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Les nouveaux tests biologiques 
pour diagnostiquer la dépression 
sont-ils fiables ?
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Une récente étude menée par des chercheurs américains et publiée dans la revue "Translational Psychiatry" révèle les marqueurs génétiques qui seraient impliqués dans la dépression. Cela permettrait le dépistage de cet état pathologique par une simple prise de sang. Mais doit-on y croire ?

Roland Dardennes

Roland Dardennes

Roland Dardennes est psychiatre à l'Hôpital Saint-Anne et Professeur à l’Université Paris-V René Descartes où il enseigne la psychiatrie et la psychologie médicale.

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Atlantico : Une étude menée par des chercheurs américains et publiée dans la revue "Translational Psychiatry" révèle les marqueurs génétiques qui seraient impliqués dans la dépression, ce qui permettrait le dépistage de cet état pathologique par une simple prise de sang. Aujourd’hui comment diagnostique-t-on la dépression ?

Roland Dardennes : La dépression est diagnostiquée par l’examen et l’interrogatoire. Ce sont donc les symptômes qui permettent de détecter l'état pathologique. A l’heure actuelle il n’existe pas de test biologique permettant de faire un diagnostic.

Alors que la déprime est un état de tristesse peu intense qui dure peu dans le temps, la dépression est un changement très net de votre façon d’être et se caractérise par sa longue durée. Elle génère un handicap dans la vie quotidienne : on n’arrive pas à se concentrer, à mémoriser, on ressent une fatigue constante qui n’est pas améliorée par le repos, et l’on a envie de rien, même les choses habituellement plaisantes n’attirent plus. De plus on a une mauvaise opinion de soi et on devient excessivement pessimiste. Tous les domaines de la vie sont affectés.

On remarque une dégradation de la capacité de travail : vous vous sentez incapable, avec l'esprit lourd et particulièrement lent, n'ayant envie de voir personne. On a calculé qu'une personne déprimée perd 20% de sa capacité, c'est -à-dire qu'une journée sur 5 dans la vie de cette personne n'est pas productive. De plus, la majorité des déprimés refusent les arrêts de travail. On voit souvent les hommes déprimés rester tard au travail pour compenser ce qu'ils n'ont pas pu faire dans la journée.

La vie de couple n'est pas épargnée : les dépressions entraînent des conflits conjugaux, voire des divorces. On constate également des répercussions sur les enfants qui remarquent le comportement inhabituel de leur parent ; lorsqu'ils sont jeunes, ces enfants peuvent s'imaginer que leur parent ne les aime plus, ou qu'ils sont responsables de leur état .

Comment la dépression est-elle traitée aujourd'hui ?

Les traitements sont variés : les plus utilisés sont les médicaments antidépresseurs, efficaces dans 70 % des cas ; il existe différentes méthodes de psychothérapie efficaces lorsque l'intensité de la dépression n'est pas trop importante.

Dans les formes sévères ou résistantes, les électrochocs restent indispensables ; d'autres techniques de stimulation électrique du cerveau existent telles que la stimulation magnétique transcranienne, et la pose d'une sonde de stimulation intracranienne (comme pour la maladie de Parkinson) qui est encore au stade expérimental.

Le problème majeur en France est l'accès aux psychothérapies : gratuites dans le service public qui est débordé de demandes, elles sont très rarement remboursées dans les autres cas.
Lorsque la personne est soumise à un traitement psychologique ou médicamenteux elle revient heureusement à son état antérieur. Le problème est que dans la moitié des cas, après une première dépression, il y a un risque permanent de récidive. C’est une vraie pathologie par ses conséquences ; en effet elle entraîne de nombreux suicides.

C'est donc en cela que l'étude menée par les chercheurs américains représente une importante avancée :  un dépistage permettrait-il de changer, voire sauver des vies ?

Le dépistage aurait surtout l'intérêt de repérer quelles personnes ont un risque élevé de faire plusieurs dépressions dans leur vie. Il serait ainsi possible de mettre en place un traitement préventif dès le premier épisode. Cela sauverait leur vie : leur projet de vie aurait moins de risque d'être remis en cause par la maladie ; le risque de suicide serait considérablement réduit.

N'oublions pas qu'il y a plus de 10 000 suicides par an en France, que la moitié sont dus à la dépression, le plus souvent non traitée, et que le traitement et la prévention de la dépression sont les premières mesures à prendre si on veut espérer réduire le nombre de suicides en France.
Faciliter le diagnostic chez l'enfant me paraît plus difficile, il y aurait à mon avis trop de faux positifs qui seraient traités à tort pour que cela soit réellement utile.
Cette étude est très intéressante car elle a permis de mettre en évidence certains marqueurs génétiques, cependant il faut prendre en compte la manière dont le génome interagit avec l’environnement. Chaque individu a un ADN, et selon le déroulement de la grossesse ou la façon dont on s’occupe de cet individu, certains gènes se bloquent ou se débloquent, en particulier ceux responsables du stress. Un individu peut donc avoir un ADN qui le prédispose à la dépression mais s’il naît dans de bonnes conditions de grossesse et qu'il reçoit de bons soins dans la petite enfance, il est très probable que cet individu n'entre jamais de dépression car ses marqueurs ne se seront pas exprimésCes marqueurs varient selon l’importance des traumatismes que les adolescents ont subis.

Quelle procédure a donc permis d'isoler les gènes mis en cause dans la dépression ?

Les chercheurs qui ont réalisé cette étude font des transpositions entre les résultats de recherche en condition expérimentale sur des animaux et leur application chez l’Homme.

Pour cette étude, le groupe de recherche a observé une espèce de souris « dépréssives ». On ne peut pas dire que la dépression existe chez la souris, mais on trouve sur celles-ci des comportements analogues aux symptômes qui sont présentés chez des Hommes dépressifs. Il existe plusieurs modèles qui permettent de déterminer ce que peut être la dépression chez un animal. Par exemple dans le modèle de l’impuissance apprise, on expose les souris à des petits chocs électriques ; les souris "non dépressives" s’échappent très rapidement et trouvent la solution, en revanche les souris "dépressives" sont lentes, voire résignées, elles attendent que le choc passe. Un autre modèle est le stress chronique : on agace les souris chaque jour de différentes manières, en ne changeant pas litière, puis le lendemain on n’éteint pas la lumière, etc. Au bout de 2 ou 3 semaines à ce rythme-là, les animaux consomment moins de sucre et on considère qu’ils ont moins de goût pour le plaisir ce qu’on interprète comme un modèle de dépression.

Ensuite on crée deux lignées en croisant les souris : on obtient d’un côté une lignée où les souris sont quasiment toutes déprimées et de l’autre côté des souris qui ne répondent jamais aux tests de dépression de manière positive. Puis on compare l’expression des gènes, ce qu'on appelle les marqueurs génétiques, de ces deux familles génération par génération. En faisant cela les chercheurs ont constaté que 26 marqueurs - présents d’une génération à l’autre dans la lignée des souris dépressives - les différencient de la famille « non dépressive ».

En observant les mêmes gènes, la comparaison a été faite entre un groupe de 14 adolescents dépressifs et un groupe de 14 adolescents non dépressifs. Cette fois onze marqueurs ont différencié les deux groupes. Ces onzes marqueurs génétiques seraient donc responsable de l'état dépressif parmi lesquels ils ont trouvé 4 marqueurs impliqués dans les réactions de stress

Cependant je pense que l'étude est assez limitée car elle a été réalisée sur un échantillon de quatorze personnesL’échantillon testé est trop petit pour que l’on retrouve exactement les mêmes résultats si l'on reproduit l'expérience sur un échantillon de 1000 personnes par exemple. Sur les onze marqueurs, il se peut que l’on retrouve 4 ou 5 marqueurs.

La revue Translational Psyachiatry est une revue qui n'a que deux ans et qui multiplie la publication de ce type d'études pour se faire connaître. Même si l'étude représente une piste, il reste encore de nombreux tests et autres études à réaliser avant de pouvoir annoncer un test sanguin de dépistage...

Propos recueillis par Axelle Ewagnignon

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