Décrets d’attribution des ministres de Bercy : mic-macs et couacs en vue<!-- --> | Atlantico.fr
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Michel Sapin et Arnaud Montebourg, aux visions politiques fort différentes, devront s'entendre sur la fiscalité des entreprises.
Michel Sapin et Arnaud Montebourg, aux visions politiques fort différentes, devront s'entendre sur la fiscalité des entreprises.
©Reuters

Qui a la tutelle sur quoi

La chose est inédite, la direction générale du Trésor est mise sous la tutelle de trois ministères différents : Finance, Economie et Affaire internationales. Des problèmes sont surtout à attendre du côté de Michel Sapin et Arnaud Montebourg, aux visions politiques fort différentes, mais qui devront s'entendre sur la fiscalité des entreprises. A suivre de très près.

Jean-Marc  Plantade

Jean-Marc Plantade

Jean-Marc Plantade est journaliste, ancien rédacteur en chef économie au Parisien (1999 - 2007). Il rejoint le cabinet de Christine Lagarde au ministère des Finances de 2007 à 2011. Depuis 2012, il siège au Conseil économique, social et environnemental, à la section des activités économiques.

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Atlantico : D’après les décrets publiés au Journal officiel vendredi 18 avril, le ministre de l’économie Arnaud Montebourg et le ministre des Finances Michel Sapin exercent une co-tutelle sur la direction générale du Trésor, d’habitude réservée à ce dernier. Laurent Fabius, quant à lui, « dispose » de la direction générale du Trésor pour tout ce qui concerne les affaires extérieures. Cette situation inédite est-elle tenable ?

Jean-Marc Plantade : Plusieurs éléments sont à prendre en compte. Tout d’abord, quand on regarde les attributions concernant Bercy, on s’aperçoit que le Trésor ne se trouve pas sous une simple co-tutelle, mais en réalité sous trois tutelles. C’est l’une des grandes nouveautés, le Quai d’Orsay et son patron, Laurent Fabius, sont parvenus à mettre la main sur la direction du Trésor et l’ensemble de la politique économique française à l’international. Depuis des années, ce ministère bataille ferme pour obtenir le contrôle sur cette partie stratégique, car aujourd’hui, hormis les relations internationales où la France pèse de moins en moins, la véritable influence est économique. Les Allemands qui n’ont pas la deuxième diplomatie du monde mais qui ont le deuxième commerce extérieur, en sont le meilleur exemple. Via le commerce extérieur, le Quai d’Orsay espère ainsi  se refaire politiquement, via une politique de contrats à l’étranger notamment. Même si les observateurs ne l’ont pas noté, Laurent Fabius a marqué des points en récupérant cette partie liée  du Trésor. Il devra bien entendu rendre des comptes aux ministres de l’économie et des finances, mais ça c’est très beau sur le papier. On verra bien à l’usage.

Deuxièmement, il n’est pas tout à fait exacte de parler d’une situation « inédite ». Le Trésor a déjà, par le passé, été mis sous une co-tutelle. C’était le cas sous la présidence de Nicolas Sarkozy, puisque la direction du Trésor était partagée entre le cabinet du ministre de l’économie et des finances, Christine Lagarde, et le ministre des comptes publics et du budget, Eric Woerth. Avec quelques frictions au début, mais sur les relations européennes et internationales Lagarde, crise oblige, a pris l’ascendant sur Woerth. 

Troisièmement, il y a dans les décrets d’attribution rédigés par l’Elysée et MAtignon, une subtilité qui promet quelques belles passes d’armes: Michel Sapin et Arnaud Montebourg sont en charge tous les deux de la fiscalité des entreprises, un des points forts  de la direction du Trésor et de la direction de la législation fiscale. C’est un point stratégique car aujourd’hui la politique industrielle de l’Etat se fait au travers de la fiscalité des entreprises (crédit d’impôt recherche, CICE, etc.).  Maintenant on se retrouve avec une co-tutelle sur la fiscalité d’entreprise, laquelle  doit être définie par Messieurs Sapin et Montebourg à la fois. Il sera intéressant de voir comment les choses se passeront concrètement…

Cet intérêt dont vous parlez provient-il du fait que des conflits sont à craindre entre les deux ministres ?

Chacun ayant son approche, il est probable que des divergences apparaissent dans les objectifs et dans le montant des sommes à débloquer en matière de fiscalité pour les entreprises. Ce sera d’autant plus intéressant à suivre que les deux n’ont pas forcément fait preuve de la même volonté politique. Monsieur Montebourg a été le partisan de la décroissance, contrairement à Miche Sapin. Il faudra donc être attentif à la suite des événements, car c’est à mon sens sur ce point précis que l’on se rendra compte si le tandem marche ou connaît des ratés.

Sur le plan technique, à quels dysfonctionnements cela pourrait-il donner lieu ? Les fonctionnaires concernés sont-ils nombreux ?

Les fonctionnaires concernés ne sont pas si nombreux. La direction du Trésor est composée de plusieurs milliers de fonctionnaires, ce qui est sans  commune mesure avec les bataillons de la direction générale des finances publiques, qui compte plusieurs dizaines de milliers de fonctionnaires. La direction du Trésor, elle, est en contact avec l’ensemble des pays industrialisés pour gérer les problèmes financiers et monétaires. Elle a également un rôle européen, car c’est elle qui prépare toutes les négociations en matière d’économie et de finances. On est davantage dans le qualitatif que dans le quantitatif, et on verra qui sera à la manœuvre pour nommer le futur directeur du Trésor. Ramon Fernandez, actuellement en poste, est donné partant depuis de nombreux mois déjà ; son arrivée dans le groupe Orange a même été annoncée par voie d’indiscrétion. On verra qui de Sapin, Montebourg, Valls, Jouyet ou Hollande, placera son poulain à ce poste.

Cela signifie-t-il que la hiérarchie n’est pas clairement établie au sein même de Bercy, et qu’il faudra certainement avoir recours à un arbitrage de Matignon ou de l’Elysée ?

Dans la configuration actuelle, la citadelle de Bercy apparaît comme potentiellement amoindrie politiquement. Outre le Pacte de responsabilité ficelé à l’Elysée et à Matignon, la responsabilité de la gestion politique du Trésor a été coupée en trois, avec le Quai d’Orsay . Autre élément, Jean-Pierre, Jouyet, qui est un ancien directeur du Trésor, a rejoint l’Elysée et sera l’un des plus proches collaborateurs du président de la République. Il sera en tandem avec Emmanuel Macron, le conseiller économique de l’Elysée, qui lui aussi vient de Bercy. On voit bien qu’un véritable pôle, une sorte de cabinet économique et financier, s’est constitué autour du président de la République. A noter également, la directrice de cabinet de Manuel Valls, Véronique Bédague-Hamilius, est une budgétaire qui vient aussi de Bercy. C’est pourquoi je dis qu’en plus d’un affaiblissement interne de Bercy, le pilotage de la politique économique de la France risque d’échapper encore plus aux ministres des Finances et de l’économie. Cette nouvelle donne gouvernementale mise au point par Hollande et Valls est en quelque sorte une accentuation d’une partition déjà jouée sous Nicolas Sarkozy lorsqu’il a nommé Xavier Musca comme secrétaire général de l’Elysée.

Propos recueillis par Gilles Boutin

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