut-il casser ? parce qu'il faut casser". Autrement dit, la tautologie d'une violence à l'état pur, à l'état brut, cette violence dont pourtant les fondements, de Robespierre aux régimes totalitaires du XX ème siècle, a conduit aux drames que l'Europe a connue. En réalité, les bassines constituent des prétextes pour y déverser leur haine, leur haine de la démocratie, leur haine de l'ordre républicain, leur haine des nations les mieux établies qu'ils souhaiteraient voir renversées par des régimes de type castriste ou maoïste (la "Révolution culturelle" ce sont 80 millions de morts) ; il s'agit en réalité de délinquants de la pensée, des "escrocologauchistes". 

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Avons-nous assisté à une forme d’éco-terrorisme ? Ces mouvements d’extrême gauche sont-ils de plus en plus organisés ? La société française a-t-elle basculé dans la radicalité dans le cadre de la contestation sociale ? 

Gérald Pandelon : Oui, je le crois. Cette contestation est d'autant plus radicale que ces mouvements d'extrême-gauche ultra-violents ont compris que nos Etats démocratiques étaient faibles car trop strictement fondés sur le droit, presque même inconditionnellement fondés sur des règles de droit, sacrifiant ainsi au sacro-saint principe du patriotisme constitutionnel, inspiré par l'Ecole de Francfort et forgé par le philosophe allemand Jürgen HABERMAS. En effet, regardez les préconisations fort habermassiennes qui ont été données récemment par le Conseil européen au président Macron... Alors même qu'à l'évidence ce sont des mouvements radicalisés qui ont attaqué les forces de l'ordre lors des mobilisations à l'encontre de la réforme des retraites, cette institution européenne en a tiré l'argument que ce sont les policiers en France qui étaient trop violents ! Et quelle fut à votre avis la réponse apportée par le préfet de police de Paris aux remontrances de M. Charles Michel ? Pensez-vous que l'intéressé songea un instant à soutenir les forces de l'ordre en pareilles circonstances ? Non, ce haut fonctionnaire a bien évidemment saisi l'IGPN ! On ne peut en définitive que donner encore raison au philosophe Michel ONFRAY lorsqu'il intitule son dernier ouvrage "la nef des fous"...

Claude Moniquet : Il est certain, à mes yeux, que l’ensauvagement de la société, dénoncé par beaucoup depuis une vingtaine d’années a gagné le domaine de la contestation politique. Mais cela n’a rien de vraiment neuf : rappelez-vous les violences qui ont accompagné la réunion du G20 à Seattle, en 1999, ou encore celles qui ont jalonné le G8 de Gênes en juillet 2001. Et on peut même remonter plus loin et évoquer certains affrontements entre extrême gauche et extrême droite au Quartier latin, dans les années soixante-dix. En fait la contestation radicale de la société ou de l’Etat a toujours donné lieu à des violences. En schématisant, on pourrait dire que la plus grande partie de ceux qui prônent cette contestation vont s’orienter vers l’action politique ou militante légale, en créant des partis, en infiltrant des syndicats ou en fondant des microcosme de contre-sociétés utopistes et plus ou moins autosuffisantes et viables. Cette dernière manifestation étant une sorte de « syndrome du Larzac », si vous voulez : une forme de rupture paisible avec la société capitaliste. D’autres vont choisir la violence parce qu’ils estiment que le système ne peut pas être réformé et doit être détruit.

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Cette tendance à la violence s’est certainement accrue ces dernières années, du fait, d’une part, d’un sentiment assez largement répandu que la société est de plus en plus dure, inhumaine et « technocratique » et d’autre part par la montée de puissance d’une idéologie apocalyptique. « L’urgence climatique » en est un bon exemple : si vous pensez vraiment que le monde tel que nous le connaissons est menacé de destruction à court terme, la violence peut sembler « légitime » pour le défendre. Surtout si l’on estime que les craintes exprimées ne sont ni écoutées ni prises en compte par l’Etat.     

Mais ce que je viens de décrire brièvement, c’est valable pour ceux des contestataires qui réfléchissent, quelle que soit la valeur de leurs réflexions. Ce qui est un peu plus nouveau, c’est que l’on voit aujourd’hui s’agréger autour de ces noyaux de révoltés violents des strates qui n’ont rien de « militantes » mais qui rassemblent des laissés-pour-compte, des marginaux sans réelle vision politique mais qui expriment un mal-être et une frustration qui les dépassent et qui s’en vengent en jouant les casseurs. Et puis, bien entendu, se joignent également à ces casseurs des bandes organisées de jeunes, souvent venus des « quartiers » et qui participent à la fête dans le seul but de casser du flic et de piller des boutiques de luxe, comme on l’a vu, à de multiples reprises, lors de certaines manifestations des Gilets jaunes. Mais bien entendu, ce dernier phénomène n’est présent que dans les grandes villes. Je doute qu’il y ait eu beaucoup de jeunes des cités dans la mouvance violente de Sainte-Soline ce samedi. Pour eux, aller patauger dans la boue des Deux-Sèvres a nettement moins de charme que de casser sur les Champs-Elysées ou à République.  

Jean Petaux : Il faut être prudent dans l’analyse à chaud des faits, surtout lorsqu’il s’agit de violences collectives et se garder, même si les événements survenus sont spectaculaires et frappants (sans jeu de mots), de tous commentaires justement spectaculaires ou principalement dictés par l’émotion. Je ne crois donc pas que l’expression « société française qui a basculé dans la radicalité » soit la manière la plus adéquate pour saisir et tenter de comprendre (au sens sociologique de « comprendre » et non pas au sens commun qui signifie « admettre, excuser, justifier ») la situation. Sans vouloir jouer les blasés qui convoqueraient l’histoire (même récente) pour tout relativiser, il convient néanmoins de remettre en perspective les faits. Depuis la fin de la Seconde guerre mondiale, la France a connu des épisodes de violences collectives et de radicalités fortes. Les grèves dites « insurrectionnelles » de 1947-1948 conduites par un PCF particulièrement fort (et très stalinien, puisqu’il s’agissait du début de la Guerre froide et que le PCF de Thorez, le plus puissant des partis communistes dans les pays du bloc de l’Ouest, était très inféodé à Moscou), s’appuyant sur une CGT qui était autrement plus puissante qu’aujourd’hui, ont été marquées par de nombreuses épisodes de violence. Rappelons quand même que les « appelés du contingent » ont été mobilisés à cette occasion et que c’est de là que datent les Compagnies Républicaines de Sécurité (les CRS) à l’initiative du ministre de l’Intérieur SFIO, Jules Moch. Rappelons encore que les Gendarmes Mobiles (héritiers des Gardes Mobiles de la IIIème République), les fameux « Moblots », tiraient encore à balles réelles dans la foule des manifestations dans les années 50.  Les manifestants tués par balle dans les années 50-60 étaient trop nombreux. Les « événements d’Algérie », entre 1954 et 1962 ont été régulièrement ponctués par des manifestations sanglantes et par de nombreux attentats, d’extrême-droite (OAS) surtout à partir de 1961. Le nombre indéterminé, encore aujourd’hui, de victimes algériennes de la répression du 17 octobre 1961 à Paris et les neuf  victimes du métro Charonne, le 8 février 1962 (9 militants à la CGT dont 8 membres du PCF) montrent que les manifestations ont été alors d’une rare violence. Faut-il rappeler qui était le préfet de police à Paris, lors de ces deux événements ? Maurice Papon. En Mai 1968, déjà la tendance tend à s’inverser : on ne dénombre pas plus de 5 victimes sur toute la durée des événements, dans toute la France : aucune à Paris malgré l’intensité des manifestations et leur côté très spectaculaire (grâce, entre autre, au préfet de police de l’époque Maurice Grimaud), et parmi les victimes il faut citer un commissaire de police à Lyon, écrasé par un « camion fou » lancé contre les forces de l’ordre. Finalement il faudra attendre la séquence des Gilets Jaunes pour retrouver une macabre comptabilité et encore s’agit-il, pour les décès, d’accidents mortels non provoqués par les opérations de maintien de l’ordre. On retient, depuis 40 ans, les morts de Malik Oussekine (manifestations contre la loi Devaquet en décembre 1986) et celle de Rémi Fraisse, le 26 octobre 2014 sur le site du barrage de Sivens (81), toutes les deux victimes accidentelles lors d’une opération de maintien de l’ordre. Ce n’est pas faire injure à ces deux victimes, tout au contraire, que de dire que si on retient leur nom c’est qu’elles ont été heureusement rares et qu’elles ont spectaculairement marqué l’opinion publique justement par leur exceptionnalité.

Toute la séquence de la ZAD Notre Dame des Landes, jalonnée d’affrontements très violents (dont on peut dire que les événements survenus à Sainte-Soline dans les Deux-Sèvres se rattachent à ce genre de « combats de plein champ ») n’a connu, heureusement, aucun mort. Même chose dans des opérations spectaculaires comme celles de l’évacuation de la « Jungle de Calais » par exemple. Et pourtant, dans le cas de la Loire-Atlantique, il a été attesté que les manifestants (parfois venus de pays frontaliers de la France) étaient des combattants aguerris, particulièrement entrainés à la violence contre les forces de l’ordre.

La contestation sociale qui a été conduite depuis plusieurs semaines, en 2023, a été saluée pour son caractère maitrisé, calme et organisé. Il ne faut surtout pas confondre ces grandes manifestations populaires, familiales et pacifistes, avec les agissements des casseurs qui s’appelaient jadis « autonomes » ou « anars » et, depuis le début des années 2000, « Black-blocs », qui se caractérisent surtout par une très grande imprécision et indétermination sur leurs objectifs, leur appartenance idéologique et même leur organisation totalement « liquide ». Il n’en demeure pas moins que les services de sécurité intérieure surveillent désormais particulièrement ces nouvelles organisations que l’on nomme les « écolo-warriors » qui ne répugnent pas à « aller au contact » en s’en prenant directement aux forces de l’ordre. Leurs méthodes, leur entrainement, le fait de se présenter comme des défenseurs de la nature en danger, rend populaire leur posture et leur combat. Ils jouent manifestement sur une bienveillance de l’opinion publique en se positionnant comme les « combattants-rebelles du climat » contre les « soldats de l’Empire » (les flics en tenue anti-émeutes). Quand la culture Star Wars de George Lucas remplace les textes de Serge Netchaiev l’intelligence n’y gagne pas c’est sûr… Mais cela ne suffit pas à considérer que la France bascule dans la radicalité violente…

Où est-ce que peut mener la violence des extrémistes de l'environnement ? Jusqu'à l'écoterrorisme ? 

Claude Moniquet : Avant le stade du terrorisme, il y a celui de la guérilla urbaine rampante : une forme de violence totale dans laquelle on s’en prend aussi bien aux personnes qu’aux biens. Ce stade, nous l’avons déjà atteint. On l’a bien vu ces derniers jours dans les manifestations non-autorisées qui ont émaillé une dizaine de soirée à Paris mais également dans de nombreuses villes de province. Il s’agit d’une forme d’infra-terrorisme dans lequel on exerce la violence la plus extrême mais sans utiliser d’armes létales mais « seulement » des armes par destination. Pour autant, et c’est remarquable, le « risque de tuer » voire la « volonté de tuer » sont déjà présent et assumé. Sauf à être dénué de tout sens commun, quand on balance des boules de pétanque à la tête des policiers, ou qu’on les vise avec des Molotov, on ne peut ignorer que le risque de mort est bel et bien présent.

On se trouve là au niveau des « Black Blocs ». Une mouvance peu organisée et non centralisée qui regroupe des sympathisants des milieux anarchistes ou autonomes qui se reconnaissent entre eux non pas par l’appartenance à un groupe structuré mais par l’utilisation d’une méthode, celle de la violence comme forme d’expression. Ce caractère flou de la mouvance Black Blocs ne l’empêche pas, le cas échéant, de pratiquer des entraînements en commun et de se coordonner au plan international pour converger vers certains rassemblements qui, aux yeux de ses membres ont un certain potentiel d’évolution violente. L’une des caractéristiques de cette mouvance est de se dire « anti-autoritaire » et l’une de ses cibles privilégiée sera donc la police ou la gendarmerie. Celles-ci n’étant plus seulement vues comme des « défenseurs du capitalisme » mais comme une entité autonome, une espèce de bande rivale si l’on veut, que l’on vise en tant que telle plus que pour son rôle social. D’où les slogan ACAB (« All Cops Are Bastards »), « Tout le monde déteste la police » ou encore le cri « Suicidez-vous! » que l’on entend de plus en plus souvent dans les manifestations. Pour ceux-là, « casser du flic » est une fin en soi.

Cette mouvance de casseurs a déjà glissé vers le terrorisme. On l’a vu en 2017, à Grenoble avec l’attaque par incendie volontaire d’un dépôt du groupement de gendarmerie de l’Isère. Des faits similaires se sont produits, à la même époque, à Meylan (ou l’incendie de véhicules a failli tourner au drame lorsque les flammes ont commencé à se propager à des bâtiments habités en pleine nuit) dans la banlieue de Grenoble ou encore à Limoges. Ces actions s’inscrivaient dans une « campagne » plus large qui a également visé d’autres institutions publiques, des grands magasins ou des médias. Alors bien entendu, on peut toujours minimiser cette violence en disant qu’elle ne provoque que des dégâts matériels. Mais ce serait oublier que l’acte de naissance d’Action directe, le 15 septembre 1979, ce fut le plasticage du ministère du Travail à Paris et qu’il fut suivi d’actions similaires au cours desquels, les activistes se gardaient bien de tuer. Mais cinq ans plus tard, AD pratiquait les assassinats ciblés…

Quant à l’apparition d’un écoterrorisme en France, j’ai plus de doutes. Certes, une frange écologiste radicale pourrait basculer dans la violence clandestine organisée, mais on peut remarquer par exemple, que si de multiples attaques ont ralenti le chantier du TGV Lyon-Turin, ces dernières années, l’immense majorité des attaques, sinon la totalité, se sont produites du côté italien de la frontière. Maintenant, il peut exister, au sein de la mouvance la plus radicale de l’écologie, une tendance qui pourrait basculer vers la violence organisée, mais force est de constater que dans les pays ou l’écoterrorisme est présent (entre autres aux Etats-Unis et au Royaume-Uni) il est toujours resté extrêmement marginal si on le compare à d’autres formes de terrorisme. Enfin, les techniques de surveillance progressent de jour en jour et les mouvements radicaux sont extrêmement bien cartographiés par les services de renseignement et l’on peut penser qu’une organisation écoterroriste n’aurait donc qu’une durée de vie très courte. Pour moi, le risque terroriste repose bien davantage dans une montée aux extrêmes de petites cellules issue de la mouvance Black Blocs que dans la galaxie écologiste. 

L’appareil judiciaire peut-il répondre efficacement face à ces militants radicaux ? Y a-t-il un laxisme judiciaire ou une certaine forme de complaisance ?

Gérald Pandelon : La justice pénale fonctionne, en France, de façon paradoxale. Elle est souvent laxiste lorsqu'il s'agit de militants radicaux et sévère à l'encontre d'un honnête citoyen qui se sera rendu coupable de la moindre faute sans réelles conséquences pour qui que ce soit ; elle est clémente lorsque des policiers se font agresser voire plus indulgente à l'endroit du voyou agresseur qu'envers le policier qui aura riposté en légitime défense. Par conséquent, une justice pénale sévère lorsque parfois les délits présumés ne portent nullement atteinte à l'ordre public ; en revanche, empreinte d'empathie à l'endroit d'incivilités qui empoisonnent pourtant le quotidien de gens paisibles. Elle est en fait trop imprégnée d'idéologie, par conséquent ne peut faire montre d'une réelle objectivité ni impartialité. En réalité, nous assistons au développement croissant d'une justice qui objective sa subjectivité en raison de son idéologie. Notre justice est incapable de se soumettre au principe wébérien de "neutralité axiologique", c'est dire de faire abstraction de ses valeurs, de ses pensées, dans l'acte de juger. On retrouve en effet toujours la même dimension idéologique dans l'acte de juger car, sur un plan symbolique, le délinquant demeure une victime même si son casier judiciaire est chargé alors que le "Bourgeois Gentilhomme" est nécessairement auteur, auteur d'infraction, car il a nécessairement "dû voler le pauvre pour en arriver là" ; auteur d'être, en définitive, trop bien né. Si le délinquant "non bourgeois"peut être responsable mais non coupable, le "non-délinquant bourgeois" est nécessairement coupable car nécessairement responsable de ses actes, il ne sera donc pas, lui, accessible au pardon. Or, le casseur, qui est systématiquement d'extrême-gauche et jamais de droite, puisque je soutiens la thèse selon laquelle l'extrême-droite en France n'existe plus depuis 1945, arbore facilement aux yeux de certains magistrats le statut de la victime. Or, en tant que victime, il ne saurait être sanctionné à la même hauteur qu'un individu épousant plutôt des idées conservatrices car, ce dernier, est nécessairement toujours un peu coupable car appartenant prétendument au camp des "possédants". Pourtant, les études sociologiques démontrent qu'il y a loin de la coupe aux lèvres. En réalité, le patrimoine de notre "bourgeois conservateur"est bien souvent inférieur à celui des casseurs qui sont eux, bien souvent, les vrais "bourgeois post-capitalistes". Pour le dire autrement, pensez-vous que M. Jean-Luc Mélenchon soit une malheureuse victime qui ait à la fois travaillé durement toute sa vie pour s'en sortir et manqué d'argent... ? Ouvrons les yeux et soyons sérieux... 

Jean-Luc Mélenchon a dénoncé des violences policières à Sainte-Soline et a critiqué les BRAV-M. Le soutien de Jean-Luc Mélenchon envers les mouvements de contestation ne ressemblent-ils pas de facto à une incitation à l’insurrection ? Faut-il un cordon sanitaire face à l'extrême gauche et exiger des alliés de LFI qu'ils se décident à être soit en dehors du champ républicain, soit dedans ? Est-il temps de traiter LFI comme le FN l’était du temps de Jean-Marie Le Pen ?

Gérald Pandelon : M. Jean-Luc Mélenchon est un irresponsable politique. Il constitue, à mon sens, un danger pour notre démocratie, pourtant déjà fragile. Ayons le courage de reconnaître que ce n'est ni le RN ni Reconquête qui constituent une menace pour nos droits et libertés mais sans aucun doute possible LFI et ses séides sous l'acronyme de la NUPES. Le RN et Reconquête constituent deux formations qui reprennent l'idéologie politique du RPR des années 80, même si elles diffèrent sur les questions sociales. De plus, les électeurs de ces deux partis constituent d'excellents citoyens, respectueux de nos lois et de nos institutions. Le RN et Reconquête ne cassent rien, LFI, oui. Le RN et Reconquête n'appellent jamais à agresser des policiers, LFI, oui. Etc. Une honnêteté minimale de la part de notre chef de l'Etat consisterait à le reconnaître enfin. Je considère toutefois que notre président, même s'il le pense dans son for intérieur, n'aura jamais le courage de l'avouer. Surtout publiquement... Puis, n'oublions pas que la politique est fondée sur le mensonge, la vérité n'en constituant que l'exception. La position la moins compréhensive demeure toutefois celle des Républicains, pourtant plus sensibles aux débats régaliens depuis l'élection à leur présidence de M. Eric Ciotti. En effet, si l'actuel président de LR est un homme remarquable, on ne comprend toujours pas sa réticence à créer une grande formation des droites incluant le RN et Reconquête. L'argument souvent avancé consiste à répéter qu'il vaut mieux perdre avec ses idées que gagner avec celles des autres. Or, la difficulté c'est qu'il n'existe plus aucune idée chez LR, il s'agit d'un désert sans oasis. J'ai acquis la conviction que LR est mort ou moribond. C'est ainsi que le seul cordon sanitaire qui pourrait être dressé face à LFI serait celui d'une alliance entre le RN, Reconquête et les éléments les plus intelligents de LR, ils sont peu nombreux et ceux qui l'étaient ont trahi en rejoignant LAREM, afin de contrer la montée d'une nouvelle forme d'éco-terrorisme d'autant plus dangereuse qu'elle bénéficiera du soutien d'élus démocratiquement élus. 

Claude Moniquet :Les déclarations de Jean-Luc Mélenchon sur Sainte-Soline sont hallucinantes. Alors qu’il s’exprimait, on savait déjà que plusieurs arrestations avaient eu lieu pour port d’armes par destination, et que cinq véhicules de gendarmerie avaient été incendiés. Il était donc clair pour tout un chacun que la « violence policière » était une réponse de l’Etat à une situation d’émeutes si ce n’est à une situation quasi-insurrectionnelle. De plus Jean-Luc Mélenchon ne peut ignorer que, comme le disait Max Weber, en démocratie, la seule violence légitime est celle dont l’Etat a le monopole. Et la mise en œuvre de cette violence peut être nécessaire pour rétablir l’ordre qui constitue, en dernière analyse, une protection pour ceux qui utilisent la liberté constitutionnelle d’exprimer leur désaccord en manifestant. Voir un homme qui évoque sans discontinuer « la République » fouler ainsi aux pieds la légalité républicaine est difficile à accepter. Je pense effectivement qu’il y a dans ses propos, une forme sinon d’incitation du moins de justification d’une « insurrection populaire » mythifiée face à un pouvoir qui, à ses yeux, a perdu toute légitimité.

Sur la forme enfin, Jean-Luc Mélenchon trompe son public. Le maintien de « l’ordre à la française » a amplement fait ses preuves. Que l’on se rappelle l’enflammement des banlieues à l’automne 2005 : la répression de 20 soirs d’émeutes et de violences extrêmes n’ont, fort heureusement, donné lieu à aucun décès. A Sainte-Soline, comme dans les émeutes spontanées des derniers jours liées à la contestation de la réforme des retraites, on ne se trouve plus dans le cadre du « maintien de l’ordre » mais dans celui du « rétablissement » de l’ordre, soit un cran au-dessus. Ce contexte implique l’utilisation de matériels spécifiques – gaz lacrymogènes, canons à eau, « flash-balls », grenades de désencerclement, etc. – destinés à maintenir les émeutiers à distance et à éviter autant que faire ce peu le contact direct entre forces de l’ordre et casseurs. Dans l’ensemble, cette stratégie, qui peut évidemment être encore améliorée, permet d’éviter les chocs les plus brutaux. Evidemment, des accidents sont toujours possibles – surtout si l’on prend en compte la fatigue et la tension des policiers et gendarmes après des jours et des jours d’interventions difficiles – mais, mis à part dans des cas marginaux d’abus manifestes, la responsabilité première en revient à ceux qui enfreignent la loi. Il existe un principe de droit que les émeutiers potentiels feraient bien de ne pas oublier : « nul ne se peut se prévaloir de sa propre turpitude » (Nemo anditur propriam turpitudinem allegans) pour réclamer justice : celui qui prend part, sciemment, à une émeute et décide d’affronter la police sait le risque qu’il court…

En tant que citoyen, je pense effectivement que les partis qui ne respectent pas la légitimité républicaine ou incitent à transgresser la loi devraient être marginalisés…

Jean Petaux : La France Insoumise a toujours choisi son camp. Celui des manifestants, y compris violents, contre l’Etat. Cela prouve deux choses : LFI n’est pas un parti gouvernement et son leader n’a pas l’étoffe d’un homme d’Etat. Est-ce une découverte ? Bien sûr que non. Pour autant confondre LFI avec le FN modèle Jean-Marie Le Pen ou le RN modèle Marine Le Pen sous prétexte qu’ils cultivent l’un et l’autre ce que Jean-Luc Mélenchon a appelé « le bruit et la fureur » (c’était le cas du père Le Pen, pas de la fille désormais qui s’est rachetée une conduite…), ce serait faire une vraie erreur d’appréciation. La manière avec laquelle Jean-Marie Le Pen  a été « traité » (je reprends votre terme) ne l’a pas empêché de figurer au second tour de la présidentielle de 2002, ni, auparavant, à son parti, le FN, d’obtenir 35 sièges à l’Assemblée nationale aux législatives de 1986 (seule fois où la représentation nationale a été calculée à la proportionnelle départementale sous la Cinquième république). Sans cultiver le syllogisme on s’autorisera à espérer que, compte tenu du résultat du « traitement spécial » du FN à l’époque de Jean-Marie Le Pen, particulièrement inefficace pour enrayer sa progression électorale sur 20 ans, il serait préférable que Jean-Luc Mélenchon et LFI ne soient pas « traités » à l’identique… Au risque de surprendre, je dirai que LFI n’est pas en dehors du champ républicain. Son opposition bruyante, vociférante, clivante peut agacer, choquer, insupporter, mais cela demeure un jeu politique. Il ne tient qu’aux adversaires de LFI de trouver les armes de la riposte. Manifestement ils disposent d’une marge de progression… Quant aux alliés de pacotille de LFI : EELV et PS, tous les deux partis croupions empêtrés dans leurs querelles internes, le premier parce qu’il n’est jamais sorti de sa crise adolescente politique, le second parce qu’il a une fin de vie qui n’arrête pas de finir, ils sont destinés à jouer leur meilleur rôle actuel : celui « d’idiots utiles » au sens marxiste de l’expression. Et à propos de Marx, on notera quand même l’attitude digne et on ne peut plus responsable du Parti Communiste Français. Seule formation d’opposition qui ne semble pas touchée par le virus de la « Vache folle ». Comme quoi il n’est pas inutile d’apprécier la viande… rouge ! 

Emmanuel Macron, Gérald Darmanin et Elisabeth Borne vont-ils être en mesure de faire face à ce climat particulièrement violent dans le sillage de la contestation de la réforme des retraites ? Pourront-ils incarner le parti de l’ordre comme lors du mouvement des Gilets jaunes ?  

Jean Petaux : Ni Gérald Darmanin ni Elisabeth Borne n’occupaient les fonctions qui sont les leur aujourd’hui au moment de la crise des Gilets Jaunes. Seul Emmanuel Macron a donc le vécu qui convient si l’on peut dire. Que le Président soit tenté d’endosser la tenue du « gardien de l’ordre » (à défaut de celle du « gardien de la paix ») ce n’est pas improbable. Il est à craindre que l’on n’ait pas encore tout vu des conséquences que peut revêtir chez un Président en exercice le fait, comme il l’a dit lui-même, qu’il soit « constitutionnellement empêché » de se représenter en 2027 et qu’il n’a rien à faire d’une impopularité très élevée… Plus encore que ses prédécesseurs (de Gaulle et Mitterrand essentiellement), Macron n’est pas préoccupé par sa succession. On peut même faire l’hypothèse qu’il n’imagine pas du tout qui pourrait lui succéder (avec son aval et son soutien). Il fait partie de ses politiques qui ne se conçoivent pas de dauphin. Soit parce qu’ils ont politiquement « tué » pour emporter le « trophée » : Pompidou envers de Gaulle ; VGE envers Chaban-Delmas ; Sarkozy envers Chirac, Juppé, Villepin, et d’autres encore… ; Macron envers Hollande. Soit parce qu’ils ont sauvé le pays : de Gaulle envers la France. Soit parce qu’ils ont élaboré une stratégie très compliquée, subtile, florentine et semée d’embûches sur 23 ans, entre 1958 et 1981 : Mitterrand envers lui-même... Ils n’ont donc hérité de rien et ne sont les héritiers de personne.  Raison de plus pour ne pas avoir d’héritier à leur tour…

Alors Emmanuel Macron en « bouclier de l’ordre » ? Pourquoi pas ? A condition qu’il réfute la phrase dure mais tellement juste de Raymond Aron à l’égard de Valéry Giscard d’Estaing : « Le drame de Giscard, c’est qu’il ne sait pas que l’histoire est tragique ». Emmanuel Macron n’a pas connu le tragique dans sa vie politique. C’est quand même un problème si on veut se la jouer chef du maintien de l’ordre… Sa principale difficulté aujourd’hui réside sans doute dans le fait qu’il a déjà joué plusieurs de ses atout-maîtres depuis qu’il occupe le fauteuil de de Gaulle et de Mitterrand à l’Elysée, pour se dépêtrer des mauvais cas ou des crises dans lesquels il s’est lui-même, souvent,  enfermé : sûr de lui (affaire Benalla) ; prodigue (gestion financière de la crise des Gilets Jaunes) ; magister de la parole (le Grand débat national) ; chef de guerre (pandémie et confinement) ; nouveau type de Président écologiste et bienveillant (pour sa réélection) ; grand diplomate et négociateur (contacts avec Poutine) ; « Brothers in Arms » (avec Zelensky)… On a presque hâte de voir quel rôle cette moderne réincarnation de Leopoldo Fregoli, le célèbre ventriloque et transformiste italien de l’Entre Deux-guerres, va interpréter en guise de « sortie de crise ».

Concernant la responsabilité politique de la complaisance qui caractérisait pendant des années l'attitude des politiques face à l'extrême gauche et aux appels à la désobéissance civile (depuis les faucheurs d'OGM etc...), comment justifier que Génération identitaire soit dissoute pour une banderole ou une action pacifique dans les montagnes quand on tolère de telles violences comme à Sainte-Soline de l'extrême gauche militante ? 

Claude Moniquet : Cette logique du « deux poids deux mesures » participe à une banalisation de la violence et à une « brutalisation » de la vie politique et sociale. Le principe devrait être simple et absolu: toute action politique est légitime si elle respecte la loi. Si elle ne la respecte pas, même marginalement, elle doit être réprimée, quels que soient les auteurs. Nous pourrions nous inspirer ici du modèle britannique. Personne ne niera que la Grande-Bretagne soit une grande démocratie. C’est même l’Angleterre qui a inventé la démocratie moderne, et pas la France comme notre légende nationale se plait à le répéter. Mais le respect des règles et de la loi y est un principe sacré. Il y a quelques semaines des militants écologistes radicaux ont été condamnés à quelques semaines de prison ferme pour avoir, à plusieurs reprises bloqué la circulation au cœur de Londres ou sur des autoroutes. On n’imagine pas une telle sanction chez nous. Et c’est très regrettable. D’une part parce que la loi est la protection de tous et d’autre part parce que tolérer qu’on l’enfreigne en toute impunité, c’est ouvrir la voie à d’autres transgressions qui deviendront de plus en plus graves. Manifestement, l’extrême gauche violente fait peur. Mais il est temps, si nous voulons préserver l’ordre démocratique, que la peur change de camp. 

Gérald Pandelon : Ce traitement inéquitable et honteux n'est que le fruit de calculs politiciens. En effet, la République en Marche aura toujours besoin au second tour de l'élection présidentielle face au RN ou bien, il faut l'espérer, d'une coalition de droite sociale, populaire et conservatrice, du soutien de mouvements d'extrême-gauche, subsumés au sein de la NUPES. Disons le encore différemment : si une personnalité de premier plan réussissait à réunir le camp de la droite populaire représenté par les personnalités précitées, sans oublier un homme également de grande valeur, M. Nicolas Dupont-Aignant, le pays basculerait sans doute définitivement dans ce camp alternatif. Il est donc urgent pour notre actuelle classe politique de saper les fondements de tout ce qui pourrait l"entraver. Autrement dit, une action pacifique de Génération identitaire, dont les membres étaient non-violents, studieux et intelligents, apparaît dans le monde inversé qui est le nôtre, comme infiniment plus dangereuse que des actions à répétitions de groupuscules d'extrême-gauche qui en appellent à la destruction de notre Etat de droit. Aussi, de deux choses l'une. Soit notre président de la République en vient à reconnaître ce que la société civile sait depuis plus de 20 ans, à savoir que ce n'est pas la droite populaire qui constitue un danger mais l'extrême-gauche et alors son camp est battu dans 3 ans, étant précisé que notre chef de l'état ne peut plus se représenter à un troisième mandat ; soit, seconde option, le chef de l'exécutif ainsi que son ministre de l'intérieur ne disent mot et alors ils se réservent encore la possibilité de récupérer au second tour ce "lumpemprolétariat électoral" que constitue la gauche extrême. Dans ces calculs politiciens, demeure toutefois la grande oubliée, la seule pourtant qui ne devrait pas l'être car son destin transcende ou devrait transcender cette micropolitique utilitaire court-termiste, la grande oubliée c'est la France. 

Jean Petaux : Génération identitaire était un mouvement fascistoïde qui s’est affiché en tant que tel et dont les dirigeants et des militants ont été convaincus d’avoir commis des actions violentes à caractère raciste, antisémite, homophobe. La loi s’est appliquée contre cette formation. Et il ne s’agissait pas d’une simple banderole déployée sur le chemin de l’exode des migrants. Il n’y a aucune indulgence à avoir à l’égard de ce genre d’actes qui ne s’inscrivent pas dans le pacte républicain. Il ne vous aura pas échappé qu’aucune formation politique ou mouvement organisé revendique les incendies de poubelles, les caillassages, les destructions d’agences bancaires et, encore moins, l’incendie de la grande porte du porche de la mairie de Bordeaux. Le propre justement des « casseurs » qui interviennent au milieu de manifestations régulièrement organisées et autorisées, c’est qu’ils ne sont pas affiliés à une quelconque mouvance politique, pas plus d’extrême-gauche que d’’extrême-droite. Il est arrivé que des associations d’extrême-gauche soient dissoutes en France, pour atteinte à la sureté de l’Etat. Ce fut le cas de Ligue Communiste, dissoute en juin 1973 à la suite d’affrontements avec l’organisation d’extrême-droite « Occident ». C’était sous la présidence de Georges Pompidou. Le premier ministre s’appelait Pierre Messmer et son ministre de l’Intérieur Raymond Marcellin. La Ligue Communiste fonctionna clandestinement sous le nom de Front Communiste Révolutionnaire (FCR) et se reforma en 1974 sous le nom de Ligue Communiste Révolutionnaire (jusqu’en 2009 avec la naissance du NPA). Une autre organisation fera beaucoup parler d’elle dans les années 1979-1987 : Action Directe. Cette organisation terroriste, se situant dans la mouvance anarchiste, mélangeant beaucoup de causes ayant au moins en commun d’être idéologiquement positionnées à l’extrême-gauche du spectre politique, a commis au moins 12 meurtres ciblés (dont le PDG de Renault)  et fait près d’une trentaine de blessés. Elle a été dissoute pour apologie de la lutte armée par un décret du 24 août 1982 pris en vertu de la loi du 10 janvier 1936 sur les groupes de combat et les milices privées. Action Directe est l’organisation française qui s’est le plus « rapprochée », dans son fonctionnement, des modèles de la Fraction Armée Rouge allemande et des Brigades rouges italiennes. La dissoudre n’a strictement servi à rien, puisque le plus grand nombre de ses attentats vont être commis entre 1984 et 1987. En 1982 il s’agissait donc d’une disposition symbolique. Tous les spécialistes de la sécurité intérieure ou du renseignement, luttant contre l’anti-terrorisme, vous le confirmeront : la dissolution d’un groupe factieux est essentiellement une mesure d’affichage pour le grand public. Pour donner le sentiment « que le pouvoir n’est pas inerte ». En termes opérationnels la mesure comporte plus d’inconvénients que d’avantages. Il est bien connu que donner un coup de pied dans la fourmilière n’empêche pas les fourmis de continuer d’agir. Cela rend plus compliqué, en revanche, leur traçabilité…

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